Pénurie des enseignants francophones : un envers du décor parfois explosif pour les étudiants

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OTTAWA – Stress, faiblesse des stages ou encore, frais supplémentaires : les difficultés de recrutement des enseignants francophones comportent aussi plusieurs effets pervers pour les étudiants. Un problème souligné ce jeudi, à l’Université d’Ottawa (U d’O), avec un sommet directement consacré à cette pénurie.

Nadia Simard connaît bien ce problème. Dans deux mois, cette étudiante inscrite en deuxième année à la Faculté d’éducation sera sur le marché du travail. Mais avec son lot d’incertitudes.

« Les élèves payent pour ces problèmes-là, car les enseignants-ressources sont des suppléants. Il y a moins d’enseignants pour nous accueillir pour les stages. »

Par le terme suppléant, il faut comprendre des enseignants sur appel, et ceux ne possédant pas encore le fameux baccalauréat en éducation, le principal sésame pour accéder aux salles de classe.

« Les stages durent neuf semaines, nous sommes presque qualifiés, mais nous ne sommes pas sur le terrain. Parfois, on n’a pas d’enseignants pour nous encadrer. On a besoin d’être sur le marché du travail, et on ne l’est pas! »

Jeudi matin, Mme Simard état venue assister au sommet à titre de présidente de l’Association étudiante de la Faculté d’éducation de l’U d’O. Au micro de ONFR+, la future enseignante égratigne les deux ans de formation nécessaires pour obtenir le diplôme. Avant 2015, cette échéance était fixée à un an.

« Cette année de plus est une dette pour la personne qui devrait être sur le marché du travail. Vraiment, est-ce que ça vaut la peine qu’un programme soit de deux ans? On refait les mêmes cours, les mêmes devoirs de la première à la deuxième année. On fait parfois des dissertations, alors que notre job, c’est de faire des présentations orales toute notre vie. »

En conséquence, dans les deux universités de l’Ontario délivrant une formation en éducation en français, les inscriptions ont baissé à partir de 2015. Une raison au centre de la pénurie actuelle.

Moins d’enseignants disponibles peut générer aussi plus de stress pour les étudiants. C’est l’avis de Gabriel Laroche-Villeneuve, en maîtrise d’éducation. « Les stages sont très utiles, mais le placement est très difficile. Étant donné que les enseignants souhaitent moins avoir de stagiaires, le service de stages a des difficultés à nous placer ce qui augmente le stress général pour les étudiants. »

Gabriel Laroche-Villeneuve, étudiant au sein de la Faculté d’éducation. Crédit image : Sébastien Pierroz

Et de poursuivre : « Il arrive qu’on apprenne où est notre stage deux jours avant de devoir se présenter à l’école. Dans mon cas, c’était une semaine. J’habitais à Chelsea, et soudainement, j’ai appris que je devais me rendre à Kanata. Les étudiants ne savent pas où ils s’en vont! »

Besoin d’une formation plus approfondie en stage

Richard Barwell, doyen à la Faculté d’education, l’explique. Ce sommet est avant tout « pour rassembler les gens et trouver des solutions ». Avec l’idée que chacun, université, conseils solaires et gouvernement « mettent l’épaule à la roue ».

Reste que les étudiants sont les premiers concernés. « Il y a une pression systématique qui diminue la disponibilité des enseignants pour accompagner nos stagiaires. »

Richard Barwell, doyen de la Faculté d’éducation. Crédit image : Sébastien Pierroz

Mais les défis pour les étudiants ne s’arrêteraient pas là. Beaucoup auraient justement besoin d’une formation plus approfondie durant le stage. « Quasiment la moitié de nos étudiants sont des nouveaux canadiens, d’origine immigrante. Ils apportent un beau bagage d’expérience, mais il y a un travail pour obtenir une culture éducative en Ontario et comprendre comment ça fonctionne ici. »

Conséquence décrite dans le rapport transmis au public par l’U d’O : « Les stages peuvent donner lieu à des situations parfois toxiques qu’il est difficile d’arrêter du fait du manque de placement de stages. »

Problèmes aussi de départs à la retraite, selon la FNCSF

Et les conseils scolaires dans tout ça? Valérie Morand, directrice générale de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), était justement autour de la table de discussions.

« Sur les stages, ce que je sais, c’est qu’il y a un départ à la retraite massif, un peu comme au Québec. Il y a donc beaucoup d’enseignants qui ont peu d’expérience. Pour avoir des gens qui encadrent, il faut des enseignants qui ont un certain nombre d’années sous le bras, mais c’est difficile. Avec le programme qui est passé d’un an à deux ans, cela complique. »

La directrice générale enfonce le clou : « Le problème est au niveau de la suppléance, car nous n’avons bientôt plus de liste de suppléants. Quand il y a des gens malades, c’est un problème. Très rapidement, c’est au niveau des postes à contrat que l’on va le sentir. »

Toujours est-il que ce sommet à l’U d’O intervenait trois jours après une autre annonce. Lundi dernier, la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, avait détaillé une enveloppe de 62,6 millions de dollars sur quatre ans pour combattre la pénurie.

Objectif : permettre d’appuyer le recrutement et le maintien en poste d’enseignants dans les écoles francophones en situation minoritaire, ainsi que dans les programmes d’immersion. L’enveloppe serait répartie entre les deux volets de manière égale.

Quoi que bien accueillie par l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO), l’annonce ne régle pas tout pour le syndicat. Son président Rémi Sabourin met l’accent sur la nécessité de revaloriser la profession d’enseignant.