« Justin Trudeau manque de respect envers les langues officielles »

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Archives #ONfr

OTTAWA – Les partis d’opposition n’ont pas manqué de fustiger l’attitude du premier ministre Justin Trudeau lors de sa tournée pancanadienne vis-à-vis des langues officielles, à Peterborough, puis à Sherbrooke.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Après s’être embourbé dans des déclarations jugées par l’intéressé lui-même comme « baveuses » concernant le bilinguisme officiel de la ville d’Ottawa durant le temps des Fêtes, Justin Trudeau est encore une fois sous le feu des critiques.

À croire que les très rares propos du premier ministre sur les langues officielles doivent toujours se terminer par une polémique, comme c’est le cas depuis qu’il a décidé de répondre en français à une question qui lui était posée en anglais, le mardi 17 janvier, à Sherbrooke.

La porte-parole du Parti conservateur du Canada (PCC) en matière de langues officielles, Sylvie Boucher, s’est dite « sidérée » par l’attitude du premier ministre.

« C’est un total manque de savoir-vivre et de respect vis-à-vis des langues officielles. Je trouve ça extrêmement arrogant de sa part. Ça va à l’encontre de tout ce qu’il prétend être et de ce qu’il prône. S’il était unilingue, je pourrais comprendre… Le premier ministre doit arrêter de s’excuser et vraiment représenter tout le monde! »

L’épisode de Sherbrooke n’est pas isolé puisque pour assurer sa défense, le premier ministre a révélé que quelques jours auparavant, à Peterborough, il avait répondu en anglais à une question qui lui était posée en français. Cela n’avait toutefois pas échappé à l’ancien ministre conservateur, Jason Kenney.

Au Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, ne mâche pas ses mots.

« C’est inacceptable! Comment se fait-il que le premier ministre qui a programmé une tournée pancanadienne à la rencontre des Canadiens n’ait même pas réfléchi à la question des langues officielles? Il ne peut pas continuer à faire gaffe après gaffe et simplement s’excuser. Son attitude démontre une totale méconnaissance de la question des langues officielles et de la réalité des communautés de langues officielles en situation minoritaire! »

Le député de Drummond, critique aux langues officielles pour son parti, a indiqué à #ONfr son intention de déposer une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles (CLO) du Canada.

Trois plaintes pour Peterborough

Le CLO a indiqué avoir déjà reçu plusieurs plaintes dans ce dossier et qu’une enquête était en cours pour déterminer si le premier ministre a enfreint la Loi sur les langues officielles.

Jointe par #ONfr, l’institution fédérale explique avoir reçu un total de 14 plaintes, dont trois pour l’épisode de Peterborough.

L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO) ne fait toutefois pas partie des plaignants, a confirmé à #ONfr, son président, Carol Jolin.

« Nous pensons que c’est mieux si ce sont des individus qui font une plainte, cela a plus d’impact. Mais nous rappelons au premier ministre que le Canada est un pays qui se distingue par sa dualité linguistique et qu’il doit montrer l’exemple en s’adressant au public dans les deux langues officielles, peu importe où il se trouve au Canada! »

L’organisme porte-parole de la communauté franco-ontarienne se range derrière la position de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada qui elle non plus ne portera pas plainte.

Toutefois, dans une lettre ouverte publiée sur #ONfr, la présidente de l’organisme, Sylviane Lanthier, a invité le premier ministre à faire preuve de leadership.

« Avec le débat qui s’est amorcé au cours des derniers jours, le premier ministre a réaffirmé son attachement au bilinguisme. C’est bien, mais entre affirmer un engagement personnel et assumer un véritable leadership pour camper clairement nos deux langues officielles sur la place publique partout au pays, il y a un pas que M. Trudeau, de par sa fonction, est appelé à franchir. »

Réflexion incomplète

Récemment, #ONfr avait interrogé plusieurs politologues sur le rapport entretenu par le premier ministre avec les langues officielles. Le stagiaire postdoctoral à la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Martin Normand, jugeait notamment l’attitude de M. Trudeau proche de celle de Stephen Harper dans ce dossier.

La professeure à l’École d’études politiques et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, n’en revient pas.

« Je n’ai jamais vu ça! Ce n’est pas sa première bourde sur le sujet et on pourrait s’attendre à ce qu’il comprenne que dans un pays où il y a deux langues officielles, il faut les respecter toutes les deux. C’est élémentaire! M. Trudeau doit se comporter comme un chef d’État vis-à-vis des langues officielles. Son attitude traduit, au contraire, une absence de sensibilité. Depuis son arrivée au pouvoir, on a l’impression qu’il n’y a aucun mot d’ordre au sein du gouvernement sur cette question. Il ne voit peut-être pas que c’est un enjeu. »

Même dans les excuses de M. Trudeau sur la controverse de Sherbrooke, le politologue de l’Université d’Ottawa, François Rocher, ne voit pas d’amélioration.

« Même quand il s’excuse, M. Trudeau ne nous dit rien de comment il conçoit le bilinguisme. Cette épisode démontre une certaine approche territoriale de celui-ci avec un Québec où on parle en français et le reste du Canada où on parle en anglais. Aujourd’hui, il semble dire qu’il va s’adapter selon ses interlocuteurs. On voit que sa réflexion sur les langues officielles n’est pas achevée, elle est confuse. Il ne comprend toujours pas qu’il y a une raison pour laquelle le Canada a deux langues officielles, que c’est parce que le pays a été conçu pour rendre compte de la contribution des communautés linguistiques à la construction du pays. »

En revanche, M. Rocher ne se montre pas surpris que l’attitude de M. Trudeau à Sherbrooke ait fait plus de bruit qu’à Peterborough.

« Les anglophones du Québec sont plus revendicateurs et leur message s’adresse autant au premier ministre qu’à leur province auprès de laquelle ils veulent être respectés. En Ontario, c’est davantage les vacances du premier ministre chez l’Aga Khan qui font les manchettes car beaucoup d’Ontariens considèrent que le contentieux linguistique est réglé. »