Gisèle Lalonde et le patrimoine franco-ontarien
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, l’historien et spécialiste de patrimoine Diego Elizondo.
[CHRONIQUE]
Il y a un an, Gisèle Lalonde nous quittait. Tous ont salué unanimement, et à juste titre, sa remarquable vie consacrée à la francophonie ontarienne. Si cette véritable icône de la francophonie sera à jamais associée au mouvement S.O.S. Montfort qu’elle a présidé, cette chronique propose de faire découvrir sa contribution méconnue dans le domaine du patrimoine franco-ontarien.
Après avoir mis en valeur le patrimoine franco-ontarien de son vivant, Gisèle Lalonde, fait maintenant son entrée dans l’histoire, au musée et dans notre toponymie.
L’histoire
Le moins qu’on puisse dire c’est que Gisèle Lalonde a toujours eu le sens de l’histoire. Elle y consacre une grande importance dans son implication communautaire.
Cela commence tôt à l’école avec l’influence que la congrégation religieuse des Filles de la Sagesse a eue sur elle : « elles m’ont enseigné mes droits de femme, à apprendre à me dépasser, l’attachement à mon histoire, à mon patrimoine et le respect », déclarait-elle en 2010.
Au Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques
À titre de directrice générale fondatrice du Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques (CFORP), elle fait publier de 1978 à 1984 trois séries de livres sur l’histoire de villes et villages franco-ontariens, de partout en province. Mieux connus sous le nom de « PRO-F-ONT » (diminutif de Projet franco-ontarien), ces livres d’histoires destinés aux salles de classes du secondaire furent parmi les premiers documents qui permettaient aux Franco-Ontariens de connaître l’histoire de leur localité.
En 1984, l’année du 10ᵉ anniversaire du CFORP (et des festivités du bicentenaire de l’Ontario), pour marquer ce double jalon, paraît un agenda historique sur l’Ontario français. Une première du genre.
Dans sa préface, Gisèle Lalonde écrit : « Nous désirons par cet agenda historique sceller un pacte avec le passé et démontrer aux yeux de tous que nous sommes chez nous en Ontario […] Cet agenda se veut une preuve flagrante que des Franco-Ontariens ont joué un rôle important dans l’histoire de cette province. »
La même année, elle utilise des fonds qu’elle avait à sa disposition pour monter deux expositions itinérantes : la première sur le Règlement 17 et la seconde sur le patrimoine franco-ontarien.
La tournée des expositions culmine à Queen’s Park où elle pousse l’audace jusqu’à présenter l’exposition sur Règlement 17 au premier ministre de l’Ontario de l’époque, Bill Davis.
À la même époque, Gisèle Lalonde fait publier la première anthologie sur la littérature franco-ontarienne. Avec Yolande Grisé (l’auteure de l’anthologie), elle se rend à Montréal et réussit à la faire publier chez la maison d’édition Fides. Dans la préface du premier volume, Lalonde écrit : « Nous sommes un peuple dont l’histoire est marquée d’hommes courageux, de femmes fortes. »
Ironie du calendrier, le CFORP est fondé par Gisèle Lalonde un 7 janvier 1974, alors que la fameuse bataille des épingles à chapeau a eu lieu également… un 7 janvier 1916.
Après le CFORP, Gisèle Lalonde se lance en politique municipale et est élue mairesse de Vanier. Dans ses mémoires, elle raconte que le soir de sa victoire électorale, elle pense à tous les illustres maires qui l’ont précédée.
S.O.S. Montfort et l’histoire
L’historien Marcel Martel a répertorié les nombreuses allusions directes que S.O.S. Montfort a faites à la crise du Règlement 17. Par exemple, le discours de Gisèle Lalonde du fameux 22 mars 1997 est imbibé du sens de l’histoire.
Du sens de l’histoire qui l’habitait, elle devient à son tour elle-même un personnage historique. Gisèle Lalonde a un impact certain sur la conscience historique des jeunes franco-ontariens, comme l’ont étudié les chercheurs universitaires Jean-Philippe Croteau, Stéphane Lévesque et Raphaël Gani.
Un élève d’une école secondaire de la région d’Ottawa résumait aux trois chercheurs la bataille de S.O.S. Montfort en ces mots : « En 1997, la bataille du français en Ontario fut incroyable. Le gouvernement annonça la fermeture « de la seule hôpital française » (sic) en Ontario, soit l’Hôpital Montfort. Gisèle Lalonde s’est chargée de réunir les Franco-Ontariens et ensemble de se battre pour leur droit à recevoir des services en français. Elle a commencé l’opération SOS Montfort. Grâce à ces efforts, Montfort est encore en marche aujourd’hui. »
Ce qui est frappant, c’est que Gisèle Lalonde est devenue une référence même chez des Franco-Ontariens issus de la diversité. Dans l’exemple suivant, une élève née au Mexique affirme, au terme de douze années de scolarité en sol franco-ontarien, que : « Béatrice Desloges avait des écoles clandestines francophones et s’est battue avec des épingles contre des policiers pour abolir le règlement 17. Comme Gisèle Lalonde qui s’est battue contre la fermeture de l’Hôpital Montfort. »
En outre, Gisèle Lalonde sera l’une des six personnalités franco-ontariennes à voir sa biographie être publiée par le CFORP dans la collection Des gens d’exception, en 2011. Un retour aux sources qui n’est pas sans rappeler vaguement la série des « Pro-F-Ont ».
Au moment de son décès, il y a un an, le professeur d’histoire de l’Université d’Ottawa et spécialiste en histoire franco-ontarienne Michel Bock estimait que sa mémoire ne risque pas de disparaître de sitôt. En entrevue au journal étudiant La Rotonde, il soutient que Gisèle Lalonde figurera, si ce n’est pas déjà le cas, au « panthéon des grandes figures de l’histoire franco-ontarienne » pour les années à venir.
Au micro d’ONFR+, le président-directeur général de l’Hôpital Montfort au moment de la crise, Gérald Savoie, l’a comparée à la Jeanne d’Arc de l’Ontario français.
Le village franco-ontarien à Vanier
Fait totalement méconnu aujourd’hui, Gisèle Lalonde a milité et imaginé un village d’antan franco-ontarien, à Vanier.
S’inspirant des villages d’antan d’Upper Canada Village situés à Morrisburg (près de Cornwall) ou du village acadien de Caraquet, l’idée est lancée au moment de la campagne électorale provinciale de 1981.
C’est l’une des promesses clefs du candidat vedette du Parti progressiste-conservateur dans la circonscription d’Ottawa-Est, le militant franco-ontarien Omer Deslauriers.
Gisèle Lalonde (qui avait précédé Deslauriers comme candidate progressiste-conservatrice dans la même circonscription l’élection précédente) se fait confier, par le conseil municipal de la Cité de Vanier le 18 mars 1981, la présidence du Comité du village franco-ontarien à Vanier.
Travail qu’elle effectuera bénévolement.
Une idée de Gisèle Lalonde et Omer Deslauriers
En entrevue au journal Le Droit, en décembre 1981, elle raconte que « cette idée, c’était la nôtre. M. Deslauriers était venu me voir au Centre franco-ontarien de ressources pédagogiques et m’avait demandé ce que moi, j’entrevoyais comme solutions possibles économiques de Vanier et afin de lui permettre de prendre la place qui lui revient en Ontario ».
La campagne électorale terminée et Deslauriers défait, c’est Gisèle Lalonde qui continue de mousser le projet : « On a quelque chose de nouveau à offrir. Il faut aller vers ce que nous, comme peuple, pouvons offrir. Faut miser sur la population, sur nos ressources culturelles, sur notre dynamisme », affirme-t-elle dans un élan passionné au journal Le Droit.
Elle indique ne pas être la seule à y croire : « Je reçois presque tous les jours des appels de personnes qui amassent des choses à exposer dans le village. On me demande quand il sera construit et quand elles pourront laisser des choses. »
Le gouvernement de l’Ontario octroiera une subvention de 30 000 $ pour effectuer une étude de faisabilité sur la rentabilité d’un village d’antan franco-ontarien à Vanier.
Une firme déposera en 1982 un rapport favorable à la vitalité du projet et, deux ans plus tard, dans son rapport sur l’avenir de la Cité de Vanier, l’historien franco-ontarien Robert Choquette appuiera aussi l’idée.
Malheureusement, le village franco-ontarien à Vanier ne dépassera pas le stade du rapport de faisabilité. Quelques années plus tard à peine, en 1985, au moment où elle est élue à la mairie de Vanier, c’est sur l’Île Cummings que Gisèle Lalonde misera pour développer le potentiel économique, touristique et patrimonial de sa cité.
L’Île Cummings
L’Île Cummings est une île inhabitée située dans la rivière Rideau entre la Cité de Vanier et la ville d’Ottawa. C’est sur cette île que l’histoire de Vanier a débuté lorsque le pionnier Charles Cummings s’en porte acquéreur en 1836 et y érige un magasin général et un pont à péage reliant les deux rives.
L’Île est achetée par la ville d’Ottawa en 1920, mais Gisèle Lalonde rêve de la revoir revenir dans le giron de sa municipalité en raison de son importance historique.
Le projet lui tient tellement à cœur qu’elle en fait le thème central de son discours inaugural lors de son assermentation comme mairesse en décembre 1985.
L’éditorialiste du journal Le Droit Alain Dexter s’enthousiasme pour ce projet : « Ça va bouger à Vanier, s’il faut en juger par le discours inaugural prononcé mardi par le maire Gisèle Lalonde. Quel stimulant que de voir cette femme faire son entrée en politique en lançant un débat sur l’intégrité du territoire de Vanier et sur son devenir économique. Mme Lalonde a une affection évidente pour l’histoire. »
« Sa volonté de reprendre l’Île Cummings, présentement incorporée à Ottawa, donne d’ailleurs une idée de l’envergure de cette politicienne qui s’inscrit dans la tradition des architectes de ce pays. C’est une bâtisseuse qui a un sens du territoire et une vision musclée de son rôle de magistrat municipal. Tous ces Québécois qui rêvent de récupérer le territoire du Labrador peuvent facilement s’identifier au rêve de Gisèle Lalonde, parce que l’Île Cummings (si petite soit-elle) fait partie du patrimoine de Vanier. »
S’appuyant sur des documents légaux du début du XXe siècle qu’elle a trouvés dans les archives, Gisèle Lalonde plaide tout au long des pourparlers en misant sur l’histoire : « l’Île Cummings nous revient de droit! » déclare-t-elle carrément.
Après moult négociations, elle réussit à rapatrier l’Île dans le territoire de Vanier en juin 1986 en vertu d’une entente.
Pour souligner l’événement, une cérémonie est organisée sur l’île le jour de la St-Jean-Baptiste. Gisèle Lalonde déclare vouloir « en faire un site qui saura souligner notre histoire, notre culture et notre joie de vivre ».
Parmi les autres projets à connotation patrimoniale que Gisèle Lalonde instiguera, plusieurs se réaliseront tels que la création du Festival des sucres de Vanier en 1987, la construction d’une cabane à sucre dans le parc Richelieu en 1998, ou encore celui de restaurer la statue de la Vierge Marie, vestige de l’époque de la présence de la congrégation religieuse des Pères Blancs à Vanier.
Mais parmi tous ses projets patrimoniaux, celui d’un musée à Vanier aura été celui qui a le plus abouti.
Le Muséoparc Vanier
À la veille de la fusion municipale de Vanier à Ottawa, des citoyens de Vanier, Diane Doré en tête, militent pour la création d’un musée : « J’en ai discuté avec Gisèle Lalonde et elle m’a suggéré d’ajouter à ce musée l’histoire de la communauté franco-ontarienne. C’est une très bonne idée », déclare-t-elle en entrevue au Droit en 2000.
Ce Musée verra le jour le 11 octobre 2006 et prendra le nom de Muséoparc Vanier. Seul musée dédié à la francophonie à Ottawa et l’un des rares au Canada, il s’est refait une cure de jouvence au mois de juin dernier avec ses locaux entièrement rénovés et une nouvelle aire d’exposition permanente entièrement refaite.
Naturellement, Gisèle Lalonde y tient maintenant une place de choix sur l’un des panneaux d’interprétation du musée, principalement consacré au mouvement S.O.S. Montfort.
Le conservateur du Muséoparc, Yanick Labossière nous confirme que l’institution patrimoniale détient dans sa collection plusieurs objets ayant appartenu à Gisèle Lalonde.
Après avoir imaginé plusieurs façons de mettre le patrimoine franco-ontarien en valeur, Gisèle Lalonde fait véritablement son entrée au musée.
La toponymie
La toponymie est un aspect essentiel du patrimoine franco-ontarien. Gisèle Lalonde l’avait bien compris en baptisant, de son temps à la mairie, les rues Pauline-Charron et Ida-Rocheleau à Vanier.
En 1987, elle francise aussi la rue de l’hôtel de ville de Vanier, passant de White Fathers à Pères-Blancs. « C’est une partie de notre patrimoine qui est rétablie de cette façon », avait-elle déclaré au journal Le Droit.
À son tour, Gisèle Lalonde fait maintenant partie de notre toponymie.
Une école secondaire porte son nom depuis 20 ans cette année
En 2002, le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario annonce que sa prochaine école secondaire portera le nom de Gisèle Lalonde.
Érigée au coût de 20 millions de dollars, cette première école secondaire construite par le conseil scolaire ouvre ses portes à la rentrée de 2003 à côté d’un grand parc municipal, d’espaces de verdure et de divers terrains sportifs. Construction audacieuse et unique, les plans furent dessinés par les architectes franco-ontariens Pierre-Yves Séguin et Sébastien Racine.
Fait à noter, Gisèle Lalonde ne devient alors que la seconde femme à avoir une école secondaire de langue française à être nommée en son honneur dans la région d’Ottawa. (La première fut Béatrice Desloges, en 1997, également à Orléans).
Après Gisèle Lalonde, d’autres illustres Franco-Ontariens de la seconde moitié du XXe siècle verront des écoles être nommées de leur vivant en leur honneur, tels que Bernard Grandmaître (2006), Jean-Robert Gauthier (2006), Maurice Lapointe (2011) ou encore Gaétan Gervais (2012).
Bibliothèque, rue et salles
Par ailleurs, le bâtiment qui abrite la succursale Vanier de la bibliothèque publique d’Ottawa, dans le parc Richelieu, porte également le nom de Gisèle Lalonde. Ce bâtiment, protégé en vertu de la Loi sur le patrimoine de l’Ontario depuis 1997, est un joyau historique sur un site hautement patrimonial, et un des premiers exemples d’une transformation réussie d’un bâtiment du patrimoine bâti religieux en espace culturel. La bibliothèque possède la plus importante collection de matériel et articles en français du réseau de bibliothèques de la ville d’Ottawa.
Enfin, le 27 juillet dernier, un an jour pour jour après son décès, l’Hôpital Montfort a inauguré sur son terrain une voie qui porte le nom de Gisèle Lalonde, en présence de sa famille immédiate, notamment de ses trois fils.
Mentionnons qu’une salle de réunion du CFORP au 435 rue Donald, a également porté son nom de 2002 à 2018 (environ) et que des salles Gisèle-Lalonde existeraient dans les blocs résidentiels du 200 rue Lafontaine et à la résidence pour personnes âgées du 624 rue Wilson, à Ottawa.
Gisèle Lalonde oubliée? Jamais!
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