François Nadeau, entrepreneur de Kapuskasing récompensé
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
KAPUSKASING – En 2015, François Nadeau se lançait dans la production de fromages à Kapuskasing. Un pari fou qui cinq ans plus tard s’avère gagnant. Aujourd’hui, la Fromagerie Kapuskoise est devenue l’un des symboles du renouveau agricole dans le Nord de l’Ontario. Preuve de ce succès, François Nadeau vient de remporter l’un des cinq Prix RelèveON 2020 décernés par le Club canadien de Toronto et célébrant les « réussites de la nouvelle génération francophone en Ontario ».
« On savait depuis plusieurs mois que vous étiez dans les 12 finalistes des cinq Prix RelèveON 2020. Quelle fut votre réaction en apprenant que l’un de ces prix vous était finalement décerné.
Oh là (hésitation). C’était un peu une surprise, mais aussi un excitement. C’est un grand honneur. Beaucoup de ma famille attendait ça attentivement.
Qu’est-ce qu’on a récompensé en vous donnant ce prix, selon vous?
C’est certainement parce que c’est une entreprise avec une identité francophone forte. La Fromagerie Kapuskoise est un produit différent à sa façon, et peut-être que les jurés l’ont considéré comme osée, et hors de la boite, même si je ne peux pas dire quels étaient leurs critères.
La fromagerie a été lancée en 2015. Racontez-nous un peu la genèse de l’idée.
L’idée de la fromagerie a démarré suite à des voyages. J’ai voyagé beaucoup à partir de 2010. J’ai séjourné assez longuement en Asie, notamment en Chine. Une fois sur place, et ce pendant neuf mois, il y a deux produits qui me manquaient beaucoup : le pain croûté et le fromage. Pour le pain croûté, je pouvais le faire moi-même avec un four, mais pour le fromage… Je voulais faire un produit que l’on puisse promouvoir ici, chez moi, à Kapuskasing.
De là, j’ai eu l’idée de me lancer, et le produit semblait très intéressant pour moi. J’ai eu la joie de rencontrer des fromagers au Vietnam qui m’ont présenté le métier et autres. J’ai commencé un voyage au Québec où j’ai fait une formation de fromager, puis une autre formation en France.
Ces formations ont-elles été utiles et déterminantes?
Oui, car sans les formations, je présume que je n’aurais pas pu faire de mon mieux, et je me serais contenté de ce que j’ai trouvé en ligne. Il faut l’expertise avec des gens qui s’y connaissent. Naturellement, tu peux trouver une formation en ligne, mais tu ne peux jamais réellement remplacer l’expérience dans une fromagerie par une formation plus officielle.
On se doute que la création d’une fromagerie n’est pas de tout repos?
Non, car il faut tout d’abord un site web, il faut un plan, il faut aller voir les agences gouvernementales pour disons voir au moins ce qu’ils exigent, discuter ce qui est possible avec eux, avant de se lancer dans le projet. Il faut alors trouver un site, tenir compte de la possible augmentation des coûts sur le site.
On dit souvent que les grosses fromageries et les petites fromageries artisanales doivent suivre la même réglementation dans la province. En conséquence, il serait par exemple plus difficile de se lancer en affaires en Ontario qu’au Québec ou en France. Pouvez-vous nous éclairer?
Effectivement, on a été confronté à certaines choses que nos amis québécois n’ont pas. Un garage pour une fromagerie n’est par exemple pas obligatoire au Québec. Pour nos productions, si on était au Québec, on n’aurait pas été obligé d’avoir un garage. Dans les productions en France, on peut produire à l’intérieur de la maison. Tu peux vendre un produit que tu fais dans ta cuisine. Dans ces cas-là, tu peux commencer beaucoup plus petit, et élargir donc ta production selon les besoins. En Ontario, il faut des investissements d’entrée.
Qu’est-ce qui a fait le succès de votre fromagerie, malgré les difficultés du départ?
Pour commencer, ça n’aurait pas pu fonctionner sans un support rapide. Beaucoup de gens se sont intéressés à nos produits. Le premier été, la réception de la crotte de fromage a été excellente. Ça nous a aidé à nous tenir en place.
Progressivement, on a eu beaucoup de gens qui se lançaient. La communauté nous a aidé pour nous faire entrer dans les supermarchés. La clientèle du Sud de l’Ontario a fini par embarquer. Ça a pris un peu plus de temps, mais le produit était stable et consistant. Et puis, ça prend quelqu’un qui pouvait présenter nos produits dans le Sud. Mes parents ont commencé à faire les tournées pour promouvoir le produit.
La fromagerie compte six employés, mais peut-on parler d’une entreprise familiale?
Tous les employés sont pas mal des membres de la famille. L’employée du magasin a épousé mon frère. Quant à mon épouse, elle s’est jointe au projet. Et puis mes parents présentent les produits dans le Sud de la province.
Comment se déroulent vos ventes? Qui achète le fromage?
Notre plus gros bassin est Timmins, Cochrane et Hearst, mais on en vend à plusieurs régions dans le Sud comme le Grand Niagara. Comme nous sommes une entreprise provinciale, nous sommes beaucoup plus limités pour vendre à l’extérieure de la province.
Difficile de ne pas évoquer l’autre grande fromagerie de l’Ontario : la Fromagerie St-Albert. Qu’est-ce qui vous différencie l’une et l’autre?
Bien entendu, on n’est pas dans les plates-bandes de l’autre. Dans notre cas, ce sont des produits artisanaux et nous sommes plus attentifs à des points comme l’affinage. Pour eux, ils sont capables de fournir à un plus gros marché.
En quelques mots, pouvez-vous nous résumer un peu cette production de fromage?
En gros, nous produisons notre fromage avec trois types de lait : la brebis, la chèvre et la vache. Tous nos fromages sont pasteurisés, aucun n’est bio. Tous le fromages vont être coupés sur place, certains sont affinés.
Nous avons une bonne variété de fromages, le mattagami qui est semblable au cheddar basé sur le cantal, l’opasatika qui lui est basé sur la tomme, sec et savoureux, le pagwa, qui lui par exemple coule bien, basé sur le reblochon et le saint-nectaire, sans oublier le saganash, le fromage de brebis, le kaspuskasing, un fromage frais de chèvre, le fromage en grains…
Après cinq ans, quels sont les défis présentement de la fromagerie?
Comment dire… ça va dépendre des journées, et des défis que j’ai en face de moi. Ce sont souvent des problèmes techniques. Par exemple, le fromage mou de brebis avait tendance à devenir plus coulant avant. Maintenant, il semble retenir mieux l’eau auparavant. Il a fallu qu’on coupe plus petit pour l’égouttage. Il peut y avoir aussi l’enjeu des ventes, on sait que généralement on est très occupé durant l’été et à Noël, mais ce n’est pas le cas en janvier et février.
Et cette COVID-19 alors, comment la Fromagerie Kapuskoise l’a-t-elle vécue?
Ça a été difficile, surtout les deux premiers mois où les ventes ont chuté. On était pris avec les fromages affinés qu’on avait produits d’avance, et qu’on ne pouvait pas vendre du fait que les restaurants étaient fermés, et sont des gros consommateurs du fromage affiné.
Dairy Farmers of Ontario [l’organisme responsable de commercialisation et de la réglementation du lait, représentant plus de 4 000 producteurs laitiers de l’Ontario] nous demandait d’habitude l’achat de 1 000 litres minimum, mais ils nous ont autorisés à prendre un peu moins. On a pu donc faire moins de fromage affiné, car on ne voulait pas trop en produire. En fait, Dairy Farmers of Ontario gère le déplacement du lait de vache. Notre fromagerie ne s’occupe pas de l’achat de ce lait. Aussi, nous avons reçu des aides gouvernementales qui nous ont beaucoup aidés.
On devine que, dans ces conditions, vous n’avez pas pu vous déplacer pour les ventes…
Non effectivement. Généralement, mes parents font des tournées dans le Sud pour promouvoir. Cette année, nous en avons fait un peu moins en raison de la COVID-19. À la fin de la crise, on va essayer de les redémarrer. Pour l’instant, ce qu’on fait en termes de publicité, c’est plus la présence dans le marché, le bouche-à-oreille.
Craignez-vous une seconde vague dans le Nord de l’Ontario?
Toujours un peu oui, même si on n’a pas eu nécessairement une première vague massive, mais on a supposément eu un cas cette semaine à Timmins. Le Nord de l’Ontario n’est pas dans l’abri. Il y a beaucoup de transports entre les régions, donc des risques que des cas viennent ici. Dans le Nord, on espère que ça va rester comme ça!
Vous êtes une entreprise francophone et bilingue. Dans quelle mesure, ce bilinguisme constitue-t-il un atout?
On opère à l’interne complètement en français, mais on offre tout de même le service en anglais à nos clients. C’est important cet aspect francophone, surtout pour la clientèle locale. Kaspuskasing reste majoritairement francophone. Aussi, on a vu beaucoup de voyageurs du Québec et des francophones d’ailleurs qui passent par ici. La langue est un atout. Certainement, le monde qui a entendu parler de nous ou a visité notre fromagerie sera plus interpellé à acheter nos produits en français.
Comment voyez-vous l’avenir d’évolution de la fromagerie dans les années à venir?
Je souhaite que l’on se maintienne au niveau où on est maintenant, avec deux trois choses à modifier. On va voir ce que l’on fera de nouveau à la fin de la COVID-19, quand le marché de l’agriculture sera devenu plus sécure.
Beaucoup de jeunes quittent le Nord et ne reviennent pas, vous c’est l’inverse.
Oui! Je suis né ici, mon père est natif d’ici, mes grands-parents sont de Moonbeam. J’ai bien l’intention de rester dans cette entreprise jusqu’à ma retraite. »
LES DATES-CLÉS DE FRANÇOIS NADEAU :
1988 : Naissance à Hearst
2005 : Graduation de l’École secondaire catholique Cité des jeunes de Kapuskasing
2010 : Départ d’un voyage pour plusieurs mois en Asie
2015 : Lancement de la Fromagerie Kapuskoise
2020 : Obtient l’un des cinq Prix RelèveON
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.