Français : le chien de garde de la police ontarienne réprimandé par un tribunal
TORONTO – Un tribunal torontois a réprimandé l’organisme chargé d’évaluer les plaintes contre les policiers et le Service de police de Toronto concernant un possible non-respect des droits linguistiques d’une francophone à la suite d’une enquête portant sur une intervention policière.
Dans une décision rendue en avril, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police – maintenant connu sous le nom d’Agence des plaintes contre les forces de l’ordre (APFO) – avait commis une erreur reliée à la question linguistique dans l’une de ses enquêtes. L’APFO est l’organisme chargé de recevoir, de gérer et de superviser les plaintes du public au sujet de l’inconduite d’un agent de police.
Une plaignante francophone de Toronto, Irénée Boua, a obtenu gain de cause après que trois juges de la Cour supérieure aient conclu que l’APFO avait omis de prendre en compte le fait qu’elle a été traitée inéquitablement lors d’une enquête, car elle parlait français.
Le tout commence en août 2012 alors que la plaignante est arrêtée au domicile de son ancien petit ami pour être rentrée chez lui après minuit. Elle se plaint par la suite au Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police au sujet du comportement de deux policiers du Service de police de Toronto (SPT) cette nuit-là.
Elle allègue notamment qu’elle n’a pas pu comprendre les motifs de son arrestation et les propos des deux policiers qui parlaient anglais malgré le fait qu’elle aurait signalé qu’elle ne comprenait pas car elle était francophone. Elle a invoqué, entre autres, que ses droits linguistiques et son droit à un avocat avaient été violés par les policiers qui ont procédé à son arrestation en plus d’accuser le SPT de ne pas l’avoir interrogée par la suite.
Dans sa décision, l’APFO conclut que la plainte d’Irénée Boua n’a pas besoin d’être renvoyée à la Police de Toronto pour une nouvelle enquête. Le SPT « avait rassemblé les preuves pertinentes nécessaires » et « a pu bénéficier de sa plainte détaillée et de ses arguments lors de l’examen, ainsi que de l’enregistrement du système de caméra dans la voiture la nuit en question », jugeait l’organisme chien de garde des policiers dans son verdict. Insatisfaite de ce verdict, Irénée Boua a alors porté ce dossier devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
Un « manquement à l’obligation de tenir compte d’un élément clé du dossier »
Dans sa décision, la Cour a infirmé la décision du directeur du Bureau de ne pas renvoyer la plainte à la police torontoise comme le demandait la plaignante, celui-ci jugeant avoir suffisamment d’éléments pour prendre une décision. Les trois juges dans l’affaire, Sandra Nishikawa, Shaun O’Brien et Janet Leiper, écrivent que le directeur n’a pas lu, compris ni « examiné les arguments (de la plaignante) parce qu’ils avaient été présentés en français » et cela « constitue un manquement à l’obligation de tenir compte d’un élément clé du dossier qui lui a été soumis », tranchent-ils.
De plus, le verdict écorche l’APFO de ne jamais avoir pris en considération les barrières linguistiques encourues par le fait que Mme Boua est une francophone.
« Il y avait une préoccupation sérieuse que Mme Boua n’avait pas été comprise au cours de la procédure d’enquête. Ceci est la première raison pour laquelle nous estimons que la décision du directeur est déraisonnable, parce qu’il n’a pas tenu compte de cette préoccupation », écrivent les trois juges de la Cour supérieure dans leur décision.
La plaignante a « soulevé à plusieurs reprises des préoccupations concernant le fait qu’elle parlait une autre langue que celle de la police, à la fois pendant l’incident en question et pendant la procédure d’enquête ». Elle indique avoir soulevé ce point avec l’enquêteur et dossier, mais elle a tout de même dû utiliser des applications de traduction pour pouvoir communiquer avec lui. Le tribunal a conclu que le fait de ne pas avoir pris en compte la langue de Mme Boua signifiait qu’elle avait été injustement traitée.
« Dans ces circonstances, il est particulièrement approprié de renvoyer l’affaire au directeur afin que la question de l’équité procédurale puisse être examinée et traitée de manière exhaustive », statuent les trois juges dans leur décision.
La cour n’a toutefois pas statué sur l’éventualité d’une violation des droits linguistiques de la francophone, car ils n’ont pas été soulevés durant le processus judiciaire. Bien que la plaignante se soit représentée elle-même, le tribunal a ordonné à l’APFO de lui payer 5 000 $ notamment pour des frais juridiques et des dépenses autres que ceux associés aux frais d’experts.