Jean-Marie Vianney, infatigable militant de la communauté noire

Le leader communautaire, Jean-Marie Vianney.Crédit image: Benjamin Vachet

[LA RENCONTRE D’#ONFR]

OTTAWA – Depuis plusieurs années, Jean-Marie Vianney est de tous les grands événements franco-ontariens. Figure de proue des minorités ethnoculturelles, le voilà sur le point de lancer officiellement la Coalition des noirs francophones de l’Ontario. En marge du coup d’envoi du Mois de l’histoire des noirs, rencontre avec cet activiste, plus que jamais volubile pour la cause des minorités visibles, mais pudique pour parler de ses expériences personnelles, dans son Cameroun natal.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« Première question à laquelle vous ne pouvez pas échapper, le Mois de l’histoire des noirs, qu’est-ce que cela représente?

C’est un mois de célébration et de reconnaissance, un mois pour valoriser l’apport des communautés, de montrer la communauté noire dans son aspect créatif. Dans le contexte nord-américain, c’est utile, alors qu’au Cameroun, ce Mois ne le serait pas.

Si un jour le Mois de l’histoire des noirs n’existe plus, ça sera positif ou négatif?

Je pense que cela voudra dire que l’on aura avancé sur les enjeux, que l’on aura gagné des défis!

En juillet dernier était lancée l’idée de la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario pour remplacer l’Union Provinciale des Minorités Raciales Ethnoculturelles Francophone de l’Ontario (UP-MREF). Quel était le but?

C’était surtout d’essayer une remise en question par rapport à toute la communauté, et à ce que nous avions essayé avant, et tous les ramassis d’échecs. La Coalition des Noirs repense l’avenir de la communauté, se donne des défis, et redéfinit ses objectifs.

Nous sommes actuellement dans l’attente. Nous avons terminé les documents administratifs. Nous sommes en train de travailler avec l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) pour sortir un programme qui pourrait être de trois à cinq ans, avec des lignes directrices spécifiques, pour que l’on soit capable de s’auto-gérer. On est en train de voir comment le gouvernement fédéral, avec Patrimoine canadien ou le ministère de la Francophonie, pourrait nous appuyer.

Et quels sont justement ces objectifs?

Il faut mettre en avant des enjeux, que ce soient au niveau de l’éducation, de la santé, de l’employabilité, démontrer à la communauté franco-ontarienne que nous sommes présents. Nous sommes une double minorité, noire et francophone, héritée du contexte ambiant.

Il y a aussi les enjeux de la diversification. Les gens viennent de plusieurs origines, sans oublier qu’il y a des membres des communautés issus de la 2e et 3e génération. L’autre dimension, c’est d’aller chercher nos frères noirs anglophones, qui profitent de la majorité à laquelle ils appartiennent, de voir dans quelle mesure on peut créer cette solidarité avec eux, être ensemble avec eux…

Qu’est-ce qui vous plait dans le mouvement noir anglophone?

Nous avons perdu du temps en se basant sur l’UP-MREF, alors qu’on est capable de faire autant que les mouvements anglophones. Nous sommes sur plusieurs tables avec eux, on essaye de profiter de plusieurs pistes de solutions. Ils sont plus nombreux et ont des solutions.

La vision anglophone des Black Lives Matter vous séduit, alors que l’UP-MREF a été un échec, selon vous?

La vision était trop grande. Je pense que maintenant, on veut arriver avec le label noir-francophone, comme les anglophones. Avec les UP-MREF, on mettait plus en avant les groupes raciaux…. Les gens venaient de plusieurs tendances, de plusieurs groupes. On voulait embrasser trop large avec les Maghrébins, les Vietnamiens… Il y avait donc des gens autour de la table qui n’avaient jamais travaillé ensemble.

Concrètement, que va faire la Coalition des Noirs francophones de l’Ontario?

Elle va être un organisme porte-parole, pour informer, et rejoindre nos membres. Nous allons les aider et leur donner des outils par des ateliers de formation et être proches de certains de nos jeunes dans la communauté qui font face à la justice. Il s’agit de voir comment palier cela pour ne pas remplir les prisons.

Dans la vie quotidienne, ça change quoi d’être à la fois noir et francophone en Ontario?

Au niveau de l’enjeu de l’entrepreneuriat, peut-être que ces gens peuvent devenir des créateurs d’entreprise. Il faut créer une certaine émergence de cette communauté-là et lui permettre une certaine plus-value. Certains organismes ont déjà fait du travail, mais nous voulons aller au niveau des solutions…. En le faisant, c’est une autre manière de faire face au racisme, avec des solutions concrètes.

Il y a donc un rejet des noirs dans la communauté franco-ontarienne?

Oui! Que ce soient au niveau éducatif, du gouvernement et des médias, il y a comme un seuil qu’on atteint, mais nous ne sommes pas capables d’aller au-delà. On voit la Terre promise mais on ne la touche pas! C’est difficile de nommer ces cas réels…. Par exemple, certains membres des communautés sont des enseignants suppléants de très longue date, mais n’ont pas de postes permanents. La solution pourrait être des rôles à jouer plus de leadership dans telle structure ou tel département.

Il y a tout de même différents enjeux entre les noirs immigrants, c’est votre cas puisque vous êtes arrivé au Canada en 1994, et ceux de deuxième ou troisième génération. Est-ce que les différentes générations peuvent travailler ensemble?

Il faut dépasser l’aspect de l’immigration, et regarder indépendamment de cette complexité. Il faut créer un momentum pour que nous apprenions à nous connaître mieux. Les obstacles qui nous relient peuvent être la discrimination, la non-promotion, l’évolution en dents-de-scie.

On a vu que certaines voix se sont élevées dernièrement pour dire que La Résistance n’était pas assez inclusive vis-à-vis des minorités visibles. Quelle est votre position sur cela?

Au sein de la Coalition, nous nous sommes impliqués, nous avons créé des mécanismes, nous avons été présents, nous avons demandé aux membres de la communauté de participer. Il y a des gens qui voient le verre à moitié plein et d’autres à moitié vide. Il faut être uni et trouver ensemble des pistes. Unissons-nous par rapport à ce qui est en train de brûler, et après lorsque le feu sera éteint, nous trouverons des solutions.

Qui peut faire partie de la Coalition des noirs francophones? Faut-il obligatoirement être noir pour être membre?

(Rire agacé) Ce n’est pas par rapport à la couleur, mais plutôt adhérer à la mission! Il faut voir que la communauté a évolué! Cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas avoir des alliés blancs. J’essaye de dire que c’est une question bleue que vous me posez!

Jean-Marie Vianney, lors d’une entrevue avec #ONfr en 2017. Archives #ONfr

On vous voit depuis tant d’années qu’on peut vous décrire comme une figure de proue des communautés ethnoculturelles en Ontario. Êtes-vous à l’aise avec ce terme?

Je ne sais pas si j’en suis une, mais je pense qu’avec ma formation en médias, j’ai toujours voulu être ce pont entre notre communauté et les autres communautés. Avec le temps, c’est devenu comme une seconde nature.

La francophonie, c’est comme un vêtement que je mets facilement. Au Cameroun, la problématique linguistique existe aussi, et il est difficile de trouver des passerelles, et respecter la minorité anglophone. Si je peux être ce pont-là et déclencher les dialogues, je suis ravi. Pour faire un dialogue, il faut un émetteur, un récepteur, et une langue. Je pense que je peux jouer ce rôle.

Il y a donc des similitudes entre le Cameroun et le Canada sur les langues?

La dualité linguistique fait beaucoup de morts au Cameroun. Le Canada et le Cameroun pourraient s’inspirer mutuellement et de manière concrète. Au Cameroun, huit provinces sont francophones et deux anglophones, c’est donc grosso modo l’inverse au Canada. Je crois aux valeurs du multiculturalisme et de dualité, on peut toujours trouver un terrain entente.

Pourquoi avoir quitté le Cameroun en 1994?

Je suis arrivé comme étudiant étranger à l’Université Saint-Paul dans les années 90. C’était pour étudier les communications sociales…. De là, j’ai décidé de rester, j’avais créé mon réseau, j’étais dans la fleur de l’âge…

(Un peu embarrassé) Mes parents respectaient mon choix. Ils sont importants dans le personnage que je suis. Ils m’ont forgé les valeurs de respect, de la différence. Je suis dixième d’une famille de douze enfants, on apprend dans ces cas-là à négocier. Ma famille est sur tous les continents, j’ai un frère au Canada, mes sœurs en France et en Europe, et certains sont encore au Cameroun.

Vous avez le même nom que le Saint Jean-Marie Vianney fêté le 4 août sur le calendrier catholique. Est-ce un hasard?

Mon oncle était mort quelques jours avant, et comme je suis né le 9 août, ils m’ont donné le nom de mon oncle. Comme je viens d’une famille catholique, mon père était directeur d’une école catholique, c’est aussi pour cela qu’ils me l’ont donné.

Parlez de vos expériences personnelles, ce n’est manifestement pas trop un exercice que vous appréciez?

Exactement, mais c’est l’éducation que j’ai reçue… mais je suis en train de travailler un manuscrit sur mon parcours personnel et individuel. Je cherche un éditeur. Ce livre serait ma vision des choses, ma vision du monde, mes passions, mes inquiétudes. Je ne suis pas toujours le monsieur sérieux que l’on croit. »


LES DATES-CLÉS DE JEAN-MARIE VIANNEY :

1975 : Naissance à Douala (Cameroun)

1994 : Arrivée au Canada, étudiant à l’Université Saint-Paul

1996 : Rejoint la radio communautaire de l’Université d’Ottawa à titre d’animateur et journaliste bénévole, y travaille pendant vingt ans.

2015 : Commence à travailler à Radio-Canada, jusqu’en 2017

2018 : Fondation de la Coalition des noirs francophones de l’Ontario

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.