Québec-Ontario : destins croisés de francophones d’ici et d’ailleurs
Tout au long de la semaine, ONFR explore les réalités des minorités de langues officielles au Québec et en Ontario dans un contexte de tensions linguistiques dans la Belle Province.
Ils sont de l’Ontario, du Québec ou d’ailleurs et ont choisi de partir vers une l’une ou l’autre des provinces à la recherche de meilleures opportunités ou pour mieux vivre en français. Portraits croisés de migrations francophones qui témoignent des contrastes et parallèles entre les communautés québécoises et franco-ontariennes.
Maryse Baillairgé aura vécu dans les trois provinces les plus francophones du pays. Il y a 35 ans, elle et son mari avaient terminé des études pour devenir enseignants au Nouveau-Brunswick et espéraient trouver un premier emploi au Québec sans imaginer combien ce serait difficile.
« Il n’y avait pas vraiment d’emploi et puis le Québec était pas mal fermé en raison du nationalisme fort qui y régnait », se souvient-elle. Elle et son époux ont fini par avoir une opportunité d’emploi à Windsor, dans le sud de l’Ontario, grâce à l’ouverture d’écoles secondaires de langue française.
Et elle n’était pas la seule à tenter sa chance de l’autre côté de la frontière : « Il y avait comme une grosse vague de Québécois, d’enseignants québécois qui arrivait à cette époque-là. On pouvait être, facilement, une trentaine. »
Rachelle Elie, une jeune femme originaire de Toronto et ayant grandi à Ottawa a fait le chemin inverse en partant s’installer au Québec.
Née d’un père francophone d’origine haïtienne et d’une mère anglophone, celle-ci a fait son parcours scolaire jusqu’à la 6e en français. Aujourd’hui âgée de la cinquantaine, elle se produit en spectacles de stand-up d’abord en anglais, puis en français depuis 2019.
« J’ai décidé de changer de langue parce que tu peux avoir une carrière facilement ici, mais faire de l’argent avec de l’humour en anglais, c’est très difficile. On est obsédés, comme anglophones, avec l’humour américain, mais on fait des vedettes ici aussi », assure-t-elle.
L’Ontario, Eldorado des francophones
Yosri Mimouna est un père de famille originaire de Tunisie qui a émigré au Canada en 2019. Celui-ci a connu une période d’un an sans travail avant de signer un contrat comme graphiste pour Radio-Canada à Ottawa, mais se dit reconnaissant d’avoir reçu de l’aide à cette période difficile
« Je n’ai jamais senti aucun manque ni aucune difficulté, parce qu’il y avait justement l’aide de l’Ontario qui était très généreuse, comparativement à d’autres amis qui ont choisi par exemple d’aller à Montréal. Les débuts étaient beaucoup plus difficiles pour eux que pour moi », compare-t-il.
Ayant vécu à Gatineau et Ottawa, M. Mimouna est catégorique : l’Ontario est plus accueillant que le Québec : « Les gens de l’autre côté de la rivière sont beaucoup plus ouverts, beaucoup plus accueillants. »
« Les opportunités professionnelles pour les francophones en Ontario sont immenses », pense aussi Mme Baillargé qui estime n’avoir aucun regret sur son long séjour en Ontario, loin des siens.
Elle évoque le cas de sa fille installée à Sudbury, dans le Nord de l’Ontario : « Les opportunités qu’elle a eues au niveau de l’Ontario français sont inimaginables. Elle a fait des choses qu’elle n’avait jamais pu faire ici au Québec, parce que le bassin est plus large. »
Sentiment d’appartenance
Quand Maryse Baillairgé a réalisé le manque de services destinés aux francophones à Windsor, c’est là que celle qui est originaire de Montréal a pris conscience qu’elle se trouvait en milieu minoritaire : « C’était un choc parce que je me rappelle, lorsque je faisais mes études au Nouveau-Brunswick, à quel point les Acadiens étaient fiers de leur langue et de leur culture. »
« Dans le sud de l’Ontario, on était vraiment oubliés », se rappelle-t-elle en évoquant la diminution progressive des émissions de radio des services français de Radio-Canada. « C’est fou : le nombre d’élèves dans les écoles françaises a augmenté, mais la participation aux activités françaises a diminué. »
« Je retourne chaque année à Windsor, je regarde ce qui se passe et je suis déçue », citant le manque de relève notamment par rapport à la disparition de la ligue d’improvisation des écoles secondaires francophones à Windsor, vieille de 30 ans.
« Même mon vocabulaire a diminué parce qu’il fallait aller à la plus simple expression », confie-t-elle.
Lorsqu’elle vivait en Ontario, Rachelle Elie n’avait pas conscience de la présence de personnes bilingues dans la province : « Pendant longtemps, je travaillais en anglais en Ontario, je ne savais pas que le public était en partie français. »
« Maintenant, parce que je commence à parler de mon expérience au Québec et en français avec des anglophones ou des personnes qui sont dans un spectacle anglophone, ça me permet de réaliser qu’il y a beaucoup de francophones en Ontario », ajoute-t-elle.
Du français à l’anglais
S’installer dans un milieu majoritairement anglophone séduit chaque année de nombreux immigrants de France.
Pour Cyrielle Galet, l’Ontario était l’objectif final, après une période difficile dans une région éloignée du Québec. « Un de nos buts en venant au Canada était de devenir bilingue aussi et en Beauce ce n’était pas possible. »
« Alors on s’est donné un an et on a déménagé. On ne regrette pas une seconde. Oui c’est dur de devoir recommencer à zéro encore une fois, mais la vie nous correspond plus ici », estime celle qui a déménagé à Thorold dans le sud de la province avec son conjoint.
M. Mimouna a lui aussi choisi l’Ontario pour avoir le plus grand dépaysement possible et s’offrir une nouvelle vie. Sa femme ne parlait pas un mot d’anglais avant d’arriver, mais a fait des progrès à force d’être en immersion dans un milieu majoritairement anglophone.
Pour leurs enfants, les Mimouna ont longuement hésité, mais ont fini par opter pour une école francophone étant donné que leur fils ne parlait pas en français avant d’arriver au Canada.
« L’anglais est un peu plus facile que le français qui est une langue très riche, donc on a choisi le français et parce que l’anglais, il va l’apprendre dans la rue », fait-il savoir, ajoutant qu’il parle davantage dans la langue de Molière avec son fils depuis sa scolarisation.
Le climat plus clément de l’Ontario a aussi motivé les Galet à traverser la frontière : « On avait visité la région de Niagara en juin 2022 et j’ai adoré. Le lac me rappelait la mer, les vignobles de ma région et le climat est beaucoup plus doux. »
Chez soi dans la francophonie
« Quand je commence mon spectacle, je dis toujours que je suis anglophone et aussi Franco-Ontarienne », lance Rachelle Elie avant d’ajouter que « ça fait seulement un an que je m’identifie comme Franco-Ontarienne. »
Elle se dit très reconnaissante vis-à-vis du public qui a un bon rapport avec son accent trahissant son identité anglophone. C’est grâce à cet accueil positif à chaque spectacle qu’elle a commencé à affirmer son côté franco-ontarien : « Je trouve que le public québécois apprécie vraiment les gens comme moi qui font un effort. »
Pour Yosri Mimouna, l’accent franco-ontarien est très agréable à l’oreille : « Je préfère de loin l’accent franco-ontarien à l’accent québécois. »
Il raconte avoir de la difficulté à comprendre l’accent du Québec et être beaucoup plus à l’aise devant des expressions et accents francophones de l’Ontario.
Se sentir chez soi dans la francophonie est très important aussi pour les Baillairgé. Après leur retraite et parce qu’ils souhaitaient retrouver une plus grande vie sociale en français, ceux-ci ont fait leur retour au Québec en 2019. Ce choix s’est aussi fait afin d’avoir un meilleur accès aux soins en français, pour les vieux jours.
Avant de s’installer au Lac Saint-Jean pour se rapprocher de la famille du conjoint de Maryse Baillairgé, le couple fera un passage de quelques semaines dans un logement temporaire de Montréal qui leur a permis de comprendre à quel point vivre en milieu majoritaire est un atout.
« Deux fois par semaine, il y avait un spectacle, une pièce de théâtre, une comédie musicale, l’humoriste, une partie de hockey…C’était comme un nouveau souffle de vivre tout en français autour de nous. C’était un besoin que je ne retrouvais plus à Windsor », soutient-elle.