Près de la moitié des interprètes parlementaires envisagent de quitter
OTTAWA — Une majorité d’interprètes pigistes parlementaires indiquent qu’ils cesseront de travailler si de nouvelles règles proposées par le fédéral concernant leurs contrats de travail sont adoptées. Cela pourrait donc dire qu’un peu moins de la moitié de l’ensemble des interprètes sur la Colline parlementaire envisagent de partir.
C’est ce qui ressort d’un questionnaire de l’Association internationale des interprètes de conférence — Région Canada (AIIC-Canada) auprès de ses membres. C’est 90 des 120 membres qui ont répondu à ce sondage sur les intentions du gouvernement fédéral en matière de renouvellement de leurs contrats, qui prennent fin en décembre. L’AIIC-Canada représente les interprètes parlementaires pigistes.
Trois propositions en particulier soulèvent des difficultés notables auprès de l’association nationale.
Selon les nouvelles propositions de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), les interprètes pigistes seront classés selon l’offre financière la plus basse. Ils devront aussi remplir un certain nombre de critères comme le fait de vivre dans la région d’Ottawa et être accrédités auprès du Bureau de la traduction.
C’est 50 % des répondants du questionnaire qui ont indiqué qu’il serait improbable qu’ils continuent à offrir leurs services au Parlement si ce critère financier est retenu, alors que 28 % estiment que ça serait plutôt improbable. L’AIIC-Canada dénonce le fait qu’une telle approche pénalise ses membres les plus expérimentés.
Le Bureau de la traduction réfute le fait que le prix sera le seul critère pris en compte. Mais selon l’AIIC, l’actuel contrat des interprètes pigistes exige cinq critères incluant un indice de qualité, l’accréditation et le profil linguistique. La proposition de gouvernement fédéral pour ces nouveaux contrats serait donc moins exhaustive, déplore l’association d’interprètes.
« La disponibilité, le profil langagier, l’indice de sécurité vont demeurer des critères de qualité qu’on va garder dans le prochain outil. Au niveau de l’indice de qualité, ça ne sera pas nécessairement un critère, mais ça va quand même être mesuré. Ça sera juste fait différemment », avait affirmé Lucie Lévesque, vice-présidente, Politiques et Services intégrés au Bureau de la traduction devant les députés du Comité des langues officielles.
Santé auditive et taux journalier
Il y a environ 140 interprètes accrédités en langues officielles par le Bureau de la traduction, dont 70 sont salariés et 70 sont pigistes. Cela veut donc dire qu’un peu moins de la moitié de l’ensemble des interprètes suggère qu’ils pourraient cesser d’offrir des services parlementaires.
« L’impact sera que le fonctionnement du Parlement sera compromis et que ce sera en fait contraire aux obligations légales (du gouvernement) en matière d’égalité entre les langues officielles », prévient Nicole Gagnon, porte-parole de l’AIIC-Canada.
L’une des autres propositions de SPAC est de faire passer le taux de rémunération des interprètes pigistes d’un taux journalier à un taux horaire et c’est celle-ci qui effraie le plus les membres de l’AIIC-Canada. Cette nouveauté aurait pour effet de ne payer que les heures passées au micro à y effectuer de la traduction, déplore l’AIIC-Canada.
90 % des interprètes sondés considèrent comme improbable (79 %) ou peu probable (11 %) d’offrir leurs services pour travailler sur la Colline ou lors de missions parlementaires si une telle proposition est retenue.
« Le gouvernement aurait alors à faire des choix difficiles. Soit réduire le nombre de comités, caucus et rencontres qui sont actuellement interprétés soit de demander aux interprètes encore en poste de travailler des heures supplémentaires et, ce faisant, d’aller à l’encontre de la santé auditive des interprètes », expose la porte-parole de l’AIIC-Canada.
Nicole Gagnon ne voit pas ce sondage comme une menace, mais plutôt comme une réalité que les interprètes pigistes se tourneront vers le privé pour trouver du travail, sans changement de la part du gouvernement.
« Les interprètes ne menacent personne. C’est le gouvernement qui est responsable du processus d’approvisionnement. Les pigistes, eux, n’y sont pour rien. Le gouvernement décide des règles, puis les pigistes pour leur part décident si ils les acceptent ou non ces règles-là », observe-t-elle.
L’AIIC-Canada déplore aussi que la proposition de contrat de SPAC ne mentionne pas noir sur blanc des mesures visant à protéger la santé auditive des pigistes. C’est 66 % des pigistes qui ont déclaré improbable, et 18 % comme plutôt improbable, qu’’ils puissent se soumettre à des contrats parlementaires en l’absence de tels critères.
« Les paroles s’envolent, les écrits restent et si le gouvernement se propose d’attribuer ces contrats-là sans qu’il y ait des mesures existantes pour protéger la santé auditive des interprètes dans le nouveau contrat, et bien c’est clair que la majorité d’entre eux vont dire non merci », conclut Mme Gagnon.