Fierté : l’art du drag pour réunir les francophones
OTTAWA – Un organisme francophone d’Ottawa sort des sentiers battus et propose aux Franco-Ontariens de s’initier à l’art du drag. Plus qu’une formation pour devenir drag queen ou drag king, l’exercice vise à permettre aux francophones LGBTQ+ de se rassembler et de vivre leur fierté en français.
Les vendredis et samedis soirs au bar Lookout d’Ottawa sont synonymes de Drag Queen. Depuis des années, les amateurs de ces spectacles mêlant humour grinçant, chorégraphies spectaculaires et costumes extravagants sont au rendez-vous dans cet établissement qui attire majoritairement une clientèle anglophone.
Auparavant cantonné à quelques bars des villages gais de la planète, l’art du drag a connu une explosion de popularité depuis quelques années. Un attrait qui n’est sûrement pas étranger au succès spectaculaire de la télé-réalité RuPaul’s Drag Race, où des drag queens compétitionnent en espérant se distinguer.
Trop souvent dénigré, cet art multidisciplinaire a, au contraire, un pouvoir d’attraction extraordinaire, croit Ajà Besler, directrice de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa).
Son organisation lancera L’Académie du drag pour permettre à des jeunes et à des adultes d’explorer ce genre artistique.
« Nous voulons développer des talents francophones du drag. Beaucoup le font en anglais, même des francophones, car il n’y a pas de plateformes en français. Et habituellement c’est dans les bars, donc ça empêche des jeunes en bas de 19 ans de développer cet art », confie-t-elle.
Un groupe de jeunes et un autre d’adultes pourront d’abord suivre des formations virtuelles avec des drag queens et drag kings d’expérience. Éventuellement, les participants pourront se rencontrer et des spectacles seront organisés pour leur permettront de présenter à tous leurs apprentissages.
« Pour moi, c’est une forme d’art multidisciplinaire. Comme n’importe quelle forme d’art, il y a une gamme d’artistes qui existent. Le drag, c’est une façon de s’exprimer. Nous voulons participer à la naissance d’une cuvée d’artistes émergents, qui vont créer des choses drôles, intelligentes et qui vont le faire en français! », renchérit Ajà Besler.
L’enseignement du drag aura un autre bienfait insoupçonné : briser l’isolement de francophones qui ne se retrouvent bien souvent pas dans les organismes franco-ontariens.
« Plusieurs francophones nous disent qu’ils doivent choisir entre leurs deux identités : soit être francophone, soit LGBTQ+. Les espaces LGBTQ+ sont souvent anglophones en Ontario et… les espaces francophones sont souvent moins inclusifs à cette réalité », observe-t-elle.
« Moi je dis : on peut vivre nos identités simultanément dans des milieux francophones où on ne fait pas juste tolérer ou accepter la communauté LGBTQ+, mais où on la célèbre », renchérit Mme Besler.
Briser les préjugés persistants
Le drag king Cyril Cinder compte participer aux activités, en tant que formateur.
« Plusieurs personnes ne comprennent pas la complexité et l’effort qui sont nécessaires pour un simple spectacle de drag! Mon maquillage peut prendre de 1h à 3h pour chaque spectacle, en plus de plusieurs heures de répétition. Être drag queen, king ou même drag thing demande beaucoup de talents et d’efforts », insiste-t-il.
L’art du drag s’attaque aux idées préconçues sur le genre et les différentes identités qui existent dans la société, dit-il.
« Les drag kings sont des artistes qui se construisent une identité masculine, normalement basée sur les archétypes du masculinité. On utilise le maquillage, des perruques, des costumes et nos mouvements pour se créer un personnage masculin plus grand que nature! », dit-il.
Il se réjouit de l’attention démesurée que les drag queens ont obtenu ces dernières années, mais affirme qu’il est temps de laisser l’ensemble du spectre du drag briller de tous ses feux.
« Certains pensent que les drag queens sont plus amusantes que les drag kings, mais c’est un autre stéréotype! Nous avons beaucoup de talent et des idées incroyables. Je suis toujours excité quand quelqu’un a la chance de découvrir notre art », ajoute-t-il.
Il salue l’émergence d’un drag francophone, qui aura tout avantage à se développer auprès de publics de tous les âges, croit-il. « Pour les jeunes c’est pertinent, car c’est un art tellement flexible et imaginatif! C’est un art créatif lors des représentations, mais aussi dans sa conception », affirme Cyril Cinder.
De grandes ambitions
Le drag n’a pas besoin d’être associé à de l’humour cru et aux bars, affirme sans détour Ajà Besler.
« Je ne dis pas qu’aucun parent va se poser des questions. Mais notre rôle est d’éduquer les gens », dit-elle.
« Nous allons adapter le projet pour notre groupe de jeunes, comme le Concours LOL qui a proposé des numéros drôles et appropriés », dit-elle, rêvant à ce que L’Académie du drag fasse aussi des petits ailleurs en province. Le projet actuel mené par l’ACFO-Ottawa est financé à hauteur de 46 700 $ par Patrimoine canadien.
Si l’initiative souhaite d’abord offrir un environnement rassurant aux membres de la communauté LGBTQ+, tous sont les bienvenus, peu importe leur orientation sexuelle et leur genre, insiste l’ACFO Ottawa.