François Legault et Doug Ford, une relation gagnant-gagnant

François Legault, en déplacement en Ontario en novembre 2018, suite aux coupes inattendues du gouvernement Ford chez les francophones. Archives ONFR+

Reconduit avec une majorité écrasante, à peine mieux que son homologue ontarien Doug Ford, le premier ministre québécois François Legault semble, à tout égard, partager une vision similaire pour sa province. Les deux premiers ministres entretiennent une relation stable, voire solide sur de nombreux sujets. Comment se traduit cette « bromance » qui paraît jouer en leur faveur?

L’Ontario et le Québec partagent de nombreux défis géopolitiques et géoéconomiques. L’été dernier, François Legault se félicitait d’avoir réduit l’écart de richesse avec l’Ontario.

Les deux hommes envisagent la politique de la même façon et s’inspireraient peut-être l’un de l’autre. Pour la politologue est professeure à l’Université d’Ottawa, Geneviève Tellier, « François Legault et Doug Ford sont en phase avec leurs électeurs. Les deux hommes se disent pour les travailleurs et les familles qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts ».

Proches du peuple, mais utilisant des moyens de communication – et en faisant une politique – parfois considérés comme obsolètes et traditionnels, ils ont fait campagne « à l’ancienne ».

Pour Jean-François Daoust, chercheur en comportement politique et professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke, « les deux hommes projettent la même image de « gentilshommes », ce qui attire une certaine sympathie ».

« Comme Doug Ford, M. Legault est très populaire chez les 50-60 ans, mais pas que », nuance le chercheur. « Legault a un soutien un peu plus large et ne représente pas que le parti des boomers. »

L’anti-jeu démocratique

C’est le style Ford et le style Legault. Alors que les autres leaders performent sur les réseaux sociaux à coup de chorégraphies Tik-Tok et d’immersion façon Poilièvre, les premiers ministres du Québec et de l’Ontario sont des hommes politiques avant tout.

« C’est surtout une question de génération », déduit Mme Tellier. « Au Québec, cela est très visible : on voit bien la différence entre centre-ville et région. Legault et Ford ont des méthodes de vieilles campagnes. »

Jean-François Daoust, chercheur en comportement politique et professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke. Gracieuseté

Ces méthodes traditionnelles sont aussi un jeu conservateur. Pour M. Daoust, « François Legault n’a pas trop cherché les médias. Il a refusé des entrevues et été critiqué pour ça ».

« Pourtant, il ne s’est pas caché des médias », reprend-il, « il a fait plus que le strict minimum », a contrario de M. Ford.  

François Legault n’a donc pas tout à fait appliqué la méthode Ford, au contraire. « Le premier ministre du Québec a pris des risques », constate Mme Tellier. « J’ai été surprise par cette stratégie. Selon moi, il a multiplié les points presse. »

En effet, comme cette dernière a si bien fonctionné pour Doug Ford, François Legault aurait pu s’en inspirer. « Mais cela n’a pas été le cas et visiblement cela a marché pour lui. »

Qui dit méthode, dit médias sociaux. C’est un bel exemple, puisque c’est là où les autres partis ont un terrain de jeu à exploiter.

Doug Ford et François Legault en novembre 2018. Archive ONFR+

MM. Ford et Legault ont rarement surfé sur cette tendance. Pourtant, les quelques fois où les deux hommes ont communiqué sur les réseaux, ils affichaient leur relation bonne enfant.

Une relation parsemée de blagues, de challenges et de mots affectifs, comme le montre la vidéo de M. Ford en 2021, suite à l’élimination des Maple Leafs de Toronto par les Canadiens de Montréal. Le premier ministre ontarien déclarait à son ami François : « I love you my friend. You’re the best. »

Compétition ou convoitise

Les deux hommes politiques se rejoignent sur des projets communs et veulent mettre l’accent sur l’économie.

Pour Geneviève Tellier, chacun d’eux voit l’économie comme primordiale. « Les deux veulent cette croissance économique avant tout. Même si François Legault n’est pas autant à droite que Doug Ford, les deux hommes ont une bonne compréhension du secteur privé. »

Geneviève Teliier
Geneviève Tellier, professeure à l’Université d’Ottawa. Crédit image : Lila Mouch

Comme le dit aussi M. Daoust : « Doug Ford et François Legault veulent parler des vraies affaires. Ce ne sont pas des débats d’intellectuels. Pour eux, l’important, c’est l’économie et ce qui touche le vrai monde. »

C’est aussi deux hommes qui viennent du milieu des affaires. « Ford a une grande admiration pour François Legault qui a créé Air Transat, une entreprise de plus grande envergure que la boîte familiale de Ford », explique Mme Tellier, « Doug Ford respecte ça ».

« Une compétition saine », analyse M. Daoust, « ce sont deux politiciens qui se respectent et donc, ont une réelle implication politique ».

Une relation d’unité

Pour le chercheur, quand il s’agit de faire front commun au gouvernement fédéral et notamment sur le sujet des transferts en santé, leur relation est un atout.  

Avoir une image unie des deux plus grandes provinces, cela donne inévitablement du poids.

« Il n’y a que des avantages à cette relation entre les deux et ils le savent », explique Jean-François Daoust, « ils sont tous les deux très pragmatiques ».

« Dans son premier mandat, François Legault parlait beaucoup de l’Ontario », explique le chercheur québécois. « Il était quasiment obsédé par l’Ontario, par rapport au niveau de richesse entre les deux provinces. Son projet de société était de rattraper l’Ontario. »

M. Ford se garde de dire ce qu’il pense de la Loi 96 et n’entre pas dans le débat. En effet, « le premier ministre ontarien comprend que ce n’est pas important ce qu’il en pense. Il veut respecter l’autonomie des provinces » en déduit, M. Daoust.

« C’est quelque chose de conservateur, on ne se mêle pas ça, alors que les libéraux ont tendance à être plus interventionnistes. »

Dans la même veine, Doug Ford est assez prudent sur ce qu’il pense de sa province voisine. « Il ne veut peut-être pas froisser le Québec », pense Geneviève Tellier.

Une « bromance » qui politiquement devrait leur servir, même si, en attendant, le premier ministre ontarien veut l’immigration du Québec et le premier ministre québécois veut le produit intérieur brut (PIB) de l’Ontario.