Franco-Ontariens à la Saint-Jean : « Je n’aurais jamais pensé voir ça » – Andréanne Germain

Andréanne Germain, à droite, dans le documentaire Pis nous autres dans tout ça?. Gracieuseté Andréanne Germain

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI :

Andréanne Germain, réalisatrice franco-ontarienne et résidente de Sudbury, qui avait écrit et réalisé, en 2007, le documentaire Pis nous autres dans tout ça? produit dans le cadre du concours Tremplin de l’Office national du film du Canada, en collaboration avec Radio-Canada.

LE CONTEXTE :

Le documentaire Pis nous autres dans tout ça? suit les pas d’Andréanne Germain, accompagnée de deux jeunes Québécois jouant les Franco-Ontariens, aux célébrations de la Saint-Jean-Baptiste sur les plaines d’Abraham, à Québec. Brandissant leurs immenses drapeaux franco-ontariens, ils interrogent les participants sur la signification du drapeau vert et blanc et les origines de la Saint-Jean-Baptiste, fête des Canadiens-français, devenue la Fête nationale du Québec en 1977.

L’ENJEU :

Cette année, une délégation franco-ontarienne a été invitée à ouvrir le traditionnel défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal, le 24 juin. Une façon pour les organisateurs de témoigner de leur solidarité avec les Franco-Ontariens, qui ont été touchés par les compressions du gouvernement de Doug Ford, cet automne.

« En 2007, vous aviez réalisé le documentaire Pis nous autres dans tout ça?. Qu’est-ce qui vous en avez donné l’envie?

À l’époque, j’étais étudiante en cinéma en anglais à l’université Ryerson, à Toronto. Pour ne pas perdre mon français, je passais mes étés à faire des stages au Québec. Pour les anglophones dans mes cours, je n’étais pas une « vraie francophone », parce que je ne venais pas de la France ni du Québec. Et pour les Québécois francophones, j’étais une bibitte bizarre qui suscitait toujours un tas de questions : où est-ce que j’ai appris à parler français? Tes parents sont-ils Québécois? Il y a des écoles francophones en Ontario?…

J’étais donc confrontée à devoir définir et défendre mon identité très souvent et c’était lourd. J’ai transformé cette frustration en scénario documentaire pour un de mes cours de cinéma. Je me souviens encore de mon pitch devant la classe lorsque mon prof m’a dit « This is not a topical subject, nobody cares about nationalism and French Canadian identity ». Pour le contrarier, j’ai envoyé le traitement à l’Office national du film et ça a donné Pis nous autres dans tout ça?!

Dans le documentaire, on voit des discussions animées, mais malgré tout cordiales. Aviez-vous reçu un bon accueil?

Ce n’était pas ma première Saint-Jean à Québec et je savais plus ou moins à quoi m’attendre comme réactions. Mais avant d’arriver à Québec, on a reçu un avis de la Ville nous avertissant qu’outre les drapeaux québécois, les seuls autres drapeaux tolérés étaient les drapeaux des patriotes et le drapeau noir anarchiste…

Lors du tournage, la grande majorité des gens n’avaient jamais vu le drapeau et essayaient de deviner de quoi il s’agissait : le drapeau d’un syndicat, quelque chose d’irlandais ou d’écologique, un Québec vert… En révélant que c’était un drapeau franco-ontarien, ça créait un certain malaise, vite dissipé en discutant. La plupart des gens ne savaient pas c’était quoi un Franco-Ontarien, mais étaient curieux et accueillants. Vers la tombée de la nuit, on a senti une certaine tension dans l’air et on a décidé de rouler nos drapeaux pour mieux se fondre dans la foule.

Est-ce qu’on vous en reparle souvent?

C’est un film qui a marqué plusieurs personnes. Chaque 24 juin, le film refait surface et je reçois des messages de gens qui me font part de leurs expériences et de leurs réactions au film. Je n’aurais jamais pensé qu’il aurait l’impact et la longévité qu’il a eu. C’était mon premier film en contexte professionnel.

Douze ans plus tard, quel regard portez-vous sur ce documentaire?

L’objectif était de réfléchir à la relation entre les Franco-Ontariens et les Québécois en utilisant la fête de la Saint-Jean, la fête nationale, comme prétexte. Aujourd’hui, on constate un vrai changement à cet égard.

C’est-à-dire?

Les temps ont changé, comme nous avons pu le constater avec l’appui venant des Québécois lors des coupes du gouvernement Ford en 2018 et avec la délégation à la Saint-Jean à Montréal. J’ai moi aussi changé depuis ce temps, car je ne suis plus en quête identitaire.

Participez-vous à la Saint-Jean chaque année?

J’y participe souvent. Je me souviens lorsque Vanier, quartier d’Ottawa, a décidé de raviver la fête de la Saint-Jean. C’était émouvant de voir les gens faire revivre leurs traditions, d’entendre les plus vieux parler de comment ça se passait dans le temps, de voir les enfants danser et former leurs propres souvenirs… Ça aurait fait une bonne suite au documentaire! Maintenant que je suis à Sudbury, il y a La Slague qui organise un super party, La Grande Saint-Jean de Sudbury.

Est-ce que les Canadiens-français se sont réapproprié cette fête, selon vous?

Il y a définitivement un plus grand intérêt à fêter la Saint-Jean en Ontario et en francophonie canadienne depuis que j’ai tourné ce documentaire. Je crois que c’était dans l’air du temps. D’après moi, la fête nationale, la Saint-Jean, sont à la base des fêtes du solstice d’été et par ce fait, sont fêtées dans plusieurs cultures autour du monde. Une fête n’en enlève pas à une autre. Au contraire, les gens sont en quête de sens et de symboles, et si la Saint-Jean peut contribuer à cette quête et offrir une opportunité d’affirmation collective, ça ne peut être que rassembleur.

Cette année, un cortège de Franco-Ontariens ouvrira le défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal. Qu’est-ce que cela représente pour vous?

Je n’aurais jamais pensé voir ça. Mais j’ai toujours pensé qu’un rapprochement était entièrement possible lorsque les bonnes circonstances seraient en place. C’est maintenant le temps parfait pour tisser des liens. »