Jeune Afrique à Sudbury : une lettre d’amour franco
SUDBURY – À vous qui portez les espoirs de l’Afrique. Et ceux de l’Ontario français. À vous qui partagez votre voix, tantôt timide, tantôt audacieuse et toujours puissante. À vous, Jeune Afrique : maudit que vous êtes magnifiques. Vous avez eu le courage de mettre le pied à Sudbury, une terre de roche, de neige et de feu, afin de saisir votre destinée. Belle gang, vous êtes des forces de l’avenir.
Chère Jeune Afrique,
Comme je suis ravie de vous retrouver dans le Nord de l’Ontario.
Je vous ai croisés, autrefois, en terre africaine, là où j’ai parcouru la route Gulu-Nimule vers le Sud Soudan, où j’ai humé le parfum des hibiscus du Sahel et gravi les sommets du Congo pour aller retrouver les nuages, le souffle coupé par le coeur de ce vaste et merveilleux continent.
Et vous revoici parmi le roc et le rail de Sudbury.
Viendra peut-être le jour où vous devrez décider ou bâtir pays et une vie. Que vous restez à N’Swakamok (Sudbury), où que vous retourniez en Afrique, de passage par le Québec, la France ou ailleurs dans le monde, sachez que votre cheminement aura des échos pour les générations à venir.
Ici. Là-bas. Partout où se vit la langue française.
L’Afro-Franco-Ontario
« Isabelle est venue du Canada pour nous coloniser! » – lançaient en taquinant mes nouveaux amis sénégalais lors de mon premier passage en cette terre où règne générosité et humour.
J’ai ri cette blague de bon cœur – mais elle allait aussi évoquer en moi cette idée que ma langue, une langue de résistance par chez nous, une lingua franca qui nous permettait de tisser des liens d’amitié ici en Afrique franco, était aussi langue colonisatrice.
Ailleurs – et ici.
Je comprenais déjà que j’habitais une ancienne colonie française et britannique, mais c’est vous, Jeune Afrique, vos pays et votre continent qui m’ont fait comprendre la colonisation avec le cœur. J’ai témoigné des forces coloniales en terres africaines pour enfin mieux les comprendre ici, en terres autochtones sacrées.
À Sudbury, j’habite également la réalité du Franco-Ontarien, cette personne qui ose parler français, une langue addendum à l’anglais. Ici, le français a longtemps été source de poésie et de politique, la fierté d’une communauté qu’on a cherché à faire taire. Mais nous avons été résistants – et nous sommes toujours là.
Cette langue, nous la parlons avec rudeur et poésie, surtout icitte dans l’Nord d’l’Ontario. Ce sont nos chansonniers et poètes, artistes et leaders – notre jeunesse, qui ont fait vivre cet Ontario français « de mineurs, de bûcherons, de fermiers, d’ouvriers ».
Nous ne sommes pas les seuls à faire vivre cette langue à notre unique sauce. Comme le rapportait la BBC en 2019, « la touche africaine s’invite désormais dans la langue de Molière » sur le grand continent, là où d’ici 2050 pourraient habiter 85% des francophones à l’échelle mondiale.
Vous façonnez la langue française à un parlé, un accent et un patois forgés de vos réalités collectives – et j’ose espérer que vous ferez de même ici en Ontario français.
L’Ontario français dit avoir besoin de vous – de votre vision, votre génie, votre voix. Fragilisé par le vieillissement de nos populations et l’assimilation linguistique, l’Ontario français puise son salut dans l’immigration francophone pour stabiliser notre vitalité et notre poids démographique.
Mais sachez que ne vous revient pas la responsabilité de nous sauver. Ce serait injuste. Paternaliste. Et même colonisateur.
Vous avez un chemin unique à tracer – le vôtre.
Ici à Sudbury, nous vous avons trop souvent déçu, car nous n’avons pas toujours été les « communautés francophones accueillantes » et fraternelles que vous méritez. Et justement, vous méritez ce qu’il y a de plus juste, équitable et accueillant. Vous méritez de tracer un chemin à votre image et à la hauteur de vos ambitions.
Ici – et ailleurs.
Prendre sa place
Je suis enjaillée de vous, Jeune Afrique, comme le diraient les Ivoiriens. Vous êtes les grands luminaires, créatifs, intellos, poètes, philanthropes et changemakers dont le monde a besoin.
Et vous êtes l’avenir de toute une francophonie. Que vous partiez, que vous restez, sachez que vous allez changer le monde à votre façon.
Comme l’ont fait des générations de Franco-Ontariens, je vous souhaite de « prendre votre place. Toute votre place. Pis sans demander la permission ».