Exception culturelle : l’Ontario aussi prête à se battre

TORONTO – La province la plus populeuse du pays emboîte le pas au Québec. L’Ontario estime qu’il ne faut pas toucher à la clause d’exception culturelle incluse dans l’ALENA (Accord de libre-échange canado-américain) et qui permet notamment aux gouvernements de subventionner la culture, en toute liberté. L’industrie culturelle francophone payerait le fort prix de l’élimination de cette clause, croit la ministre responsable de la culture.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Dans l’ALENA, l’exception culturelle, surtout pour les francophones, c’est très important. Nous sommes à côté des États-Unis, un marché important pour la culture. Nous, nous avons un petit pays, la communauté francophone est plus petite et il faut protéger nos industries et notre culture », a indiqué Eleanor McMahon, ministre du Tourisme, de la Culture et du Sport, lors d’un entretien avec #ONfr. « Quand on est petit, il faut donner un coup de main », insiste-t-elle.

La ministre ne s’était pas encore prononcée publiquement sur le dossier de l’exception culturelle, qui a pourtant a fait couler beaucoup d’encre au Québec au cours des derniers mois.

Cette clause a permis jusque-là aux gouvernements canadien et mexicain de protéger les cultures nationales en excluant plusieurs activités culturelles des dispositions générales de l’accord de libre-échange.

Mme McMahon est catégorique : l’Ontario est prête au combat pour sauver cette clause et elle surveille personnellement l’évolution des négociations, menées par le fédéral, qui vont avoir un impact direct sur cette question.

« Nos histoires canadiennes sont importantes. Je ne peux pas m’imaginer une culture, sans la culture francophone en Ontario ou de celle du Québec. Dans nos discussions au Québec, il y a quelques semaines, on est sorti alignés. Nous sommes tous dans le même bateau », a soutenu la ministre McMahon. La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a déjà indiqué qu’elle allait se faire la défenderesse de cette clause et que les enjeux liés au numérique ne seraient pas en reste.

L’heure est grave, selon le milieu des arts

À l’ère numérique, les pays qui subventionnent la culture et font la promotion de la diversité demeurent opposés à ceux qui croient que la culture et le libre-échange doivent fonctionner de pair.

« La culture ne peut pas être mise sur le même pied que les autres productions économiques. La culture est aussi un bien symbolique. La logique économique ne peut pas s’appliquer à 100% », tranche Frédéric Brisson, directeur général du Regroupement des éditeurs canadiens-français (RECF).

Concrètement, l’abolition de l’exception culturelle signifie que les gouvernements ne pourraient plus subventionner aussi librement les différents produits culturels actuellement offerts.


« Quand on arrive avec l’ALENA, il ne faut pas qu’on laisse le marché décider de tout. Ça ferait disparaître des types d’œuvres littéraires, des entreprises d’édition,… les répercussions dans le milieu du livre déjà fragile seraient énormes » – Frédéric Brisson


« L’aide économique pourrait disparaître. Et surtout, on se retrouvait en culture comme dans d’autres domaines économiques, comme le bois d’œuvre, où il y a des procès à ne plus finir. Les pouvoirs publics deviendraient très pointilleux et prudents », dit M. Brisson.

Les francophones encore plus menacés

Selon lui, les francophones, tant du Québec qu’en milieu minoritaire, serait encore plus en menacés. Le marché francophone est plus petit et dépend grandement de l’aide gouvernementale. Il se pourrait que seuls les gros vendeurs survivent dans ce nouvel environnement culturel, estime M. Brisson.

Cette semaine, la présidente de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), a lancé un autre cri du cœur à Toronto, en marge du festival international du film de Toronto (TIFF). Devant des acteurs de l’industrie du film, elle a soutenu que l’ensemble des acteurs du milieu de la culture doivent faire pression sur leurs élus, maintenant plus que jamais.

« Si on perd la clause d’exception culturelle, shit’s gonna hit the fan », a lancé de manière très colorée Monique Simard.


« Les éleveurs de poulets s’intéressent aux négociations de l’ALENA. Les artistes doivent tout autant s’en soucier. Notre avenir est en jeu. Il faut s’intéresser à la chose publique et faire pression sur le milieu politique. C’est une question de souveraineté et d’identité culturelle » – Monique Simard, présidente de la SODEC


Les négociations sur l’ALENA s’attarderont aussi aux changements numériques. Là, également, le milieu culturel se montre inquiet. « Il faut une juste redistribution des profits. Spotify redonne peu aux créateurs. On ne veut pas l’équivalent dans d’autres secteurs culturels. Les créateurs doivent pouvoir vivre de leur art », dit le directeur général du RECF, Frédéric Brisson.