Kevin Arseneau, de la SANB à l’Assemblée
[LA RENCONTRE D’ONFR]
ROGERSVILLE – Le 24 septembre dernier, l’Acadien Kevin Arseneau a créé la surprise aux élections provinciales du Nouveau-Brunswick. Candidat du Parti vert, l’ancien président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) a remporté la circonscription de Kent-Nord. ONFR s’est entretenu avec ce militant dans l’âme devenu député.
« Que ressentez-vous après cette victoire à laquelle tout le monde ne croyait pas forcément?
Je me sens très bien, prêt à servir les gens de ma circonscription. La campagne électorale a été une expérience passionnante et on sentait la victoire possible sur le terrain, ces dernières semaines.
Mais au départ, je dois avouer que je doutais un peu. À un moment donné, je me suis même dit que je n’allais mettre que quelques pancartes et essayer d’améliorer le score qu’avait fait ma femme en 2014 [l’épouse de M. Arseneau, Rébeka Fraser-Chiasson s’était présentée pour le Parti vert et avait fini en deuxième position]. Et puis, dès que j’ai eu une gérante de campagne, une personne d’expérience, alors les choses ont changé. J’ai pu me donner à 100 %.
Qu’est-ce qui vous a fait gagner, selon vous?
Je pense que ce sont plusieurs facteurs. Déjà, les gens croyaient au changement. Ensuite, nous avions un message positif, là où d’autres tentaient plutôt de jouer sur les divisions, comme l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick.
Nous avions aussi des pancartes avec ma famille et moi dessus qui changeaient de l’image du politicien en veston et cravate. Ça représentait bien ma façon de faire de la politique autrement. Et puis, la venue de David Suzuki m’a aidé.
On a aussi fait beaucoup de travail de terrain. Je suis allé passer du temps avec des pêcheurs sur leur bateau, j’ai aidé dans une maison de soins… Je voulais mieux comprendre les défis des gens pour pouvoir mieux les défendre.
Vous aviez brigué l’investiture libérale dans Kent-Nord, qui vous a finalement été refusée par le comité d’approbation du parti, sentez-vous aujourd’hui comme un sentiment de revanche?
Je n’ai pas de sentiment de revanche personnelle, c’est plutôt une revanche pour les citoyens. Quand je me suis lancé en politique, c’est parce que beaucoup de gens étaient venus me voir en me disant que ça prenait quelqu’un comme moi pour les représenter à Fredericton. Ils m’avaient conseillé de me présenter pour le Parti libéral pour avoir des chances de gagner, car le comté a toujours voté libéral. Finalement, le parti n’a pas voulu ma candidature, alors que sur le terrain, c’est ce que les gens voulaient.
Vous vous étiez montré à plusieurs reprises très critique envers le gouvernement de Brian Gallant par le passé. Pourquoi alors avoir brigué l’investiture libérale?
Parce que je voulais représenter les gens et que je voulais aider le Parti libéral à concrétiser la promesse de Brian Gallant, en 2014, de faire de la politique autrement. Finalement, j’ai vu que ce n’était qu’un slogan.
J’étais pourtant prêt à faire certains compromis, mais comme je l’ai dit dès le départ, je ne voulais pas être un mouton ni faire passer les intérêts du parti avant celui des gens.
Aujourd’hui, je me sens plus à ma place chez les Verts. J’espère que ma victoire va montrer aux gens qu’il ne faut plus nécessairement être libéral ou progressiste-conservateur pour gagner des élections.
En postulant au Parti vert, un parti qui compte aujourd’hui trois élus, mais qui a peu de chance de devenir un jour majoritaire, quel rôle pensez-vous pouvoir jouer à l’assemblée?
Déjà, je crois qu’il est faux de penser que le Parti vert ne pourra jamais être majoritaire. Nous ne sommes pas si loin que ça, même si le système électoral nous est défavorable. Regardez ce qui se passe à l’Ile du Prince-Édouard. Selon les derniers sondages, si les élections avaient lieu aujourd’hui, ce serait le Parti vert qui l’emporterait là-bas.
« Mon but ne sera pas de faire la couverture de L’Acadie nouvelle, mais de travailler pour les gens de ma région »
Comme parti, nous aurons le pouvoir, surtout dans un contexte de gouvernement minoritaire, d’influencer les projets de loi.
Personnellement, je veux être une voix forte pour toutes les régions rurales qui ont été oubliées. Je veux travailler pour les générations futures, les droits des autochtones, le développement durable, la justice sociale… être à l’écoute des gens. Je veux montrer qu’on peut faire de la politique autrement, pas partisane à tout prix!
Vous étiez le président de la Fédération étudiante de l’Université de Moncton, vous êtes aujourd’hui député. D’où vient votre côté militant?
Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup de musique punk. Je viens de cette culture qui prône le Do it yourself. Je crois vraiment à cette philosophie qu’il faut se lever quand on veut quelque chose. Un groupe comme Propagandhi [groupe de musique manitobain] m’a beaucoup influencé.
Je me souviens d’avoir parlé avec le chanteur de Propagandhi après un concert, quand j’étais plus jeune et que je voulais arrêter l’école. C’est lui qui m’a fait prendre conscience que c’est à toi de décider ce que tu veux apprendre à l’école, de toujours être curieux. Il m’a donné deux livres, un de Noam Chomsky et un de Naomi Klein. Ça a beaucoup influencé ma façon de voir le monde.
Aujourd’hui, j’ai toujours cette même approche punk de la politique. Quand je suis arrivé à l’assemblée pour la première fois, j’écoutais du punk!
En 2015, vous vous étiez fait remarquer pour vous être fait expulser de l’Assemblée législative après vous être adressé directement aux députés à la suite du rejet d’un projet de loi du Parti vert sur l’alimentation locale. En devenant député, allez-vous être plus « sage »?
La différence, c’est que maintenant, j’aurais le droit de parole à l’Assemblée! (Il sourit)
Si c’était à refaire, je le referais. J’avais passé du temps à faire connaître ce projet de loi à plusieurs députés. Il aurait changé notre façon de faire et de vivre de l’agriculture. Quand j’ai vu des députés voter contre, alors qu’ils m’avaient dit que c’était un excellent projet, je leur ai rappelé leur engagement et dénoncé leur partisanerie.
« Si devenir sage veut dire ne plus défendre l’intérêt des gens que je représente, alors je ne m’assagirais pas! »
Ne craignez pas que la politique vous change?
Il y a des forces qui essaient de te faire changer, des groupes de pression qui veulent t’influencer. C’est sûr que faire de la politique va changer ma perspective, mais je ne vais pas changer ma façon de faire.
On a beaucoup parlé dans cette élection de la montée de l’Alliance des gens du Nouveau-Brunswick, un parti connu pour son opposition au bilinguisme dans la province. Les Acadiens ont-ils raison de s’inquiéter?
C’est une question de mathématique. Dans un gouvernement minoritaire, les tierces parties peuvent exercer plus d’influence.
Il y a une peur généralisée avec l’Alliance, que je peux comprendre, car leurs positions font peur. Mais je ne crois pas que les autres partis voudront aller dans cette direction. Les gens se lèveront quand le temps viendra.
Mais je pense aussi qu’il faut se battre contre les symptômes qui ont donné un écho à la rhétorique de l’Alliance. Aujourd’hui, on paie le manque de vision depuis trente ans et l’abandon des régions rurales qui ont engendré nos difficultés économiques.
Vous avez été président de la SANB avant de quitter votre poste pour vous lancer en politique. Est-ce à dire que vous pensez pouvoir faire plus avancer les choses comme ça?
La SANB a une très grande raison d’être pour pousser de façon positive les revendications des Acadiens. Mais ça prend aussi quelqu’un pour se lever à l’assemblée pour les défendre. Souvent, les députés sont Acadiens avant d’être élus, puis deviennent néo-brunswickois francophones… Moi, je serai toujours Acadien et défendrai l’idée que même si nous sommes tous différents, on est capable de vivre ensemble et de se respecter.
Que vous a appris cette expérience à la SANB?
Qu’on ne peut pas être aimé par tout le monde! (Il rigole) Je pense que tout le monde n’aimait pas forcément ma façon de dire que pour faire avancer les droits des Acadiens, il ne fallait pas seulement parler de la langue.
On le sait peut-être moins, mais avant de devenir député, vous avez été bûcheron, charpentier à Fort McMurray, guide de kayak de mer, cuisinier, conteur… Qu’est-ce que vous ont apporté toutes ces expériences?
Je n’aimais pas l’école, donc dès que j’en suis sorti, j’ai eu le besoin de vivre différentes expériences. Ça m’a permis de faire des rencontres, de voir différentes réalités, notamment les inégalités sociales…
Comme député, je veux continuer à faire ça. Aller passer une journée dans un foyer de soins, travailler dans une tourbière… Comme ça quand je me lèverai en chambre, je saurai ce qu’est leur réalité.
Après la politique provinciale, ce sera la politique fédérale?
Il ne faut jamais dire jamais, mais le pallier municipal m’intéresse davantage, car c’est là où est le vrai pouvoir des gens. On verra après un mandat, on décidera en famille et si les gens veulent que je poursuive. »
LES DATES-CLÉS DE KEVIN ARSENEAU
1985 : Naissance à Bathurst
2013 : Devient président de la Fédération étudiante de l’Université de Moncton
2015 : Baccalauréat en Art et Baccalauréat en éducation avec Majeure en géographie à l’Université de Moncton
2016 : Devient président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick
2017 : Quitte la présidence de la SANB pour se lancer en politique avec le Parti libéral
2018 : Remporte la circonscription de Kent-Nord pour le Parti vert du Nouveau-Brunswick
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.