
Histoire des Noirs à Ottawa : un voyage en train contre l’oubli

Ottawa — Le « Train clandestin de la liberté » a rassemblé, dans la nuit du 31 juillet au 1er août, une centaine de personnes à bord pour célébrer le Jour de l’émancipation. Cette date marque la fin officielle, en 1834, de l’esclavage dans l’Empire britannique, y compris le Canada.
Tard dans la nuit, se rassemblant à la station Blair d’Ottawa, ils ont choisi de veiller plutôt que de dormir. Aînés, enfants, artistes, militantes, professeurs, sportifs, familles entières, toutes les générations sont venues célébrer le Jour de l’émancipation, le 1er août 1834, date à laquelle l’Empire britannique abolit officiellement l’esclavage dans toutes ses colonies, y compris le Canada.
Pour marquer cette date (reconnue en 2021 par le gouvernement fédéral), une centaine de personnes se sont rassemblées à bord du « Train clandestin de la liberté », un événement inspiré du modèle torontois lancé par l’écrivaine et militante noire Itah Sadu en 2013 et organisé simultanément à Toronto ce même soir.
Une mémoire et un espoir pour le futur
« Je veux me souvenir de celles et ceux qui ont tout risqué pour la liberté », confie Denise Umutoni, migrante rwandaise. « Cette liberté dont nous jouissons actuellement, elle a été arrachée par la lutte des pionniers. Et encore aujourd’hui, on continue à se battre, contre d’autres formes d’esclavage », poursuit-elle.

Poésie, chants, danses et récits ont fait vibrer chaque wagon. Le train, le temps d’un trajet de deux heures, s’est transformé en scène vivante, en mémoire en mouvement.
Au menu des chansons comme Redemption song de Bob Marley qui évoque l’odyssée des esclaves dans les navires les transportant de l’Afrique vers l’exploitation ou A change is gonna come de Sam Cooke qui évoque l’espoir et la fraternité humaine qui triomphera un jour.
« Je garde espoir pour notre futur collectif », témoigne Melissa Redmond, professeure à l’Université Carleton venue avec plusieurs amis « célébrer la résilience des peuples africains, peu importe où ils se trouvent ».
« Nous sommes unis par une histoire commune, par une expérience partagée », ajoute-t-elle.
Pour elle, cet événement offre l’occasion précieuse d’être ensemble. « On manque de moments pour simplement réfléchir à notre histoire, à notre situation actuelle, et à ce que l’on souhaite pour notre avenir. »

Des pionniers de la cause
Pour Jean-Marie Guerrier, vice-président et trésorier de l’organisme Histoire des Noirs d’Ottawa (traduction libre – Black History Ottawa), le « Train clandestin de la liberté » rend hommage au réseau clandestin de routes, d’abris et de personnes qui ont aidé les esclaves à fuir vers le nord.
« Les termes utilisés dans ce contexte étaient très imagés : conducteur, train, gare… D’où l’idée de recréer un train, pour incarner cette marche vers la liberté », explique-t-il.
Adrienne Codette, militante noire qui a animé l’événement en anglais, souligne que « le réseau » fonctionnait sur l’une des relations humaines les plus puissantes : « Quand on est alliés, solidaires, organisés, on peut renverser un système entier conçu pour vous détruire. »
« Tant qu’un seul d’entre nous n’est pas libre, aucun de nous ne l’est vraiment », clame-t-elle.
Au fil des stations, Sarah Onyango, coordonnatrice d’Histoire des Noirs faisait découvrir aux passagers la mémoire d’Ottawa parcourue de lieux symboliques.
Exemple parmi tant d’autres, le quartier Rideau-Rocliffe, représenté par Rawlson King, premier conseiller municipal noir élu en 2019 et réélu en 2022.

Non loin de quartier Côte-de-Sable, Sarah Onyango rappelle que certaines rues rendent hommage à des figures liées à l’esclavage ou à son abolition. Elle évoque la maison de Wilfrid Laurier, le premier premier ministre francophone du pays (de 1896 à 1911). « En 1911, il a signé un décret interdisant, pour un an, l’immigration de personnes noires, jugées inadaptées au climat et aux exigences du Canada », rappelle-t-elle.
Cette décision, prise dans un contexte de racisme et de discrimination, visait à empêcher l’établissement de Noirs au pays, en se basant sur des préjugés « d’inadaptation climatique ».
D’autres figures historiques sont également évoquées, comme Hugh Burnett qui a milité auprès du gouvernement de l’Ontario jusqu’à la promulgation en 1951 d’une loi interdisant la discrimination dans l’emploi.
Il y a aussi lieu de citer Myrtha Lapierre, doyenne de la communauté haïtienne, première femme noire francophone à avoir suivi le programme de sciences infirmières à l’Université d’Ottawa, avant d’enseigner pendant près de 30 ans.
Une odyssée historique
« Une odyssée bouleversante et féconde », résume Régy Jonathan de la Cruz Abraham, artiste haïtien et poète d’Ottawa-Gatineau.
« En tant que descendant de la première République noire, celle qui a ouvert la voie à tant d’autres, j’ai ressenti une émotion profonde », affirme-t-il

De son côté, Travis Duggan, membre de la coalition Brotherhood, coorganisatrice de l’événement, appelle à ce que la société canadienne reconnaisse la présence et l’engagement des hommes noirs.
« Depuis que je suis jeune, j’ai vu de grands changements positifs pour les Noirs dans ce pays », estime-t-il, citant notamment le domaine de l’éducation. « Mais il y a encore beaucoup à faire. L’histoire qu’on nous raconte n’est pas celle des Noirs », conclut-il.
Cette mémoire noire est au centre d’un autre événement organisé par l’organisme Histoire des Noirs d’Ottawa. Tous les mercredis et samedis jusqu’au 18 octobre, des parcours en bus en 25 étapes mènent sur les traces des pionniers noirs à travers la visite de lieux marquants de l’histoire des Noirs à Ottawa et au Canada.
Les tours sont généralement en anglais, mais ces visites guidées peuvent être aussi offertes en français ou de manière bilingue.