Jessy Lindsay, artiste féministe et engagée pour l’affirmation de soi
[LA RENCONTRE D’ONFR+]
OTTAWA – Musicienne, auteure-compositrice et interprète avant-gardiste, Jessy Lindsay offre sa musique comme on offre une thérapie. Proche de la communauté, cette Franco-Ontarienne travaille avec de nombreux organismes francophones de la région d’Ottawa. Féministe et engagée, Jessy Lindsay veut avant tout que les femmes se choisissent et s’élèvent ensemble.
« Du haut de vos 21 ans, vous avez déjà plusieurs années de pratique musicale, n’est-ce pas?
Oui, j’ai commencé la musique très tôt dans ma vie. Mes grands-parents me disent toujours que j’écrivais des chansons dans le siège arrière de l’auto, lorsque j’étais un enfant. Je me demande vraiment à quoi ça pouvait ressembler, surtout que je n’avais pas de vocabulaire (Rires).
Apparemment, je fredonnais et il n’y avait pas de mot nécessairement. Ensuite, j’ai commencé le piano à l’âge de 6 ans, la guitare à 8 ans et j’ai commencé véritablement à écrire des chansons dès 10 ans et performer à 12 ans. J’ai sorti mon premier single à 12 ans d’ailleurs, puis un autre à 14 ans. En 11e année, j’ai composé un quintette à cordes et fait un spectacle de lancement lors duquel j’ai invité Marie-Clo et Moonfruits en première partie.
Avez-vous toujours écrit vos chansons en français?
Pas toujours. En fait, lorsque j’étais en 6e et 7e année, j’ai commencé à écrire en français pour les spectacles de l’école. Au début, j’étais plus à l’aise en anglais. C’est à partir de là que je suis tombée en amour avec l’écriture en français et le chant en français.
J’étais dans le programme de musique vocale au centre d’excellence artistique de l’École publique secondaire De La Salle. J’ai fait beaucoup de chorale, de chant classique et de solfège. On a fait des tournées internationales pour présenter la musique canadienne-française, comme en Chine ou en Italie par exemple.
En tant que Franco-Ontarienne, est-ce une évidence de chanter en français?
Je pense oui. En fait, je me sens chez moi et moi-même en français. J’ai toujours baigné dans le français et c’est normal pour moi de continuer mon art en français. Même si je suis consciente que je pourrais le faire en anglais. Mon père est anglophone et ma mère bilingue. Le français, c’est ma thérapie.
En 9e année, j’ai vu Céleste Levis sur scène. Je me suis dit alors que je voulais vraiment faire comme elle. Être une femme au milieu de la scène et partager des émotions et des feelings dans mes chansons. En rencontrant des gens de l’industrie musicale franco-ontarienne et franco-canadienne, je suis tombée en amour avec la communauté. C’est comme une petite famille.
Je me sens choyée d’être si bien reçue dans la communauté francophone de l’Ontario, mais aussi, avec les artistes ontariens, on se soutient et on s’entraide. On veut de la relève franco-ontarienne aussi. Avec la pandémie et l’impossibilité de faire des festivals, on est en perte de vitesse.
Vous produisez-vous ailleurs que dans la région d’Ottawa?
La plupart des spectacles que j’ai fait cet été étaient avec des organismes francophones d’Ottawa. L’Alliance française, l’Association des communautés francophones d’Ottawa, la Maison de la francophonie d’Ottawa… D’ailleurs, je travaille pour eux comme coordinatrice d’un programme artistique pour les jeunes. Je suis aussi sur le conseil d’administration de l’Association des professionnels de la chanson et de la musique (APCM). Je m’implique vraiment dans le monde francophone. J’ai beaucoup d’amour pour la communauté.
En 2021, j’ai animé une émission qui s’appelait Ma voie et j’ai fait 13 entrevues avec des femmes auteures-compositrices-interprètes franco-canadiennes. On parlait de musique, mais aussi des défis de l’industrie, les parcours propres qui leur ont permis de s’assumer et de développer de la confiance en soi.
En quoi la musique vous a transformée?
J’étais un enfant très timide, je pleurais beaucoup et pour des choses futiles. J’avais peur de faire mal aux autres. Je ne me mettais pas souvent en avant, je ne mettais pas souvent mon pied à terre. Dès l’enfance, j’ai eu un penchant pour la musique et je crois que c’est de devoir performer qui m’a permis de m’affirmer et partager mes émotions.
J’étais le genre de fille à jouer souvent aux spectacles au secondaire et même au primaire, c’est quelque chose que j’ai toujours fait.
Ça m’a pris beaucoup de temps pour comprendre ce que je voulais dire et faire avec ma musique. Je me suis vraiment remise en question, demandée quelle sorte de musique et quelles ambitions j’avais et finalement, ça a été plus simple que ce que je pensais.
Comment qualifieriez-vous votre musique?
Je décris ma musique comme indie-pop avec des sonorités jazzées et libératrices. Pour moi, ça veut dire que ce sont des refrains accrocheurs, je suis une nerd de théorie musicale. Je me libère au travers de ma musique et je pense qu’on l’entend au niveau musical.
Il y a beaucoup de joie dans la libération et l’explosion de soi. Je suis très logique comme personne et j’aime résoudre des problèmes, d’ailleurs, j’aime apprendre à tout faire moi-même, que ce soit du budget à la planification. Être une femme accomplie dans l’industrie.
Pensez-vous qu’être musicienne depuis un si jeune âge vous a aidé à vous découvrir?
Absolument, ma musique, c’est aussi ma thérapie. J’ai beaucoup changé depuis le secondaire : je me souciais tellement de ce que les gens pensaient de moi. Je pensais déranger les gens si je leur parlais. Je me jugeais constamment aussi.
Puis à l’université, tout le monde se foutait de moi, mais de la meilleure façon possible. Je me sentais capable d’être qui je voulais et de m’assumer. Et en même temps, ça a été le cas pour ma musique aussi. J’ai évolué en même temps que ma musique, ou peut-être que c’est elle qui a évolué en même temps que moi.
J’ai commencé à faire des choses pour moi-même. Et m’entourer de gens qui m’élèvent humainement et artistiquement. Il fallait que je me découvre, que je me choisisse et que je priorise ma joie. Dans la vie, il faut se choisir soi-même.
Votre dernier EP va sortir en octobre. Pouvez-vous nous parler de sa réalisation?
C’est, je crois, mon plus gros projet. Je me suis entourée de personnes incroyables pour ce projet, qui avaient aussi besoin d’expériences professionnelles. Ce qui rend la réalisation aussi intéressante, c’est que nous sommes toutes des femmes qui veulent nous élever humainement et professionnellement. J’ai réalisé, peut-être récemment, que je voulais que toutes les jeunes femmes et tous les jeunes se sentent heureux, libres et puissent se mettre en avant, prendre leur place, s’assumer. C’est un bon sentiment de promouvoir le leadership.
Pourquoi l’avoir intitulé J’explose?
J’explose, c’est une explosion de soi. Je vous présente qui je suis. Puis le premier single est sorti le 2 septembre, c’est Pouvoir de sorcier. Cette chanson-là est très dansante, c’est groovy et accrocheur. Je l’avais commencé en 2020 et on l’a peaufiné cette année. C’est ma réflexion sur qui j’étais avant et sur ma décision d’avancer dans la vie.
Je fais souvent ça avec mes émotions. Je mets des mots dessus et ça me permet d’avancer, de guérir, c’est libérateur. Le vidéo-clip du single montre aussi l’expérience que j’ai vécue et qui a inspiré l’écriture de cette chanson : Pouvoir de sorcier.
Dans l’EP, je décris la femme parfaite selon moi. Il y a le titre : Elle. Elle est là en moi, je le sais, il faut juste desserrer le corset. Le corset, c’est la société.
J’explose représente tout ce que je gardais à l’intérieur, donc mes émotions. Elles ont d’ailleurs un jour littéralement explosé. J’ai écrit le titre J’explose (devant toi) avant même d’exploser, comme trois jours avant. La chanson savait avant moi ce qui allait m’arriver. La musique sait tout, de toute façon!
J’ai vraiment hâte de le présenter, il y aura une belle soirée de lancement avec plein de surprises et de célébrations le 29 octobre au Club SAW à Ottawa.
Pour quelle raison le pouvoir et la place de la femme vous touchent-ils à ce point?
La femme est souvent montrée d’une certaine façon dans la vie en général et même si ce n’est pas explicite, on est dessiné comme des personnes qui se mettent en arrière. Alors que l’homme a toujours cette première place. Ce n’est pas simple et c’est une image qui nous est présentée très tôt dans notre jeunesse et ça a un impact sur nous, ne serait-ce que la libération de la sexualité chez la femme. Il y a un impact peut-être plus important qu’on ne se l’imagine.
J’ai dû déconstruire ces idées dans ma tête et me dire que je peux prendre ma place, dire non et mettre mon pied à terre. En ce moment, une artiste qui m’inspire dans ce sens, c’est Lou-Adriane Cassidy.
J’aime ceux qui s’assument, j’admire les gens qui ont confiance en eux, ça m’inspire beaucoup. »
LES DATES-CLÉS DE JESSY LINDSAY :
2001 : Naissance à Ottawa
2017 : Médaille d’or dans la catégorie musique aux Jeux de la francophonie canadienne
2019 : Finaliste au Gala du prix d’excellence du Centre d’excellence artistique de l’Ontario
2020 : Spectacle Hautes vibrations avec LeFLOFRANCO, Ferline Regis et Robert Paquette
2022 : Lancement de l’EP, J’explose, et du vidéoclip pour la chanson J’explose (Devant toi)
Chaque fin de semaine, ONFR+ rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada