Gabrielle Lemieux est présidente de l'Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens pour les deux prochaines années. Gracieuseté

OTTAWA – Elle est le nouveau visage de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), mais est loin d’être une inconnue dans le milieu de l’éducation francophone. Gabrielle Lemieux a à son actif de nombreuses implications bénévoles que ce soit à la FESFO, ou à l’AEFO. Rencontre avec une enseignante passionnée du Nord qui souhaite miser sur la consultation et la collaboration.

« Vous venez d’accéder à la présidence de l’AEFO, depuis le mois de septembre, quels sont vos objectifs pour votre mandat?

Pour moi, c’est vraiment de s’assurer qu’on demeure proche des membres pour que quand on fait nos revendications auprès des employeurs ou du gouvernement, qu’on soit vraiment à l’affût de ce qui se passe dans leur quotidien.

Gabrielle Lemieux a été vice-présidente de l’AEFO pendant trois mandats à compter de 2018 avant d’avoir été élue à la présidence de l’organisme en février dernier. Source : Compte X de l’AEFO

L’AEFO a récemment conclu des ententes avec le gouvernement pour le renouvellement des conventions collectives : est-ce la fin de la bataille?

C’est sûr que c’est un début. Le cycle des négociations est perpétuel. Il y a des choses que de notre côté ou de l’autre, on finit par laisser tomber pour arriver à une entente. Je pense que ce serait vraiment idéaliste de penser que c’est la fin. Nos revendications n’arrêteront pas que ce soit au niveau du financement des institutions publiques, de la violence à l’école, la pénurie de main-d’œuvre. Le travail de l’AEFO va bien au-delà des négociations.

En tant qu’enseignante, comment voyez-vous les nouvelles règles sur l’interdiction du vapotage et du cellulaire en classe?

À mon avis, c’est certain qu’il faut en parler et voir les mesures qui ont été mises en place. Je ne suis pas certaine que ça va vraiment attaquer le gros du problème, on est en train de mettre des solutions qui sont temporaires.

Ça ajoute au fardeau de la tâche d’enseignant d’avoir à gérer ces situations-là. Il est possible aussi que ces annonces soient là pour – peut-être – enlever le spotlight sur les coupures qui ont été faites en éducation.

Gabrielle Lemieux aux côtés de Fabien Hébert, président de l’Assemblée de la Francophonie de l’Ontario (à gauche) et Sylvain Ducharme, vice-président de l’AEFO (à droite) en octobre. Gracieuseté

On a assisté à une sorte de valse des ministres de l’Éducation, trois ministres en peu de temps, est-ce que ça vous inquiète?

On aurait besoin que ce soit plus stable, mais avoir un changement, ce n’est pas toujours mauvais non plus. J’ai quand même espoir qu’avec un changement au niveau du ministère de l’Éducation, on va peut-être voir quelqu’un qui va être un peu plus à l’écoute et peut-être prêt à consulter davantage.

J’ai déjà eu l’occasion de discuter brièvement avec madame Dunlop. On est entrées en poste toutes les deux à peu près en même temps alors c’est aussi une belle occasion de pouvoir s’approprier des dossiers, de voir ce qu’on est capable de faire ensemble.  Sans être trop optimiste, il y a quand même des opportunités qui sont là.

Avez-vous bon espoir que, justement, ça se passe bien avec la ministre Dunlop par rapport à la question des francophones?

Mon souhait c’est vraiment qu’elle comprenne le système d’éducation francophone, ses enjeux et ses besoins particuliers. Il faut que le financement soit adéquat pour assurer la pérennité de ce système qui n’est pas le même que du côté anglophone. Je lui ai recommandé d’aller visiter des écoles francophones et surtout de miser sur la consultation. Il faut vraiment se fier aux acteurs qui sont sur le terrain et les partenaires à l’éducation, c’est essentiel.

Vous habitez maintenant à Ottawa, comment se passe votre adaptation?

Alors, même si je n’avais jamais vécu ici, je me sens quand même un peu chez moi. Quand j’étais jeune, j’étais impliquée avec la FESFO, et on venait souvent à Ottawa pour des réunions. C’est sûr que c’est une grande ville alors il y a quand même des moments où je rentre à l’épicerie et je réalise qu’ici c’est à peu près quatre fois la taille de celle de la maison. Mais je m’adapte bien pour le moment.

Gabrielle Lemieux, vice-présidente de l’AEFO, manifestant contre les coupes en éducation à Queen’s Park en 2019. Gracieuseté

Vous avez aussi dû arrêter d’enseigner, est-ce quelque chose qui va vous manquer?

C’est sûr que je savais que de quitter la salle de classe serait un sacrifice. Alors, pour moi, ce n’est pas une question de vouloir quitter la salle de classe, mais bien de pouvoir impacter celle-ci à un autre niveau. C’est ça qui m’a poussée à me présenter pour ce poste, mais de fermer la porte de ma salle de classe a quand même été difficile pour moi au mois de juin. Le contact quotidien avec les jeunes me manque tous les jours, mais je sais que le travail que je suis en train de faire avec l’équipe sera bénéfique pour eux aussi.

Pour revenir un peu sur ce que vous disiez plus tôt, en quoi consistait votre implication à la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO)?

J’y ai été impliquée dès la neuvième année aux activités de la FESFO, mais j’ai été élue à la vice-présidence de la quand j’étais en deuxième année CPO. J’ai été impliqué assez jeune au niveau d’un organisme qui m’a vraiment donné des ailes pour mon implication communautaire. Pour s’impliquer, à la base de nos associations, il faut comprendre la gouvernance d’organismes, les conseils d’administration et tout ça.

La FESFO m’a vraiment donné ce boost là au niveau de leadership de savoir que, même à mon jeune âge, j’avais ce qu’il fallait pour m’impliquer. Je pouvais comprendre les enjeux et le fonctionnement de l’organisme. Ça a été un tremplin sur lequel je me suis propulsé pour le reste de ma vie. Aujourd’hui encore, je leur suis encore très reconnaissante. C’est un organisme qui peut vraiment venir impacter considérablement la communauté francophone.

Présentation devant une centaine d’étudiantes et d’étudiants de la Faculté d’éducation d’Ottawa pour leur faire découvrir l’AEFO en octobre. Gracieuseté

Vous avez aussi été impliquée au niveau syndical comme présidente de l’Unité 57-Nord-Ouest publique pendant cinq ans alors que vous étiez enseignante, c’était important pour vous de continuer votre engagement communautaire?

C’était extrêmement difficile, jongler notre gagne-pain avec une occupation bénévole ce n’était pas évident! J’avais 27 ans quand j’ai été élue comme présidente au niveau de l’unité, mais ça aussi ça m’a donné un tremplin vers le provincial, de comprendre le fonctionnement interne au niveau local. L’autre chose c’est que ça m’a aussi fait réaliser que de mousser l’importance du leadership féminin puis de prendre place c’est tellement important. Il n’est jamais trop tard pour s’impliquer. On donne ce qu’on peut et on fait ce qu’on peut. Se tenir informé, participer à des activités, s’impliquer c’est ce qui permet de garder une communauté en bonne santé, pas juste pour survivre, mais pour s’épanouir aussi.

Comment avez-vous eu la piqure pour l’enseignement?

Je pense que j’ai eu des enseignants incroyables tout au long de mon parcours. Voir leur passion pour l’enseignement m’a inspiré, même mes poupées je les amenais pour leur faire l’école. Je pense que je savais dès le début que je voulais enseigner, mais c’est vraiment dans les stages d’éducation coopérative au secondaire ou des placements qui m’ont permis de peaufiner à quel niveau je voulais enseigner.

À l’université, j’ai vraiment compris que je voulais vraiment enseigner au secondaire, d’animer aussi avec la FESFO. J’étais très stimulée par le fait d’aller chercher des groupes de jeunes adolescents et les aider à développer leur leadership, à devenir des citoyens, pas juste de demain, mais d’aujourd’hui aussi.

Gabrielle Lemieux, alors présidente de l’Association des étudiants francophones de l’Université Laurentienne, à l’occasion de la manifestation contre la hausse des frais de scolarité en 2007 à Queen’s Park. Gracieuseté

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans le métier d’enseignant aujourd’hui?

C’est vraiment la lourdeur de la tâche et on est dans un domaine où on ajoute constamment des initiatives. Je vais aller au-delà des enseignants, avec le personnel professionnel qui travaille dans nos des écoles : on n’arrête pas d’en ajouter sur leurs épaules. Et puis il n’y a pas vraiment un regard sur ce qu’on peut enlever pour compenser. Sans parler du poids sociétal qui est ajouté sur les écoles au niveau de ce qu’on inculque aux enfants au sujet de la violence des bonnes valeurs citoyennes et tout ça, ça peut devenir extrêmement lourd. Ce qui est dommage c’est aussi qu’on ne consulte pas assez et on ne respecte pas toujours le jugement professionnel de ces gens qui ont investi dans l’éducation et leur formation pour devenir des professionnels de l’éducation.

Gabrielle Lemieux en 2013 durant le Projet Outremer en Guinée Conakry animant un jeu coopératif. Gracieuseté

S’il y avait une chose que vous retenez le plus de votre parcours, à ce jour, ce serait laquelle?

Je dirai qu’une chose qui m’a vraiment marquée ce sont les projets auxquels j’ai participé à travers la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants. Mon premier était en Guinée-Conakry en 2013 et ensuite je suis allée en Haïti en 2016 et au Togo en 2018.

Ce qui m’a marqué c’est vraiment ce travail de collaboration avec des syndicats d’enseignants dans les pays en développement qui n’ont pas accès nécessairement du perfectionnement professionnel. Ça a été vraiment une expérience incroyable, non seulement de voyager, mais au niveau professionnel aussi d’avoir la chance de travailler avec des experts en éducation qui viennent d’autres pays pour aller cibler leurs expertises puis d’apporter des choses plutôt canadiennes.

Ça m’a fait sentir comme si je fais partie d’une énorme famille ou d’un énorme réseau d’éducateurs au niveau international. C’est vraiment des événements qui m’ont ouvert les yeux et qui m’ont permis de travailler avec plein de collègues canadiens et à l’international. »

1984 – Naissance à Sudbury.

1998 – Première implication à la FESFO (Fédération de la jeunesse franco-ontarienne)

2008 – Début de carrière en enseignement à Dubreuilville

2012 – Élue à la présidence de l’Unité 57 – Nord-Ouest publique de l’AEFO

2024 – Élue à la présidence de l’AEFO

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.