Espace Jeunesse : une approche décomplexée de la santé mentale

Crédit image: Rudy Chabannes

TORONTO –  L’Espace Jeunesse a ouvert ses portes, cette semaine, sur la rue Richmond Ouest, au centre-ville de Toronto. Premier du genre, il ambitionne de répondre aux besoins des francophones de 12 à 17 ans en santé mentale, ce que ne parviendraient pas à faire les carrefours bien-être, lancés en 2018 par la province et largement tournés vers la clientèle anglophone.

Difficile d’imaginer à quoi va ressembler la salle située au Centre francophone du Grand Toronto (CFGT). Dans ce lieu de vie, où tout reste à inventer, ce sont les utilisateurs eux-mêmes qui vont agencer l’espace à leur image, selon le principe du « par et pour », jusque dans l’usage des réseaux sociaux, s’ils en éprouvent le besoin.

« Ce qui est ressorti de notre sondage mené dans les conseils scolaires, c’est que les jeunes veulent se retrouver dans un endroit à l’extérieur de l’école qui leur appartienne, auquel ils peuvent s’identifier et vivre leur francophonie », explique Sika Eliev, directrice des services de santé mentale et développement de l’enfance.

Sika Eliev, directrice des services de santé mentale et développement de l’enfance. Crédit image : Rudy Chabannes

Dans cet endroit rassurant pour les parents et sécuritaire pour les jeunes, des  professionnels vont répondre, chaque jeudi, aux besoins particuliers des utilisateurs, par le biais d’ateliers thématiques ou de consultations personnelles.

De la prévention à la carte

« Il n’y a pas de programme pré-établi », poursuit Mme Eliev. « On va leur demander ce qu’ils veulent faire et on va adapter assez rapidement notre offre, car nous disposons de toutes les expertises sous le même toit, gratuitement. »

Éliminer les barrières du coût, de la langue ou encore de la démarche, parfois difficile, de solliciter des soins en santé mentale à un âge pivot dans le développement psychique… C’est l’intention de Marie-Ève Ayotte. 

La coordinatrice des soins de santé mentale se fonde sur des données probantes qui démontrent que « ces espaces servent à prévenir beaucoup de problématiques sur le plan de la santé mentale et physique ».

Stress, anxiété, intimidation, maladies sexuellement transmissibles… toutes les pistes sont sur la table.

Marie-Ève Ayotte, coordinatrice des soins de santé mentale. Crédit image : Rudy Chabannes

Un jeune sur cinq est aux prises avec des problèmes de santé mentale. Et 90% des problèmes de santé des adolescents sont reliés à des troubles mentaux. Chez les adultes aux prises avec ces problèmes, 70% disent que leurs premiers symptômes sont apparus à l’enfance.

Ces trois statistiques, qui résument l’ampleur du phénomène, ont abondamment été relayées par le gouvernement de l’Ontario ces dernières années. 

Pour combler son retard, la province a lancé, en 2017, un réseau de quatre carrefours bien-être (CBEJO) pour les jeunes de l’Ontario. Un nombre porté à dix en 2018, avec 2,1 milliards $ de financement sur quatre ans dans les services de santé mentale et de lutte contre les dépendances.

Des carrefours bien-être contestés

Ces guichets uniques disent offrir des services intégrés en santé mentale, traitement des dépendances, soins de première ligne, communautaires et sociaux pour les 12-25 ans.

Sur son site internet bilingue, youthhubs.ca, l’Initiative des CBEJO indique adhérer aux principes d’accès, d’égalité et d’inclusion, s’engageant à ce que « les besoins des jeunes de diverses collectivités soient pris en considération et traités de façon appropriée ».

Pour appuyer sa démarche, le réseau met en avant, dans ses ressources en ligne, une fiche d’information sur l’équité en santé, intitulée Les jeunes franco-ontariens sont confrontés à des enjeux uniques en matière de santé.

« Les longues listes d’attente pour obtenir des services en français accroissent les risques de suicide chez les jeunes francophones en crise », peut-on y lire en gros caractères.

En tentant de joindre deux de ces organisations par téléphone aux heures d’ouverture, ONFR+ a constaté que la messagerie téléphonique était uniquement en anglais. Un message d’accueil peu engageant pour les jeunes francophones en détresse.

La fiche d’information sur les besoins des Franco-Ontariens, extraite du site youthhub.ca

Plusieurs intervenants francophones du monde de la santé font un constat préoccupant à propos de ces centres.

« Des subventions ont été allouées à des organismes anglophones un peu partout dans la province », apprend-on auprès d’un professionnel torontois souhaitant conserver l’anonymat. « On s’est rendu compte qu’ils ne desservaient pas les francophones. Ils mettaient en avant qu’ils avaient un employé bilingue. Quand il quittait son emploi, il n’était pas remplacé, poussant les jeunes à poursuivre en anglais ou à se renfermer sur eux-mêmes. »

Les équipes de santé ne seraient pas en capacité de recevoir la clientèle francophone, selon une autre source confidentielle.

« Ils compensent en mettant en place des services de traduction. Ça ne répond pas du tout aux besoins complexes des jeunes, surtout en santé mentale. Se confier dans sa langue maternelle est important. »

Contactée par ONFR+, l’Initiative des CBEJO affirme « viser à offrir tous les services dans les deux langues officielles », précisant toutefois que « la disponibilité et la nécessité des services en français varient selon les communautés où se trouvent les carrefours. »

S’ils maintiennent leur difficile objectif d’aligner leurs services sur la législation de l’offre active française en Ontario, les carrefours bien-être utilisent en réalité des ressources communautaires – parfois limitées – et des services existants.

« Ceux qui travaillent dans chaque centre sont en grande partie déjà employés par les organismes fournissant les services. »

Vers un élargissement aux 18-25 ans

De son côté, l’équipe de santé mentale du CFGT va concentrer ses efforts sur l’accueil des premiers utilisateurs, puis dans un deuxième temps, sur un nouveau sondage qui ciblera cette fois les étudiants, un autre public qui côtoiera l’Espace Jeunesse, chaque mercredi.

« On va élargir aux 18-25 ans », planifie Mme Eliev. « Cela prend du temps, car on doit consulter les jeunes des collèges, des universités et les organismes communautaires qui desservent cette clientèle. Ils auront peut-être des besoins différents, en recherche d’emploi, par exemple, ou dans le domaine juridique. C’est ce qu’on cherche à savoir. »

À plus long terme, d’autres Espaces Jeunesse pourraient voir le jour dans les antennes locales du CFTG pour se rapprocher des jeunes, éparpillés sur le territoire du Grand Toronto.