Santé Nord Ontario Fédéral bilingue
Cet investissement doit, entre autres, permettre d'améliorer l’accès à des programmes de formation en santé francophones. Montage Canva

Tout au long de la semaine, ONFR explore les réalités des minorités de langues officielles au Québec et en Ontario dans un contexte de tensions linguistiques dans la Belle Province.

Est-il possible d’avoir accès à un médecin ou encore se présenter à l’urgence, renouveler son permis de conduire dans un centre de service gouvernemental en français en Ontario ou en anglais au Québec? Si l’Ontario et le Québec ont des points communs dans la prestation des services pour les minorités, les lois et les résultats sont parfois distincts.

Soins de santé

Ontario

En Ontario, une vingtaine d’hôpitaux sont désignés sous la Loi sur les services en français (LSF). Certains le sont entièrement, d’autres partiellement. Cette désignation signifie qu’en vertu de la LSF un patient peut être soigné en français. Certains foyers de soins de longue durée le sont aussi.

Mais est-ce possible d’aller à l’urgence ou dans une clinique publique et de parler à un professionnel de la santé en français? En principe oui, mais la réalité comporte des bémols, constate le commissaire aux services en français en Ontario. L’équipe de Carl Bouchard accumule les plaintes concernant la santé année après année dans ses rapports annuels.

Selon le gouvernement, 80 % des Franco-Ontariens vivent dans des régions désignées ce qui veut dire que 20 % d’entre eux n’ont pas, dans leur région, un accès garanti à des soins de santé en français, souligne le chien de garde des francophones de la province.

« Il y a 21 hôpitaux désignés en Ontario qui se situent dans 13 des 27 régions désignées de l’Ontario. Alors je me concentre seulement sur ces 21 hôpitaux », présente-t-il.

« Ça démontre quand même que la majeure partie des régions désignées en Ontario n’ont pas un hôpital désigné pour offrir des services en français et sur lequel j’ai une juridiction directe. Peut-on tirer la conclusion que c’est simple d’avoir accès à des services en français? Je ne pense pas », observe M. Bouchard, qui travaille depuis 2014 au sein de la fonction publique ontarienne dans le secteur de la francophonie.

Pour ce dernier, le système de santé et l’offre de services en français ont leurs limites, et ce, même à l’intérieur des établissements qui ont des obligations en vertu de la loi. Le commissaire rappelle l’exemple des membres d’une famille ayant trouvé une note sur l’oreiller de leur mère mourante dans un hôpital désigné, sur laquelle était inscrit Please speak in english : « Je ne pense pas que c’est acceptable ce genre de situation ».

La pandémie a été un révélateur des limites d’accès à la santé en français illustre le commissaire aux services en français de l’Ontario Carl Bouchard.

Pendant la pandémie, ajoute-t-il, certains bureaux de santé publique n’avaient aucune obligation linguistique de fournir des informations en français, notamment concernant la vaccination, ce qui a démontré « des limites » dans les possibilités d’avoir accès à un service en français, note-t-il.

Québec

Comme en Ontario, il existe au Québec des établissements entièrement et partiellement désignés, en majorité sur l’île de Montréal, qui ont l’obligation d’offrir des services dans les deux langues aux patients. La réforme de la Charte de la langue française précise d’ailleurs que « toute personne d’expression anglaise a le droit de recevoir en langue anglaise des services de santé et des services sociaux ».

« Il est très probable que, dans un établissement désigné, vous allez recevoir un service en anglais. Dans une institution non désignée, le service devient de plus en plus difficile », affirme Jennifer Johnson du Community Health and Social Services Network (CHSSN).

Cet organisme provincial soutient les organismes de santé locaux dans l’accès à des soins de santé et sociaux en anglais dans la province. En 2023, l’instance provinciale avait réalisé un sondage auprès de 4 000 Québécois, 3 000 anglophones et 1 000 francophones concernant l’accès aux soins de santé.

Sur la disponibilité des services de santé et sociaux locaux en anglais, 53 % des répondants se disaient satisfaits ou totalement satisfaits contre 27 % qui éprouvaient le contraire, tandis que 20 % ne penchaient pas plus d’un côté que l’autre.

82 % des répondants signalaient avoir obtenu un service en anglais lors d’une visite chez un médecin dans un cabinet ou une clinique privée. 77 % des répondants disaient avoir reçu directement un service en anglais contre 19 % ayant fait la demande. À l’urgence, 27 % des patients affirmaient ne pas avoir reçu de service en anglais et 71 % des répondants que le personnel de première ligne pouvait leur parler en anglais. 81 % des répondants étant restés au moins une nuit à l’hôpital notifiaient avoir reçu un service en anglais.

À l’instar de l’Ontario, note Mme Johnson, c’est lorsque l’on sort de l’île de Montréal qu’on remarque que le taux de satisfaction pour des services de santé en anglais descend plus bas vers 50 à 60 %.

« Si vous rentrez dans le bureau d’un médecin en Abitibi-Témiscamingue et que vous vous attendez à être servi en anglais, pas sûr que cela se produise. Mais dans le centre-est de Montréal, c’est beaucoup plus probable », soutient Mme Johnson.

80 % des anglophones au Québec vivent à Montréal, selon le plus récent recensement de Statistique Canada en 2021. Si la Loi 96 assure un service en anglais dans les soins de santé, la production de documents, par exemple des instructions à la suite d’une chirurgie, est plus nébuleuse, s’inquiète-t-elle.

« C’est extrêmement difficile d’avoir de l’information en anglais. Cela affecte la santé des gens. »

Jennifer Johnson. Gracieuseté.

La Loi prévoit que chaque établissement doit avoir un programme d’accès aux services de santé et aux services sociaux en langue anglaise ce qui inclut la documentation.

Services gouvernementaux

Ontario

En Ontario, toute personne qui habite dans une région désignée peut aller à un bureau de Service Ontario et demander des documents ou encore renouveler son permis de conduire en français. Depuis l’an dernier, le ministère des Affaires francophones a adopté un règlement que les fournisseurs de services se doivent activement d’offrir le service en français, mais ça ne se reflète pas sur le terrain, indique Carl Bouchard.

« Le fait que les gens nous signalent que ce n’est pas le cas nous démontre qu’ils continuent à y avoir des besoins d’améliorations. »

« En principe, ça devrait être simple. Mais est-ce que la réalité, c’est simple? Je ne pense pas, car on voit qu’on reçoit des cas régulièrement qui touchent les services de première ligne dans des agences du gouvernement dont Service Ontario de façon régulière », dresse-t-il comme constat

Le commissaire a identifié des problèmes qu’il a signalés au gouvernement, comme des employés gouvernementaux anglophones non conscients de leurs devoirs et responsabilités d’offrir des services en français à la population.

« C’est pour se pencher sur des enjeux récurrents où des francophones se présentent à des comptoirs de Service Ontario, ou de façon générale, dans des services de première ligne et n’obtiennent pas leur service directement. Ça devrait être simple, mais au quotidien, ce n’est pas toujours simple. »

« Clairement, il y a des enjeux qui continuent à refaire surface, relate-t-il. C’est pour ça qu’on a recommandé que chaque ministère ait un plan pour son offre de service en français pour développer cette proactivité-là pour pas que la responsabilité soit sur les francophones de toujours devoir s’identifier. »

Le commissaire est aussi conscient qu’il y a des gens qui ne vont pas demander un service en français en passant à l’anglais lorsque ce n’est pas possible et que ces cas ne se retrouveront pas sur son bureau.

« Quand on a au bas mot 652 000 francophones et presque un million de personnes qui parlent français et qu’on a déclaré 386 cas reçus l’année passée, j’ai l’impression que la majorité des francophones n’ont pas encore développé le réflexe de contacter notre bureau. »

Québec

Au Québec, contrairement à l’Ontario, en vertu de la loi, les services gouvernementaux sont limités à certains groupes et non à l’ensemble de la population. À noter que le secteur de la santé est exempté. Parmi les ayants droit, on retrouve la communauté anglophone historique du Québec et les immigrants arrivés il y a moins de six mois. Les Autochtones, ceux qui ne vivent pas au Québec et les personnes éligibles l’école en anglais font également partie des exceptions. Mais le tout se base sur une déclaration de bonne foi suite à une question de l’employé gouvernemental.

« Il faut démontrer qu’on est un anglophone, c’est un peu insultant quand même, car nous sommes des Québécois historiques comme les autres », déplore Eva Ludvig, la présidente du Quebec Community Groups Network

Le gouvernement du Québec, les sociétés d’État et les organismes gouvernementaux, de même que les municipalités, ont l’obligation depuis juin 2023 à servir les citoyens en français. Toutefois, près d’une cinquantaine de municipalités ont conservé leurs droits d’être bilingue, eux qui avaient le choix suite aux réglementations de la réforme de la Charte de la langue française.