Gilles Poulin-Denis (à gauche) et Louis-Philippe Roy (à droite) ont écrit avec Thérèse Champagne le balado Flashback. Photo: Rachel Crustin / ONFR

VANCOUVER – Une nouvelle série balado, intitulée Flashback, mêle la fiction et la réalité pour raconter l’histoire de l’utilisation des psychotiques (et ses dérives) dans le domaine de la santé mentale au Canada. Mais une autre particularité retient l’attention : il s’agit du premier balado de fiction franco-canadien (en milieu minoritaire) à être présenté sur la plateforme Ohdio. ONFR a rencontré deux des créateurs, Gilles Poulin-Denis et Louis-Philippe Roy, pour discuter du projet lancé le 29 octobre dernier.

Flashback nous mène de l’Est ontarien à Vancouver, en passant par Ottawa et la Saskatchewan. Deux amies, Sabrina et Audrey, vont tenter d’élucider l’histoire du grand-père de cette dernière. Grégoire Carrière a disparu en 1961.

« Il a fait de l’acide, puis il est allé à l’asile. » Cette phrase prononcée à propos de Grégoire a de quoi intriguer. Alors que Sabrina termine sa maîtrise en communication, elle entraîne son amie dans un projet de baladodiffusion appliquant les codes du storytelling. Un peu malgré elle, Audrey se retrouve donc à pister les traces de ce grand-père mystérieux, qu’elle n’a jamais connu et dont la seule évocation provoque de vives réactions dans sa famille.

Leurs recherches mèneront les amies à interviewer des experts et à retracer l’histoire des psychotiques utilisés dans les années 1960 dans certains hôpitaux canadiens. Flashback prendra réellement son envol après quelques épisodes, quand les deux jeunes femmes débarqueront à Vancouver.

L’affiche du balado Flashback. Gracieuseté de Production 2PAR4.

Même si l’histoire est fictive, les informations historiques et les entrevues avec des experts sont véridiques. « C’est pour ça qu’on a souvent des entrevues avec des anglophones : ce sont les vrais experts. Il y a Erika Dyck, de l’Université de la Saskatchewan, qui est la sommité dans l’historique des psychotiques au Canada », explique Gilles Poulin-Denis, à l’origine du projet avec sa compagnie de production, 2PAR4.

Il a recruté dans l’équipe d’auteurs l’ancienne journaliste Thérèse Champagne, qui a pu apporter son expertise pour la recherche et la vérification des faits, et Louis-Philippe Roy, déjà expérimenté en création de balados de théâtre et de livres audios.

« Ce dont on avait envie, c’était de fictionnaliser l’accroche pour que l’auditeur suive le périple. Et il y a des codes du balado qui ne se démentent pas. Suivre une quête, ça demeure un outil efficace. On ne voulait pas trop tomber dans l’affaire criminelle, car la ligne éthique est quand même mince », raconte Louis-Philippe Roy.

Selon ce dernier, le recours à de vrais experts « permettait aussi d’avoir un équilibre. On n’en faisait pas la promotion, mais on ne rendait pas (les psychotiques) machiavéliques. »

En studio pour l’enregistrement de Flashback. Photo : Gracieuseté de Production 2PAR4.

Louis-Philippe Roy croit que de rappeler l’histoire des psychotiques est d’autant plus pertinent à une époque où le microdosing est à la mode, souvent pour autotraiter l’anxiété d’autres maux de l’âme.

Sans rien divulgâcher, lorsque Audrey découvrira enfin la raison de la fuite de son grand-père, un autre pan de l’histoire canadienne sera déplié et raconté. « Le personnage (Audrey) le dit, mais elle porte aussi notre discours : on ne s’attendait pas à découvrir tout ça au départ. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi riche et clairement étudié. Comment faire passer ça à l’auditeur? C’était important pour moi qu’il sache qu’il n’y avait pas juste du mal dans ces techniques-là, mais qu’il y a aussi eu des dérapages. »

Tout couvrir

Le dernier épisode apparaît un peu comme un épisode « hors-série ». On retrouve les deux amies un an plus tard. Elles reparlent de leur expérience et Audrey fait comprendre à son amie que son balado de maîtrise a quelques angles morts.

L’épisode donne l’impression que l’équipe de production a voulu couvrir ses propres angles morts, particulièrement le fait que des communautés autochtones avaient déjà de grandes connaissances et utilisaient des psychotiques dans des rituels ancestraux.

L’épilogue fait entre autres découvrir la guérisseuse mexicaine Maria Sabina. Gilles Poulin-Denis trouve que ce n’était pas anodin de donner la parole finale à une femme autochtone après avoir présenté l’histoire très institutionnalisée de l’utilisation des psychotiques, où les pionniers étaient presque tous des hommes blancs. 

Il raconte avoir préféré prendre le temps d’aborder cet aspect à la fin plutôt que de le condenser rapidement dans des épisodes déjà très chargés.

Louis-Philippe Roy aime aussi l’idée que le personnage d’Audrey prenne le contrôle, car c’est son histoire qui est racontée, mais menée par son amie, tout au long de Flashback. Il explique que cet épisode supplémentaire s’inscrit dans les codes de la baladodiffusion, qui raconte souvent ce que sont devenus les protagonistes un certain temps après leur quête.

Une équipe pancanadienne

L’idée de Flashback a germé avant la pandémie. Au départ, Gilles Poulin-Denis avait envie de créer une installation, sans acteurs, mais la direction de son projet a drastiquement changé. « Je trouvais que ça n’avait pas de sens, pendant la pandémie, quand je voyais mes amis qui rushaient. Je ne peux pas prendre l’argent public pour faire un truc avec des machines. »

À force de fouiller sur le sujet, l’accumulation d’information « fascinante » l’a poussé à considérer l’option de la baladodiffusion.

Le fondateur de Production 2PAR4, maintenant installé à Montréal mais alors à Vancouver, est aussi le réalisateur de Flashback, en plus de mener l’écriture avec Thérèse Champagne (Vancouver) et Louis-Philippe Roy (Gatineau). Ce dernier a aussi joué le rôle d’assistant à la réalisation.

De son côté, Thérèse Champagne a fait partie de la distribution d’acteurs, tout comme les Vancouverois Joey L’Espérance, et France Perras, ainsi que l’Ottavien Sean Devine.

Le personnage de Sabrina est campé par Danielle Le Saux-Farmer, d’Ottawa et Gabrielle Morin, de Vancouver.

Gabrielle Morin et Danielle Le Saux-Farmer campent les rôles principaux du balado Flashback. Photo : Gracieuseté de Production 2PAR4

La musique originale est signée par le Fransaskois Mario Lepage. Le Québécois Bruno Pucella vient compléter l’équipe au montage et au mixage.

Diriger une telle équipe pour l’audio comporte son lot de défis, comme le fait d’être dans des studios différents ou d’ajuster le niveau de jeu à un ton plus introspectif, dans un contexte où les comédiens enregistrent les voix sans connaître l’univers sonore dans lequel elles seront intégrées.

« Il y a un ton dans le balado qu’il faut trouver, qui est différent. Ça passe juste par la voix. Il faut vraiment trouver les moyens d’exprimer certaines émotions, et c’est beaucoup plus délicat qu’au théâtre », reconnaît Gilles Poulin-Denis.

Malgré cela, Louis-Phlippe Roy se dit « extrêmement fier que le catalogue d’interprètes soit de partout et qu’on ait réussi à faire échanger entre eux des artistes qui n’auraient pas travaillé sur le même projet » en temps normal.