Jean-Marc Aubin, l’engagement en éducation récompensé
[LA RENCONTRE D’ONFR]
SUDBURY – On l’avait quitté mercredi soir dans les réjouissances consécutives à l’obtention du prix de la Francophonie. Le sésame reçu par Jean-Marc Aubin lors du traditionnel Banquet des Franco-Ontariens de Sudbury venait récompenser ses décennies d’engagement en éducation. On retrouve le président du Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario (CSPGNO), deux jours plus tard, pour la Rencontre ONFR. Une entrevue de trois quarts d’heure où s’écoulent ses souvenirs avec un constat récurrent : l’éducation en langue française, en 2019, dans la province n’est plus celle des années 80.
« Comment avez-vous appris avoir gagné le prix de la Francophonie de Sudbury? C’était le soir même?
Non, je l’ai su un peu d’avance, bien que c’était une surprise, car j’avais commencé à diminuer beaucoup mes activités, je m’impliquais moins qu’avant. Les dirigeants de l’Association canadienne-française de l’Ontario du grand Sudbury (ACFO du grand Sudbury) m’ont prévenu d’avance, mais ils voulaient garder cela secret. J’ai donc eu le temps de me préparer.
Qu’avez-vous ressenti au moment de recevoir le prix?
J’étais content, car au niveau local, je n’ai pas eu beaucoup de prix. J’en avais gagné beaucoup au niveau national, mais pas au niveau local.
À quoi servent selon vous des événements comme le Banquet des Franco-Ontariens de Sudbury?
Ça nous rappelle que nous ne sommes pas seuls, qu’il y a beaucoup de personnes impliquées dans la survie de la langue. Outre le Banquet, il y a beaucoup d’activités dans la région, avec des gros groupes de francophones surtout chez les aînés. Les clubs d’âge d’or sont très actifs dans la région de Sudbury et Hanmer, et ça, les gens n’en sont pas toujours conscients.
Vous êtes président du CSPGNO depuis maintenant plusieurs années. En quoi consiste ce rôle de président d’un conseil scolaire?
D’abord, il faut présider toutes les réunions. Tu es le porte-parole du conseil. S’il y a des dossiers qui sont surtout académiques, on laisse toutefois le porte-parole en dehors. Le président doit s’assurer de faire ce qui est requis selon la loi, et du côté francophone, s’assurer de la survie et la protection de la langue. Fermer une école peut, par exemple, avoir un impact très grand sur la communauté.
Vous allez célébrer vos 80 ans prochainement et êtes engagé dans le domaine de l’éducation depuis plusieurs décennies. En quoi cette francophonie, en 2019, est différente de celle d’autrefois?
J’ai un regard pas mal positif sur la façon dont ça a évolué. Beaucoup plus de gens ont appris le français et le parlent, bien que ce n’est pas autant que l’on aimerait. Le développement le plus important, c’est ce qui arrive dans la région en Toronto, grosse ville internationale. Le nombre d’élèves et de gens qui veulent aller dans les écoles de langue française et d’immersion est bien en hausse. La clé pour la survie d’une langue est toujours l’éducation.
Dans le nord, on a le problème que la population diminue, c’est à dire que l’on peut offrir moins d’options dans nos écoles, car elles sont plus petites. Dans ces cas-là, on ne peut pas blâmer les gens de vouloir d’autres options.
Et si vous deviez dire le plus gros acquis de toutes ces années?
Ce qu’on a acquis le plus important, c’est la gestion des conseils scolaires. J’ai œuvré pendant beaucoup d’années où l’on n’avait pas la gestion. Quand tu n’as pas le contrôle de ce que tu aimes faire, c’est beaucoup plus difficile d’y arriver.
Avez-vous des exemples de choses qui étaient limitées auparavant dans les conseils scolaires?
C’est difficile à comparer le nouveau et l’ancien système. Mais auparavant, le défi des conseils scolaires, c’était de fixer le taux de taxation au niveau local. Ce taux était différent selon les conseils scolaires. Maintenant, c’est la province qui décide des taxes, donc tout le monde est plus ou moins égal. Dans les conseils catholiques, il y avait des impôts corporatifs commerciaux et industriels, c’est-à-dire que l’on devait de l’argent à la province. Dans le nord, cette situation était très difficile pour les conseils catholiques parce qu’on ne pouvait que dépenser la moitié de ce que Toronto dépensait pour chaque élève.
Aujourd’hui, ce qui a changé aussi, c’est que les conseils sont davantage responsables de la réussite des élèves. Si un élève décroche, on a une école alternative pour que le jeune puisse finir son secondaire. Mais il y a des services où l’on voit un manque du financement, comme les élèves identifiés autistes et tous ceux qui ont besoin de soins de services sociaux.
Les conseils scolaires francophones sont devenus autonomes en 1998. En tant qu’ancien conseiller scolaire membre de la Section de langue française du Sudbury Board of Education, quelles étaient les limites pour les écoles francophones que vous avez pu observer?
Je siégeais aussi sur le Comité consultatif de la langue française de 1982 à 1985 avec trois ou quatre personnes de la communauté francophone. On pouvait recommander bien des choses aux conseils scolaires, mais ça ne voulait pas dire qu’on l’obtenait.
Quand il y a des coupures à faire, ce sont toujours pour les plus petits. Quand on essayait de mettre sur pied des écoles de langue française, il n’y avait jamais d’argent disponible, et les besoins n’étaient pas jugés importants par les conseils de langue anglaise. Même quand on voulait des portatives, on ne pouvait pas les avoir.
Je me souviens que de l’argent venait aussi du gouvernement fédéral pour les langues minoritaires. Dans bien des cas, il y avait bien plus de cet argent qui allait pour mettre sur pied des écoles d’immersion. Les écoles d’immersion étaient mieux classées…
Vous avez été aussi très impliqué dans le post-secondaire, notamment en tant que premier membre fondateur du conseil d’administration du Collège Boréal en 1995. Ça veut dire quoi « premier membre fondateur »?
(Rires). En fait, j’ai été le premier membre à être nommé par la province car mon nom commence par la lettre A. On m’a remis le marteau pour prendre le contrôle d’une assemblée, mais ensuite très rapidement, c’est Rachel Proulx qui est devenue présidente du conseil d’administration.
Cette création du Collège Boréal est intervenue à un moment où il y avait une trentaine d’années que le secondaire avait été mis en place dans la région de Sudbury. Le taux de décrochage chez les francophones d’une année à l’autre était en baisse. On avait quatre écoles secondaires avec plus de 1 000 élèves, c’était donc logique que les gens puissent continuer en français. Il y avait cependant des cours en français donnés à Cambrian College, mais les francophones n’y avaient pas d’autonomie.
Et le projet de l’Université de l’Ontario français (UOF), comment le voyez-vous?
C’est une bonne chose qu’elle soit à Toronto! Moi je pense que la francophonie, c’est à Toronto qu’elle va survivre et être dans la lumière!
Beaucoup de militants rêvent d’une université franco-ontarienne plus provinciale, est-ce votre avis?
Je pense qu’il faut être influencé par ce qui s’est passé à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les programmes en français qui existent à Ottawa et Sudbury pourraient être mis en partenariat.
Certains veulent directement fédérer les programmes en français déjà existants à l’Université Laurentienne et l’Université d’Ottawa, c’est votre opinion?
(Hésite). Il ne faut pas partir d’une place pour que ces programmes ne soient pas reconnus à une autre place. En fait, tout dépend la façon dont on le fait.
Au début des années 2000, vous étiez aussi président de l’Association canadienne-française de l’Ontario (ACFO), l’ancêtre quelque part de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). Est-ce que l’organisme était différent de l’AFO?
Oui, un changement radical s’est fait! Dans le temps, c’étaient des années où l’ACFO avait décidé de fonctionner à Toronto. Quand on a fait le déménagement de Toronto, le fédéral n’avait pas voulu nous appuyer financièrement, et l’establishment francophone d’Ottawa ne nous appuyait pas non plus. Il y avait bien d’autres choses à régler. Je me suis plus impliqué, mais les problèmes étaient déjà là avant mon arrivée. Le Sud, le Nord, et Ottawa avaient une vision trop différente.
Vous êtes né à Mattawa. Qu’est-ce qui vous a amené dans la région de Sudbury?
Je suis venu ici en 9e année, j’avais 13 ans. Ensuite, j’ai travaillé sept ou huit ans pour Northern Ontario Natural Gas, puis à Falconbridge pendant trente ans où j’étais technicien en instrumentation.
N’est-ce pas paradoxal ce double engagement de technicien en instrumentation et engagé pour l’éducation francophone?
J’ai continué à être francophone! Grâce à mon métier où j’étais engagé dans le syndicat, j’ai compris comment fonctionner avec des politiciens de Toronto, et avoir avec eux des solutions. Souvent les francophones, on est au courant de ce qui est établi, mais les autres ne sont pas au courant, et même ceux du ministère de l’Éducation, il faut les prendre par la main.
Pour terminer, quel regard portez-vous sur la crise linguistique de l’automne dernier?
Ça m’a affecté! L’abandon provisoire du projet de Université de l’Ontario français et la fin de l’indépendance du Commissariat aux services en français n’avaient aucune raison d’arriver! C’était un recul! Quand tu sors d’un recul, tu avances plus fort!
Peut-on dire donc que c’était un mal pour un bien?
Non! C’était un mal qui n’avait pas besoin d’exister! »
LES DATES-CLÉS DE JEAN-MARC AUBIN
1939 : Naissance à Mattawa
1968 : Commence à travailler à Falconbridge. Terminera sa carrière dans la même entreprise en 1998
1982 : Membre du Comité consultatif de la langue française jusqu’en 1985
1987 : Devient conseiller scolaire membre de la Section de langue française du Sudbury Board of Education
1995 : Membre fondateur du Collège Boréal de Sudbury
2019 : Reçoit le prix de la Francophonie au Banquet des Franco-Ontariens de Sudbury
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.