Guerre d’Ukraine : des photos pour ne jamais oublier

Arrivée de réfugiés Ukrainiens au poste frontalier d'Isaccea, en Roumanie. Une adolescente traverse la frontière seule avec son bagage. Photo : LeDroit, Simon Séguin-Bertrand

Le drame humain qui se joue depuis plusieurs semaines en Ukraine n’a de cesse de prendre de l’ampleur. L’un des baromètres de cette tragédie est la vague des réfugiés qui déferle sans interruption sur les pays frontaliers tels que la Roumanie ou la Pologne. Notre confrère Simon Séguin Bertrand, photographe pour le journal Le Droit est parti à leur rencontre afin d’immortaliser l’Histoire.

À l’heure de la mise sous presse, ils seraient, selon le Haut commissariat aux réfugiés, plus de 4,2 millions (soit l’équivalent d’une fois et demi la population d’une ville comme Toronto) ukrainiens à s’être exilés pour fuir l’invasion russe lancée par Vladimir Poutine le 24 février dernier.

Une école de Bucarest est transformée en camp de réfugiés. Crédit image : Le Droit, Simon Séguin-Bertrand

Deux tiers de ces réfugiés atterrissent en Pologne qui représente, avec la Roumanie, les principales sorties de secours pour ces exilés forcés. C’est bien aux postes-frontières de ces pays où s’est rendu le photographe de presse Simon Séguin Bertrand afin d’y réaliser un reportage pendant deux semaines. 

« On est allé couvrir le flot des réfugiés aux frontières de la Roumanie et de la Pologne avec l’Ukraine. On n’a pas mis les pieds sur le sol ukrainien pour des raisons de mandat journalistique. On n’a pas couvert la guerre, mais les conséquences de la guerre et les drames humains qui s’en suivent. On n’a pas vu la violence de la guerre, mais on a suivi les réfugiés dans leur exil », lance-t-il d’emblée avant d’entrer dans le vif du sujet.

Arrivée de réfugiés ukrainiens au poste frontalier d’Isaccea, en Roumanie. Crédit image : Le Droit, Simon Séguin-Bertrand

Toute une vie dans un sac en plastique

« Ce qu’on ressent lorsqu’on rentre à la maison après avoir couvert de tels événements, c’est la prise de conscience de la chance qu’on a de vivre ici, au Canada. La définition des mots sécurité et liberté n’est plus la même du tout. On prend aussi conscience de ce qui est essentiel dans la vie dans la mesure où la plupart des gens qu’on a vus traverser la frontière n’avaient rien sur eux, juste une petite valise ou un sac en plastique », relate le photographe de terrain.

Dans les faits, il s’agit surtout de femmes et d’enfants. Et pour cause, la loi martiale instaurée par l’Ukraine suite à l’envahissement de son territoire stipule que les hommes âgés entre 18 et 60 ans soient mobilisés pour participer à l’effort de guerre.

Le photographe du Droit, Simon Séguin-Bertrand en reportage en Roumanie. Gracieuseté Oleg Koleboshyn

« Les femmes qu’on a croisées étaient fortes et avaient confiance que leur pays allait s’en sortir. Mais, dès qu’on leur parlait des hommes restés derrière, c’est là où la carapace émotionnelle se brisait. Quant aux enfants, ils ne semblaient pas traumatisés alors qu’il y en avait sûrement qui ont vécu des traumatismes horribles. Ils continuaient à jouer parce qu’ils étaient avec leur mère. Il faut croire que les enfants ont une résilience que les adultes n’ont pas », poursuit M. Bertrand.  

Cependant, s’il y a une situation qui a beaucoup ému l’œil de l’artiste et qu’il a gravée à jamais sur sa pellicule et sa mémoire c’est celle d’une adolescente ukrainienne qui est arrivée seule et à pieds au poste frontalier d’Isaccea, en Roumanie.

Une école de Bucarest transformée en camp de réfugiés. Crédit image : Le Droit, Simon Séguin-Bertrand

« Cette scène m’a troublée au plus haut point. Cette adolescente n’avait pas plus de 15 ans et elle est arrivée seule dans un pays qu’elle ne connaissait pas. Elle était belle dans sa solitude. Je me suis immédiatement posé la question : qu’est-ce qui va advenir de cette fille qui avait toute la vie devant elle, alors qu’une semaine avant, elle menait chez elle la vie d’une adolescente tout à fait normale. Ça m’a donné le vertige », confie le journaliste, non sans émotion perceptible.

Tout le monde n’a pas la main sur le cœur

Il faut dire que le reporter a de bonnes raisons de s’inquiéter. En effet, plusieurs ONG présentes sur place ont fait état de traite de personnes, de trafic d’être humain et de réseaux de prostitution qui rôdent autour des camps des réfugiés, profitant ainsi de la confusion et la vulnérabilité des femmes.

« Oui! On en a entendu parler de ça. On a eu des témoignages de gens qui parlent de femmes réfugiées qui ont disparu et d’autres qui ont été violées par des personnes qui leur faisaient croire qu’ils voulaient les aider ou les héberger. C’est pour cette raison que les organismes communautaires sur place ont développé des systèmes pour resserrer la sécurité autour des réfugiés parce que ce n’est pas tout le monde qui a un grand cœur. C’est lamentable », déplore le photographe.

Accueil des réfugiés ukrainiens au poste frontalier de Siret, en Roumanie. Crédit image : Le Droit, Simon Séguin-Bertrand

Concrètement, ce sont des systèmes d’enregistrement sous forme de bracelets pour les réfugiés et les bénévoles qui ont été installés afin de constituer un filtre de sécurité en amont et pallier ce phénomène. De la sorte, les antécédents des personnes qui veulent aider peuvent être vérifiés.

S’il y a un point positif à la guerre, c’est la solidarité

Toutefois, il ne s’agit là qu’une petite minorité. Toutes les personnes qui sont venues tendre la main à leur petite échelle le font avec une bonne intention et ne sont guidées que par la profonde satisfaction que procure le fait d’aider son prochain dans le besoin, comme l’explique Simon Séguin Bertrand : « C’est vraiment frappant. L’effort que les gens déploient pour venir en aide aux Ukrainiens est impressionnant. Ça fait chaud au cœur. »

Réfugiés ukrainiens à la gare de Varsovie. Crédit image : Le Droit, Simon Séguin-Bertrand

Et d’ajouter : « Il y avait là des personnes qui n’ont aucun lien avec l’Ukraine, mais qui sont venues quand même pour aider. C’est le cas de cette Espagnole qu’on a rencontré et qui, dès que le conflit avait éclaté, est venue en Pologne pour aider comme elle le pouvait. »

C’est probablement cet élan de solidarité et de générosité qui a poussé ce photographe chevronné à revoir son emploi du temps, car, depuis qu’il est rentré au Canada, il ne pense qu’à retourner là-bas afin de figer le temps pour que personne n’oublie.