Gabrielle Lemieux, nouvelle voix forte des enseignants franco-ontariens
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – Elle est le nouveau visage de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), mais est loin d’être une inconnue dans le milieu de l’éducation francophone. Gabrielle Lemieux a à son actif de nombreuses implications bénévoles que ce soit à la la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO), ou à l’AEFO. Rencontre avec une enseignante passionnée du Nord qui souhaite miser sur la consultation et la collaboration.
« Vous venez d’accéder à la présidence de l’AEFO, depuis le mois de septembre. Quels sont vos objectifs?
Je veux m’assurer qu’on demeure proche des membres pour qu’au moment de faire nos revendications auprès des employeurs ou du gouvernement, on soit vraiment à l’affût de ce qui se passe dans leur quotidien.
L’AEFO a récemment conclu des ententes avec le gouvernement pour le renouvellement des conventions collectives. Est-ce la fin de la bataille?
C’est sûr que c’est un début. Le cycle des négociations est perpétuel. Il y a des choses de notre côté ou de l’autre qu’on finit par laisser tomber pour arriver à une entente. Ce serait vraiment idéaliste de penser que c’est la fin. Nos revendications n’arrêteront pas, que ce soit au niveau du financement des institutions publiques, de la violence à l’école, de la pénurie de main-d’œuvre. Le travail de l’AEFO va bien au-delà des négociations.
En tant qu’enseignante, comment voyez-vous les nouvelles règles sur l’interdiction du vapotage et du cellulaire en classe?
C’est certain qu’il faut en parler et voir les mesures qui ont été mises en place. Je ne suis pas certaine que ça va vraiment attaquer le gros du problème. On est en train de mettre des solutions qui sont temporaires.
Ça ajoute au fardeau de la tâche d’enseignant d’avoir à gérer ces situations-là. Il est possible aussi que ces annonces soient là pour – peut-être – enlever le spotlight sur les coupures qui ont été faites en éducation.
On a assisté à une sorte de valse des ministres de l’Éducation : trois ministres en peu de temps. Cela inquiète-t-il?
On aurait besoin que ce soit plus stable, mais avoir un changement n’est pas toujours mauvais non plus. J’ai quand même espoir qu’avec un changement au niveau du ministère de l’Éducation on va peut-être voir quelqu’un plus à l’écoute et prêt à consulter davantage.
J’ai déjà eu l’occasion de discuter brièvement avec Mme Dunlop. On est entrées en poste toutes les deux à peu près en même temps, alors c’est aussi une belle occasion de pouvoir s’approprier des dossiers, de voir ce qu’on est capable de faire ensemble. Sans être trop optimiste, il y a quand même des opportunités qui sont là.
Avez-vous bon espoir que, justement, ça se passe bien avec la ministre Dunlop par rapport à la question des francophones?
Mon souhait c’est qu’elle comprenne le système d’éducation francophone, ses enjeux et ses besoins particuliers. Il faut que le financement soit adéquat pour assurer la pérennité de ce système qui n’est pas le même que du côté anglophone. Je lui ai recommandé d’aller visiter des écoles francophones et surtout de miser sur la consultation. Il faut se fier aux acteurs qui sont sur le terrain et les partenaires à l’éducation, c’est essentiel.
Vous habitez maintenant à Ottawa. Comment se passe votre adaptation?
Même si je n’avais jamais vécu ici, je me sens quand même un peu chez moi. Quand j’étais jeune, j’étais impliquée dans la FESFO, et on venait souvent à Ottawa pour des réunions. C’est une grande ville, alors il y a quand même des moments où je rentre à l’épicerie et je réalise qu’ici c’est à peu près quatre fois la taille de celle de la maison. Mais je m’adapte bien pour le moment.
Vous avez aussi dû arrêter d’enseigner. Est-ce quelque chose qui va vous manquer?
Je savais que quitter la salle de classe serait un sacrifice. Alors, pour moi, ce n’est pas une question de vouloir quitter la salle de classe, mais bien de pouvoir impacter celle-ci à un autre niveau. C’est ça qui m’a poussée à me présenter pour ce poste, mais de fermer la porte de ma salle de classe a quand même été difficile pour moi au mois de juin. Le contact quotidien avec les jeunes me manque tous les jours, mais je sais que le travail que je suis en train de faire avec l’équipe sera bénéfique pour eux aussi.
Pour revenir un peu sur ce que vous disiez plus tôt, en quoi consistait votre implication à la FESFO?
J’y ai été impliquée dès la neuvième année, mais en été élue à la vice-présidence quand j’étais en deuxième année CPO. Je me suis investie assez jeune au niveau d’un organisme qui m’a donné des ailes pour mon implication communautaire. Pour s’engager, à la base de nos associations, il faut comprendre la gouvernance, les conseils d’administration, etc.
La FESFO m’a vraiment donné ce boost là au niveau du leadership. Je pouvais comprendre les enjeux et le fonctionnement de l’organisme. Ça a été un tremplin pour le reste de ma vie. Aujourd’hui encore, je leur suis très reconnaissante. C’est un organisme qui impacte considérablement la communauté francophone.
Vous avez aussi été investie au niveau syndical comme présidente de l’Unité 57-Nord-Ouest publique pendant cinq ans, alors que vous étiez enseignante. Était-ce important pour vous de continuer votre engagement communautaire?
C’était extrêmement difficile de jongler entre un gagne-pain et une occupation bénévole! J’avais 27 ans quand j’ai été élue présidente au niveau de l’unité mais, ça aussi, ça m’a donné un tremplin vers le provincial, grâce à la compréhension du fonctionnement interne au niveau local. Ça m’a aussi fait réaliser l’importance du leadership féminin. Il n’est jamais trop tard pour s’impliquer. On donne ce qu’on peut. Se tenir informé et participer à des activités permet de garder une communauté en bonne santé.
Comment avez-vous eu la piqure pour l’enseignement?
J’ai eu des enseignants incroyables tout au long de mon parcours. Leur passion m’a inspirée. Même mes poupées, je les amenais pour leur faire l’école. Je voulais dès le début enseigner, mais ce sont vraiment des stages d’éducation coopérative au secondaire et des placements qui m’ont permis de cerner à quel niveau je voulais enseigner.
À l’université et à la FESFO, j’ai compris que je voulais enseigner au secondaire. J’étais très stimulée par le fait d’aller chercher des groupes de jeunes adolescents et les aider à développer leur leadership, à devenir des citoyens, pas juste de demain, mais aussi d’aujourd’hui.
Qu’est-ce qui est le plus difficile dans le métier d’enseignant aujourd’hui?
C’est la lourdeur de la tâche dans un domaine où on ajoute constamment des initiatives. Je vais aller au-delà des enseignants, avec le personnel professionnel qui travaille dans nos des écoles : on n’arrête pas d’en ajouter sur leurs épaules. Et puis il n’y a pas un regard sur ce qu’on peut enlever pour compenser. Sans parler du poids sociétal qui s’est ajouté sur les écoles au niveau de ce qu’on inculque aux enfants au sujet de la violence, des bonnes valeurs citoyennes, etc. Ce qui est dommage, c’est aussi qu’on ne consulte pas assez et on ne respecte pas toujours le jugement de ces gens qui ont investi dans l’éducation et leur formation pour devenir des professionnels.
S’il y avait une chose à retenir de votre parcours, à ce jour, de quoi s’agirait-il?
Une chose qui m’a vraiment marquée ce sont les projets auxquels j’ai participé à travers la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants en Guinée-Conakry en 2013, puis en Haïti en 2016 et au Togo en 2018.
Ce qui m’a marquée, c’est vraiment ce travail de collaboration avec des syndicats d’enseignants dans les pays en développement qui n’ont pas accès nécessairement du perfectionnement professionnel. Ça a été une expérience incroyable, non seulement de voyager, mais aussi au niveau professionnel d’avoir la chance de travailler avec des experts en éducation qui viennent d’autres pays pour cibler leurs expertises puis apporter des choses plutôt canadiennes.
J’ai eu la sensation de faire partie d’une énorme famille ou d’un énorme réseau d’éducateurs au niveau international. Ce sont des événements qui m’ont ouvert les yeux et qui m’ont permis de travailler avec plein de collègues canadiens et à l’international. »
LES DATES-CLÉS DE GABRIELLE LEMIEUX :
1984 – Naissance à Sudbury
1998 – Première implication à la FESFO
2008 – Début de carrière en enseignement à Dubreuilville
2012 – Élue à la présidence de l’Unité 57 – Nord-Ouest publique de l’AEFO
2024 – Élue à la présidence de l’AEFO
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.