
Être autochtone et francophone : quand la langue heurte l’identité

SUDBURY – À l’occasion du Mois national de l’histoire autochtone, ONFR a interrogé plusieurs personnes francophones et aux racines autochtones en Ontario afin de mieux comprendre leur rapport avec cette double identité. Être francophone, être autochtone ou être les deux : la question est plus sensible qu’il n’y paraît pour plusieurs personnes interrogées.
« Je parle français, mais ça ne veut pas dire que je suis francophone. Je suis ojibwé de Dokis et je ne suis rien d’autre », commente Gerry Duquette, Chef de la nation de Dokis.
Pour le Chef de cette communauté située à environ 16 kilomètres au sud-ouest du centre-sud du lac Nipissing, le long de la rivière des Français, la maîtrise d’une langue n’est pas nécessairement reliée à un sentiment d’appartenance.
« Si quelqu’un apprend l’espagnol, ils ne peuvent pas dire vraiment qu’ils sont espagnols. C’est un langage », continue-t-il. M. Duquette est né de ce double héritage, une mère de Dokis et un père de Monetville, et a fait sa scolarité en français dans la région.

Des obstacles sur le chemin
Selon le père de famille, l’autre problème rencontré demeure l’obstacle financier à l’apprentissage de la langue française pour les premiers peuples : « Le coût pour aller à l’école est terrible. Pour chaque étudiant, c’est 15 000 à 19 000 dollars par année qui va au conseil scolaire, même du côté anglophone, c’est une vraie mafia. »
Kelyn Best a appris le français à Toronto et, bien qu’elle maîtrise la langue de Molière, elle ne se considère pas non plus comme étant francophone.
C’est sa maman, membre de la Nation Crie de Peepeekisis en Saskatchewan et avec des racines écossaises, qui avait pris la décision de l’inscrire à l’immersion française afin qu’elle ait de meilleures perspectives d’emplois.
« J’ai fait des cours de français et je suis fière de parler la langue aujourd’hui, mais je pense que ce n’est pas aussi simple parce qu’il y a toute une culture et un héritage qui est rattaché à l’identité », explique celle qui est installée à Sudbury.
La jeune femme est aussi riche d’un autre héritage, du côté de son père, puisqu’elle a des racines du Somaliland, une région située dans la Corne de l’Afrique, qui s’est autoproclamée indépendante de la Somalie en 1991.

« C’est difficile de dire quelle est l’identité à laquelle je m’identifie le plus aujourd’hui, parce que ça évolue constamment, mais ces deux identités m’accompagnent toujours », confie-t-elle.
Un long combat identitaire
Natalie Goring a, elle aussi, mis du temps à trouver son identité. Membre de la Nation Wiikwemkoong de l’île Manitoulin, par son père, et avec des racines de Sturgeon Falls, du côté de sa mère, celle-ci a eu du mal à se faire accepter par des membres des deux communautés.
« Comme j’ai dû beaucoup déménager dans mon enfance, je n’ai jamais appris ma culture et je n’ai jamais été reconnue comme autochtone par ma communauté, parce que j’ai les cheveux blonds et la peau blanche. Et du côté français non plus parce que, des fois, je parle avec un accent différent », raconte cette résidente de la communauté de Capreol, près de Sudbury.
Même son de cloche chez Gaëtan Baillargeon du côté de Hearst, bastion de la francophonie ontarienne.
« À la réserve, j’étais le petit gars français riche, mais à Hearst, c’était le contraire, j’étais le petit garçon foncé pauvre de la réserve », témoigne celui qui a un double héritage québécois et Oji-Cree, Première nation sur les rives du lac Constance, près de Hearst.
Il y a quatre ans, Natalie Goring a eu un déclic après avoir commencé à travailler pour un organisme qui dessert les communautés autochtones de Wahnapitae.

« J’étais sur deux bateaux, français et autochtone, mais je me suis plus rapprochée de mes racines, et je me sens plus proche de mon héritage autochtone aujourd’hui qu’autre chose », lance celle qui pratique désormais la chasse à l’arc et a suivi des cours pour parler sa langue.
Faire front commun
Bien qu’il reçoive encore des remarques, M. Baillargeon pense également avoir trouvé un équilibre entre ses deux identités aujourd’hui.
Selon celui qui est aussi conseiller municipal de la ville de Hearst et directeur de l’éducation de la Première Nation de Constance Lake, il reste encore des progrès à faire pour faciliter les échanges entre les deux communautés.

Il évoque l’exemple du conflit québécois lié au projet de loi 97 pour la coupe de bois auquel les Premières Nations sont fermement opposées : « S’ils (les travailleurs québécois de l’industrie forestière et des autochtones) se mettaient ensemble contre le gouvernement, pour construire des entreprises ensemble au lieu d’essayer de se battre l’un contre l’autre, je pense qu’ils seraient plus forts. »
Le Chef de la Nation Dokis pense, quant à lui, que les francophones en milieu minoritaire sont favorisés plus qu’ils ne le savent. « Les francophones disent devoir se battre et être considérés comme des sous-citoyens, mais c’est clair qu’on peut mettre les Premières Nations en dessous d’eux. On devrait être les premiers, on est les premiers, mais ce n’est jamais reconnu. »
Bien qu’il admette qu’il existe un privilège blanc, Gaëtan Baillargeon ajoute, pour sa part, que le fait qu’il y a eu un recul du nombre de locuteurs francophones et autochtones serait aussi une occasion de souder les deux communautés.
Un vent de changement
Pour plusieurs intervenants, les temps semblent changer en faveur d’une plus grande affirmation identitaire des premiers peuples.
« Mon père me disait de ne pas dire que j’étais autochtone parce que les gens ne nous aimaient pas », confie de son côté Natalie Goring, qui avoue avoir été mieux traitée lorsqu’elle se présentait comme francophone à l’hôpital, par exemple.
Mais, selon elle, la situation aurait évolué : « Avant on s’identifiait comme francophone au lieu d’autochtone parce qu’on était mieux traités, mais maintenant on fait l’inverse pour essayer de susciter un changement. »
Selon M. Baillargeon, il existe aussi, aujourd’hui, une plus grande volonté des premiers peuples et de leur descendance à vouloir se réapproprier sa langue. Les deux intervenants indiquent faire des efforts pour transmettre cette envie d’apprentissage à leurs enfants.