Identification linguistique dans la carte de santé : quels changements?
TORONTO – « Saisir l’identité linguistique francophone dans le système gérant la carte de santé de l’Ontario ». La petite phrase dans le budget provincial, dévoilé la semaine passée, a enthousiasmé bon nombre de Franco-Ontariens. La mise en œuvre du budget permettrait de satisfaire une revendication vieille de plusieurs années.
SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz
En 2014, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) avait déjà fait de cette identification l’un de ses chevaux de bataille. Le tout dans son Livre blanc sur les assises de la santé en français en Ontario.
« L’identification linguistique va être dans l’ADN de la carte », précise Jacinthe Desaulniers, du Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario. « Dès l’heure que quelqu’un va se présenter à un point de service, que ce soient les hôpitaux, les services ambulatoires, ou encore un médecin de famille, l’offre active en français pourra ainsi se faire. »
Cette offre active reste bien souvent le chaînon manquant pour être servi dans la langue de Champlain. « Arrivés à un point de service, souvent les gens ne s’identifient pas comme francophones. »
Diane Quintas, du Réseau du mieux-être francophone du Nord, confirme ces difficultés. « Le patient va pouvoir être redirigé vers un médecin ou une infirmière parlant français. Ça ouvre la porte à des possibilités. Il n’y aura plus besoin de se battre aux points de service (…) Pour l’instant, le service en français est aléatoire. Rien n’est construit. »
La responsable du Réseau est même catégorique : il y a des différences notables dans le Nord quant à l’offre active en français. Dans certaines villes majoritairement francophones comme Hearst, « les gens sont plus confortables à demander leurs services en français ». Une attitude qui serait beaucoup moins généralisée, selon elle, dans le Nord-Ouest de l’Ontario où les Franco-Ontariens pèsent beaucoup moins lourds.
Si Mmes Desaulniers et Quintas accordent leurs violons, c’est aussi parce que ces deux responsables d’entités de planification ont travaillé en coulisses de longs mois pour l’obtention de cette identification linguistique. Au nombre de six dans la province, les entités ont justement pour mission de conseiller les Réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS) sur les questions francophones.
Des questions optionnelles au moment du renouvellement
Mais comment bénéficier de cette identification linguistique? Si le renouvellement de la carte de santé devrait permettre sans problème cet ajout, rien n’est certain en cas d’une demande spontanée du patient. « On devrait prochainement en savoir plus », croit M. Desaulniers.
Au moment de remplir le formulaire de renouvellement, il y aura des « questions optionnelles », avait expliqué Marie-France Lalonde, invitée à décrypter le budget pour #ONfr. Pour la ministre des Affaires francophones, « les données recueillies à ces questions vont nous aider à mieux servir les francophones ».
Mais une ombre plane toujours. Identifiés francophones, les patients bénéficieront-ils automatiquement des services en français? Bien que « valable » aux yeux de France Gélinas, la captation de l’identité linguistique ne répond pas à tout.
« Le commissaire aux services en français, François Boileau, a fait plusieurs rapports sur les ratés en matière de services en santé. Les choses n’ont jamais bougé », estime la critique néo-démocrate en matière d’Affaires francophones. « Il faut aussi éduquer les francophones, qu’ils connaissent leurs droits. La plupart d’entre eux ne savent pas qu’ils peuvent obtenir un service en français dans les hôpitaux. »
Un système déjà en place à l‘Île-du-Prince–Édouard
Si la mesure est mise en œuvre, l’Ontario ne serait pourtant pas la première province en milieu minoritaire à accorder ce privilège aux francophones. En 2016, l‘Île-du-Prince–Édouard avait ouvert la voie en se dotant d’une mention linguistique sur la carte de santé, en plus de bénéficier de celle-ci dans le « système gérant ».
À l’heure de mettre ces informations sous presse, Santé Î.-P.-É n’était pas disponible pour commenter les avantages et inconvénients observés de ce système au cours des derniers mois.
Selon certaines sources, l’Ontario aurait pu même devancer l’Île-du-Prince-Édouard dans ce projet. Encore aurait-il fallu une volonté plus forte du ministère de la Santé et des Soins de longue durée. D’après les informations d’#ONfr, une lettre commune du Regroupement des entités de planification aurait été envoyée l’année dernière au ministre Eric Hoskins pour « accentuer la pression ».
Sans citer la lettre, Diane Quintas reconnaît qu’il y a eu « beaucoup de pression à tous les niveaux pour faire comprendre l’importance de cette priorité aux patients ». Et de conclure : « Le système de santé est énorme. C’est une machine qui ne bouge pas vite, et où les progressions ne vont jamais très vite. »