Identité volée : quand les Canadiens français revendiquent une identité autochtone
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.
[CHRONIQUE]
Elle s’appelait Marie Bernard. Ma proverbiale nokomis. Une grand-mère, une aïeule, une ancestresse algonquine.
« Marie Bernard venait probablement de la Rivière Rouge au Québec », explique Émilie Bourgeault-Tassé. « On la retrouve dans les recensements de 1871 et 1881 – mais, on note qu’au fil des années, elle allait être identifiée d’abord comme Autochtone, pour ensuite devenir Canadienne française. »
Émilie, c’est ma soeurette. Avec qui je partage un curieux dernier nom. Ainsi qu’un feu sacré pour la justice, la vérité et la réconciliation. Qui, comme moi, souhaite briser le patriarcat dans une quête vers un monde décolonial, juste et équitable.
Et à qui, comme moi, on attribue parfois une identité métissée.
Canadiennes françaises et Franco-Ontariennes, nous sommes – elle et moi – les héritières d’Eugène Bourgeault, le neveu d’arrière-grands-oncles qui, selon la légende familiale, se seraient battus pour Louis Riel et les Métis au Manitoba.
De « ma tante » Philamène, une tante adoptive Algonquine et Canadienne française qui allait dorer la vie de mon grand-père – et celle de sa douce moitiée, notre grand-mère Isabelle Bourgeault, née Patry.
Qui elle, était l’arrière-petite-fille de Marie Bernard.
« À en croire le récit familial, Isabelle Bourgeault était fière de ses racines, même à une époque où on cachait nos ancêtres autochtones », explique Émilie, qui œuvre depuis plus de dix ans auprès des communautés des Premières Nations, Inuits et Métis rassemblées sur le territoire du Traité de Robinson Huron (1850) à N’Swakamok (Sudbury).
« Marie Bernard a suscité pour moi, et pour toute la famille, une énorme curiosité – mais nous ne connaissons à peu près rien de sa vie. Nous savons qu’elle était catholique et qu’elle était mère de plusieurs enfants. Mais parlait-elle la langue algonquine? Participait-elle à des cérémonies? Quel était son attachement à sa culture? À la terre? On reste dans le mystère. »
Témoin de la montée du mouvement des « fauxtochtones »
Si Émilie a exploré notre généalogie algonquine, elle a aussi été confrontée à la montée du mouvement des « fauxtochtones », ceux qui revendiquent une identité culturelle autochtone, souvent fondée sur un lointain ancêtre autochtone, sinon sur les mythes et la tradition orale chez les Canadiens français.
« Le mythe et les histoires de famille du Canada français, c’est que tout le monde était métissé », explique le chercheur Darryl Leroux. « Aujourd’hui, les gens se disent Autochtones par le biais de ces histoires-là. »
Canadien français et Franco-Ontarien, M. Leroux est originaire de Sudbury. Professeur à l’École d’études sociologiques et anthropologiques à l’Université d’Ottawa, il est auteur d’Ascendance détournée : quand les blancs revendiquent une identité autochtone, qui explore cette mythologie et l’auto-autochtonisation des Canadiens français qui brouillent les limites entre blanchité et autochtonité.
Cette « chimère du métissage » a de sérieuses retombées : du Nouveau Brunswick jusqu’en Ontario, environ 300 000 franco-descendants se définissent comme Autochtones – et ce, à notre propre péril dans une ère d’importantes conversations et dénonciations culturelles sur l’appropriation identitaire.
« Treize femmes autochtones se seraient mariées avec des hommes français avant 1670 – mais elles ont environ 10 millions de descendants aujourd’hui au Canada, et 2 à 3 millions aux États-Unis, peut-être un peu plus. Ce sont des millions de personnes qui pourraient se dire Autochtones sur le fondement d’une seule ancêtre », explique M. Leroux.
Selon M. Leroux, la manifestation des faux autochtones s’inscrit dans un revers du mouvement envers la vérité et la réconciliation. Les torts financiers – allant de postes et places réservées aux bourses de recherches et d’études – sont considérables. Ibid les atteintes légales d’organismes qui revendiquent des droits issus de traités, parfois même à tort et à travers les véritables aspirations autochtones.
Un recul pour les aspirations envers la justice
L’usurpation des droits durement gagnés par les Premières Nations, les Inuits et les Métis au fil des années est un recul pour les aspirations envers la justice, la vérité et la réconciliation, estime M. Leroux.
« Il y a beaucoup d’institutions – telles les universités – qui répètent des beaux mots pour se donner un certain capital culturel, social, politique, pour se placer parmi ceux qui veulent lutter contre les inégalités », commence-t-il. « Et quand on leur dit, vous avez remplacé les vrais Autochtones par des blancs, ces institutions abdiquent leurs responsabilités, faisant en sorte que ce sont des non-Autochtones qui ont le contrôle sur la réconciliation sur les campus, dans les gouvernements, et cetera. »
« C’est comme si, soudainement, Doug Ford et toute sa gang se disaient Franco-Ontariens – et puis que c’est eux qui vont parler pour la communauté parce qu’ils ont appris notre histoire », poursuit-il. « Ça jette une lumière sur le symbolisme, le manque de matérialité, de volonté à vraiment faire quelque chose de significatif par rapport à la réconciliation. »
L’identité autochtone, dit-il, n’est pas simplement une question de sang ou d’ascendance, mais une question d’appartenance liée à des pratiques de parenté qui sont spécifiques à différentes nations et à différents territoires.
« J’honore ma nokomis par ma pratique de la vérité et de la réconciliation » – Émilie Bourgeault-Tassé
C’est une vision que partage ma sœur Émilie.
« Une ascendance autochtone ne nous confère ni les droits de chasse ou de récolte, ni des droits issus de traités, ni un droit de parole sur les aspirations et revendications des peuples autochtones », affirme-t-elle.
Néanmoins, croit Émilie, les Canadiens français doivent rendre hommage à leur ascendance autochtone en participant à l’essor culturel et linguistique des Premières Nations, les Inuits et les Métis et en s’alliant dans leur lutte et leur quête de justice.
« Marie Bernard m’est sacrée – ma fille est sa septième génération. Si elle m’ouvre sur un monde extraordinaire, elle appartient également à toute une constellation d’ancêtres que je me dois aussi de revendiquer », dit-elle.
« J’honore ma nokomis par ma pratique de la vérité et de la réconciliation, dans l’espoir de devenir moi-même une aïeule qui sera la fierté des générations à venir. »
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et du Groupe Média TFO.