Julien Geremie, le CCO comme destination finale

Le directeur général du CCO, Julien Gérémie. Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR+]

TORONTO – Quatre pays de résidence, et autant de provinces au Canada, c’est le temps qu’il aura fallu à Julien Geremie pour déposer ses valises en Ontario. Employé depuis 2010 au Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO), le jeune homme a été propulsé directeur général en novembre dernier après le départ de Luc Morin. Le temps pour lui dans cette entrevue de revenir sur son parcours, mais aussi de nous expliquer le rôle précis de son organisme.

« On connaît beaucoup d’organismes franco-ontariens, mais il arrive d’être moins familier avec le rôle du CCO. Pouvez-vous nous l’expliquer?

Le CCO, c’est l’organisme de défense et d’appui aux entreprises sociales et coopératives pour les entrepreneurs déjà existants. Nous misons sur le développement économique communautaire, la recherche de l’innovation sociale, et la gestion organisationnelle pour des entreprises sociales qui ont besoin de ressources humaines supplémentaires…

Sur quelles ressources financières et humaines vous appuyez-vous?

On a un budget composé de financement d’environ 2 millions de dollars avec des financements du gouvernement provincial, fédéral, et des financements de contrats au cas par cas. On a une équipe avec une dizaine de personnes en place avec des bureaux que ce soient à Ottawa, Sudbury, Toronto, Temiskaming Shores ou Windsor. Pour celui de Windsor, il vient tout juste d’ouvrir.

Avez-vous des exemples concrets de la manière dont vous aidez ces entreprises?

On a travaillé avec la Coopérative funéraire d’Ottawa, dans la région de Toronto, avec Bon Appétit, un service de traiteur qui emploie des femmes immigrantes, et dans l’Est de l’Ontario avec Africa slow food, qui fait de la vente de produits épiciers. On travaille avec la Coopérative d’énergie renouvelable d’Ottawa et avec des stations de radio. Au total, on travaille avec environ de 100 à 120 entreprises sur le territoire.

Parfois, on démarche nous-mêmes les entreprises. On suit les médias, et on voit si elles ont des difficultés, et comment les transformer et les aider dans leurs défis. Par exemple dans le Nord, on voit parfois qu’il y a une problématique de la succession d’entreprises. Par exemple, certains entrepreneurs nous appellent pour dire qu’ils ont un restaurant, qu’ils partent en retraite, et veulent qu’ils deviennent une coopérative.

Parmi les autres défis, il peut y avoir des problèmes d’argent qui peuvent arriver, mais ce n’est ce n’est pas le problème le plus criant, car des fois ce sont des problèmes structurels, ou au niveau du règlement de la politique. Des organisations parfois n’ont pas de plan d’affaires…

C’est quoi une entreprise sociale au juste?

Nous considérons que ce sont des entreprises sans but lucratif, mais qui par ailleurs commercialisent. L’ACFO Ottawa a une boutique en ligne, l’ACFO Sudbury vend des drapeaux, et peuvent être considérées comme une entreprise sociale…

Quelle est la différence entre votre mission et celle de la Société Économique de l’Ontario (SÉO), car votre mandat semble similaire.

C’est une bonne question. On travaille très bien ensemble. On a eu une entente avec eux depuis 2015 pour mieux délimiter nos taches. La SÉO offre des services au niveau de l’entreprenariat privée, elle est là pour aider à maximiser les profits, alors que nous, ce sont des entreprises avec une mission sociale.

Si j’ouvre une boulangerie française par exemple, à Toronto, dois-je faire appel à vous ou à la SÉO pour de l’aide?

Cela dépend. Si on se rend compte que la mission est de maximiser les profits, alors la SÉO sera meilleure pour aider. Mais si, par exemple, cette boulangerie a une mission culturelle, environnementale, que vous vous donnez la mission sociale de n’embaucher que des immigrants, alors oui, il faut faire appel au CCO.

Depuis huit ans, vous avez gravi tous les échelons au CCO où vous avez débuté comme agent de développement. Comment s’est passé la transition avec le départ du directeur général Luc Morin?

J’étais le plan de succession, et j’étais la personne désignée, car je connaissais très bien les dossiers, du fait de ma bonne connaissance de l’entreprise. J’avais les mains déjà sur pas mal de dossiers.

Luc Morin, ancien directeur général du CCO, et Julien Geremie. Gracieuseté.

Un fait que l’on ignore, c’est que vous êtes né en France, dans la région de Toulouse, et êtes arrivé au Canada en 2008. Qu’est-ce qui vous a amené au Canada?

En fait, j’ai eu un baccalauréat d’histoire en Finlande, et de là plusieurs options s’offraient à moi. J’ai eu des réponses positives pour une maîtrise en sciences politiques en Nouvelle-Zélande et à Montréal. Je n’ai jamais reçu de réponse en Finlande… J’en ai parlé à ma grand-mère, mais elle a pleuré quand je lui ai parlé de la Nouvelle-Zélande, c’était trop loin pour elle.

Je suis donc arrivé pour une maîtrise à Montréal, en 2008…. Puis mon premier emploi au Canada a été en Colombie-Britannique, et en anglais. Avant, l’idée ne m’avait jamais traversé l’esprit qu’il pouvait y avoir des francophones en Colombie-Britannique. J’ai découvert alors les écoles françaises, j’étais ébahi par cette réalité… J’ai travaillé ensuite en Saskatchewan, au Collège Mathieu, où j’étais agent de projet.

Quelles sont les différences entre les pays que vous avez fréquenté que ce soient la France, l’Allemagne où vous avez fait un échange, la Finlande et le Canada?

Si je prends l’exemple de la Finlande, il y avait une homogénéité de la population, c’était assez difficile. Au Canada, j’apprécie vraiment le multiculturalisme. Je n’aime pas quand il y a juste une langue, que les gens se ressemblent tous, sont tous façonnés par un système éducatif semblable… Cela devient pratique pour un gouvernement de formater la population, mais dur pour la richesse culturelle… Cette même richesse qui fait notre identité.

En France, dans la région de Toulouse, vous viviez sur une ferme, expliquez-nous cela.

J’avais 13 ans et je vendais des lapins et des poulets pour acheter une console de jeu et la télévision. La vie était très différente… On vivait tous ensemble avec ma famille, mes grands-parents, mes arrière-grands-parents, sur le même domaine. C’était très coopératif, très collectif, on mangeait tous ensemble, on partageait tout, c’était le collectif à l’état pur…

C’était une ferme de vache à viande, je m’occupais d’une étable, de nourrir les veaux, courir après les vaches… Il y avait aussi le système d’irrigation du maïs mais ça ne fonctionnait jamais quand il fallait… C’était un peu de l’esclavage fermier, on n’avait pas le choix, c’est pour ça qu’il fallait que je parte. Avec le recul, on avait une belle qualité de vie, on mangeait sainement. Je retrouve cet esprit aujourd’hui dans beaucoup de communautés de l’Ontario.

Est-ce pour créer une rupture que vous êtes parti en Finlande?

C’était une certaine recherche d’identité, j’avais besoin de savoir par rapport à moi-même, et j’ai beaucoup découvert des choses sur moi. Je sais maintenant apprécier d’où je viens. En fait, j’étais à l’Université d’Albi en France, et il y avait des facilités pour partir en Finlande. Une fois sur place, j’étais intéressé par la culture, j’ai pris des cours de finnois intensif. La qualité de l’éducation, le coût de la vie étaient abordables.

Le directeur du CCO, Julien Geremie. Gracieuseté.

Comment passe-t-on d’études de sciences politiques à la CCO?

En Colombie-Britannique, j’avais préparé mon admission pour un doctorat pour l’University of British Columbia. Une amie qui faisait un doctorat à Brisbane m’a dit que je risquais d’être enfermé dans une salle à faire de la recherche. Je suis quelqu’un de terrain, je me suis dit que je voulais faire quelque chose de plus audacieux.

Au CCO, c’était donc très différent. Je connaissais un petit peu le monde des coopératives comme j’ai grandi sur une ferme en France, mais pas tout à fait, et j’ai donc appris. Je suis persuadé qu’on peut faire de l’Ontario un modèle mondial et social de coopératives. Ici c’est très bien organisé, le CCO est cinq fois plus gros que son pendant anglophone provincial en termes de budget… Du coté anglophone, c’est plus fragmenté.

Pourquoi le modèle coopératif francophone est plus gros?

C’est un aspect typiquement historique. Lorsque des groupes sont marginalisés, ils vont se regrouper pour avoir accès au système et à leurs institutions. Lorsque le CCO a été créé en 1964, les caisses populaires disaient qu’elles n’avaient pas accès à ce que les anglophones avaient accès. Beaucoup d’organismes sont les héritiers de cette histoire, et c’est pour cela qu’aujourd’hui, on a ce devoir d’appuyer, mais aussi de montrer que ces communautés sont par-dessus les anglophones.

Dernière chose, en octobre dernier, vous étiez élu sur le conseil d’administration de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), à titre de représentant de la région du Centre. Pourquoi cet engagement?

J’essaye d’apporter un certain nombre de choses, tout d’abord la perspective de Toronto, faire prendre conscience que la francophonie ontarienne n’est pas seulement à Ottawa. Souvent avant, on voyait l’AFO comme très centrée à Ottawa. Aussi, il faut voir comment l’AFO peut réellement appuyer les communautés francophones à travers la province. »


LES DATES-CLÉS DE JULIEN GEREMIE :

1987 : Naissance à Lavaur (France)

2005 : Départ pour la Finlande. Baccalauréat en histoire.

2008 : Arrivée au Canada, à Montréal

2010 : Commence à travailler comme agent de développement au Conseil de la coopération de l’Ontario (CCO)

2019 : Officiellement nommé directeur général du CCO. Occupait le poste par intérim depuis novembre.

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