Fermeture de la Garderie Tunney, un coup dur pour les francophones d’Ottawa
OTTAWA – La Garderie Tunney’s Daycare, qui desservait la population francophone et bilingue d’Ottawa, met la clé sous la porte le 15 octobre, faute d’appui des différents paliers de gouvernement. Mais un mince espoir subsiste.
« Ça fait sept ans qu’on envoie nos enfants dans cette garderie. Ma fille y est allée et ça a beaucoup aidé au développement de son français. Aujourd’hui, elle est dans une école de langue française », témoigne Flavia Iannetta, une mère francophone du quartier Westboro, dans l’Ouest d’Ottawa. « Mon fils de trois ans était tellement heureux de pouvoir y retourner après la fermeture de mars. C’est un choc! »
Le 15 octobre, dans une lettre envoyée aux parents et dont ONFR+ a obtenu copie, la Garderie Tunney’s Daycare annonçait la fermeture de cette institution, après 32 ans de service.
« Nous devons veiller à ce que la garderie respecte toutes ses obligations financières et légales et agisse de manière prudente et responsable sur le plan financier », expliquent les membres du conseil d’administration de l’organisme sans but lucratif.
Installée dans les locaux fédéraux du complexe du Pré Tunney, dans l’édifice de Statistique Canada, la garderie comptait 67 places et plus de 21 employés. Le coût du loyer, 147 000 $ par année, avait déjà mis l’organisme en péril, en 2016.
« Hors pandémie et en fonctionnant à 100 % de nos capacités, nous y arrivions. Mais la COVID-19 a été le dernier clou. Nous avons reçu de l’aide pour le loyer pendant la fermeture, mais en octobre, le gouvernement fédéral nous réclamait le plein montant, alors que nous ne pouvons accueillir que 26 enfants et avons dû assumer les frais relatifs aux nouvelles mesures sanitaires », explique à ONFR+, Christie Catherina Verbrugh-Post, du conseil d’administration.
Équipement de protection individuelle, personnel supplémentaire, produits de nettoyage et nouveaux jouets ont été payés à même le budget de la garderie, assure-t-elle.
« À ce jour, nous n’avons pas été remboursés pour ces coûts et n’avons reçu aucune indication de la ville ou de la province que nous serons soutenus de manière adéquate tout au long de la pandémie », est-il écrit dans la lettre du 15 octobre.
Une perte pour les francophones
Le député néo-démocrate provincial, Joel Harden, fulmine.
« C’est une honte qu’on en arrive là! Il y a très peu de garderies bilingues dans la circonscription et c’est une perte énorme pour la communauté francophone. »
La garderie Tunney fonctionnait avec des cohortes bilingues, sous la supervision d’éducateurs capables de s’exprimer en anglais et en français, et des cohortes francophones où tout se déroulait uniquement en français.
« Nous avions des parents anglophones, mais la priorité était donnée aux francophones », précise Mme Verbrugh-Post.
Si on se fie à l’exemple de Mme Iannetta, l’impact pourrait être important.
« Nous voulons que nos enfants apprennent le français dès le plus jeune âge, mais nous sommes en mode survie. Mon mari et moi ne pouvons travailler de la maison, alors il a fallu trouver une solution pour notre fils. Toutes les garderies francophones sont pleines, nous l’avons donc inscrit dans une garderie anglophone pour le moment. »
Appel aux gouvernements
« Le propriétaire, c’est le fédéral, il peut donc faire quelque chose. On est dans une ville bilingue et il devrait montrer l’exemple! La province aussi doit investir davantage dans le secteur des garderies publiques et sans but lucratif de qualité », juge M. Harden.
Mme Verbrugh-Post note une certaine contradiction.
« Pour un gouvernement qui met tant d’emphase sur le développement d’une stratégie nationale en matière de garderie et sur l’importance de permettre aux femmes de rejoindre le marché du travail, c’est un peu contradictoire… Le fédéral pourrait baisser le loyer le temps de la pandémie, par exemple. »
Le fédéral prêt à discuter
Le ministère des Services publics et Approvisionnement assure être entré en contact avec la garderie pour le loyer d’octobre et qu’un de ses représentants « a indiqué de procéder au paiement du loyer ».
Dans un échange de courriels, on rappelle également qu’une nouvelle subvention d’urgence du Canada pour le loyer a été annoncée le 9 octobre.
Le ministère fédéral se dit prêt à discuter pour voir comment il pourrait « fournir un soutien supplémentaire en attendant l’entrée en vigueur » de cette nouvelle aide.
Par courriel, la députée fédérale d’Ottawa-Centre, Catherine McKenna, dit comprendre l’importance de la Garderie Tunney’s Daycare pour la communauté.
« J’ai pris contact avec Services publics et Approvisionnement Canada afin d’étudier l’appui qui pourrait être disponible, notamment en ce qui concerne le coût du loyer, afin de déterminer s’il existe une solution. »
Un autre modèle de garderie?
Du côté de la province, le ministère de l’Éducation assure avoir déjà fourni de l’aide pendant la période de fermeture et de réouverture de la garderie et également du financement régulier.
« De plus, nous avons livré des masques de protection gratuitement », indique le ministère.
Mme Verbrugh-Post relativise cette aide : « Nous n’avons reçu l’équipement de protection personnelle sept mois après le début de la pandémie. En octobre, nous avons reçu une grande boîte qui comportait 27 à 30 petites boîtes contenant 50 masques chaque. Une boîte de masques dure une journée et demie. Ils nous ont également fourni 30 écrans faciaux… Mais en octobre, deux mois après notre réouverture. (…) Nous avons aussi reçu un financement régulier « hors pandémie », cependant, nos coûts sont élevés pendant cette période de pandémie et la province n’a pas accru son soutien. »
Si la décision de fermer la garderie peut encore être inversée, un autre modèle pourrait voir le jour, explique Mme Verbrugh-Post.
« On pourrait imaginer qu’une nouvelle administration avec plus d’expérience et déjà à la tête de plusieurs autres garderies prenne le relais. Nous avons des discussions préliminaires là-dessus, mais c’est un gros projet. »