La banque alimentaire de la Basse-Ville déborde… et la misère aussi

La banque alimentaire de la Basse-ville a besoin d'un nouvel espace. Crédit image: Lila Mouch

OTTAWA – La maison communautaire de la Basse-Ville ne peut plus remplir son mandat. L’insécurité alimentaire de ce quartier au cœur du district Rideau-Vanier a explosé ces dernières années. Aujourd’hui, le nombre de familles qui dépend de la banque alimentaire est tel que la maison communautaire du plus vieux quartier d’Ottawa n’a plus le choix : il faut s’agrandir, au risque de ne plus pouvoir répondre aux besoins.

« Nous sommes arrivés à un point de rupture. Tout simplement, les choses ne sont pas soutenables », pouvons-nous lire dans une communication du directeur général du centre de ressources communautaire de la Basse-Ville, Matthew Beutel.

La maison communautaire faisant partie du centre des ressources est censée être un lieu de rassemblement, « un espace où l’on peut offrir des programmes et des activités régulières et ponctuelles, de l’aide aux devoirs, des ateliers, un lieu pour les résidents qui veulent organiser des activités », énumère le directeur en entrevue avec ONFR+.

Aujourd’hui, 95 % de l’activité de cette maison est dédiée à la banque alimentaire. « Toutes nos ressources humaines et notre espace sont alloués à cette activité », renchérit-il.

« Historiquement, nous avions une petite banque alimentaire mais, au fil des années, la demande est devenue tellement forte que cela a pris le dessus sur les autres activités. »

« Il y a urgence dans l’urgence »

« Il y a urgence dans l’urgence », alerte Matthew Beutel. « C’est problématique, surtout que maintenant, nous ne sommes plus capables de répondre aux besoins des résidents. »

L’insécurité alimentaire des familles de la Basse-Ville s’est aggravée depuis les cinq dernières années.

En 2017, la maison communautaire recevait déjà 8 800 visites, mais en 2022, ce sont près de 16 000 personnes qui ont eu besoin de ses services.

M. Beutel s’inquiète de devoir restreindre et limiter encore plus les dons, faute de place pour l’entreposage des denrées.

Matthew Beutel est le directeur du Centre de ressources communautaires de la Basse-Ville à Ottawa. Crédit image : Lila Mouch

Arrivés de Tunisie il y a quelques mois, Seifallah Naouar et sa compagne n’y arrivent plus. À 36 et 33 ans, le couple doit avoir recours à la banque alimentaire de la Basse-Ville. « On a commencé par chercher un logement et c’était très difficile. On s’est très vite retrouvé en grande détresse. »

« Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si difficile », confie-t-il au micro d’ONFR+. Venu au Canada pour vivre une belle expérience et après tous les efforts mis en place, ce résident permanent qui a « tout abandonné en Tunisie » est vraisemblablement à bout de souffle.

C’est la première fois que M. Naouar requiert l’aide d’une banque alimentaire. « Mon pire cauchemar, c’est de perdre notre logement ». Alors pas le choix, il faut payer un loyer, mais aussi se nourrir. Les joies des premiers mois ont laissé place à l’insécurité, la peur et à la tristesse.

L’histoire de Seifallah Naouar c’est une réalité pour des centaines d’habitués de la banque alimentaire. Matthew Beutel explique qu’il n’y a pas de profil type : la misère frappe à toutes les portes. « Nous avons des familles de huit personnes et parfois plus, des mères monoparentales, des couples, des gens âgés ou seuls. »

« Je ne suis pas à l’aise, je me sens étouffé, je me sens triste », témoigne M. Naouar. « Normalement, je suis celui qui subvient au besoin de ma famille, je paie le loyer et la nourriture, et maintenant, c’est à ma femme de faire ça, seule. C’est un changement radical dans ma vie, je ne me sens vraiment pas bien. »

Après trois ans d’études et 12 années d’expérience comme kinésithérapeute, son diplôme n’est pas reconnu. Il doit reprendre deux ans d’études pour espérer une équivalence.  

Grâce aux dons de la banque alimentaire, M. Naouar et sa femme peuvent manger pour quatre à cinq jours. « Ils font de leur mieux, mais c’est vrai que les portions ont diminué. J’apprécie vraiment ce qu’ils font pour nous et je suis très reconnaissant. »

Une capacité qui n’est plus adaptée

« On ne fermera jamais notre banque alimentaire, mais notre capacité de réponse au besoin réel pourrait diminuer si la demande continue d’augmenter. Rien ne nous laisse croire que cela va s’améliorer », raconte le directeur du centre.

Matthew Beutel explique qu’il n’aura pas le choix de limiter la fréquence des dons et de réduire la quantité des denrées distribuées s’il veut continuer d’aider le plus de gens.

L’équipe de la maison communautaire de la Basse-ville et les bénévoles se réunissent tous les lundis pour décharger la livraison de nourriture. Crédit image : Lila Mouch

Le problème est visible : il n’y a pas de place pour stocker les livraisons. Lorsque le camion débarque, ce sont tous les bénévoles et employés de la maison communautaire qui s’activent. Une chaîne humaine se forme, il faut être efficace pour décharger les 1 300 kilos de nourriture livrés à ce jour.

Il faut ranger les couches pour bébés qui prennent de la place. En fait, tout prend de la place. Mais il faut contrôler aussi, notamment que les produits qui arrivent ne soient pas périmés. Puis, la manutention ne s’arrête pas, il faut descendre un escalier étroit pour stocker toujours plus de nourriture sur d’interminables étagères.

Il n’y a pas assez de place pour plus de personnels ni de soutiens. S’ajoutent à cela des difficultés pour accueillir les résidents. « On est tellement tassé que la confidentialité est affectée », ajoute M. Beutel.

Même la zone de réception des denrées alimentaires reste peu pratique pour le déchargement. Crédit image : Lila Mouch

Coordonnatrice de la maison communautaire, Mélissa Thibault-Cañas organise comme elle peut l’entreposage, la distribution, la prise de rendez-vous avec les habitants du quartier. Pour elle, « cet espace n’est pas fait pour ça. C’est une maison duplex convertie en banque alimentaire ».

Elle se demande même si le sol va tenir suffisamment longtemps. « La seule vraie option, c’est d’avoir un nouvel espace qui nous permettrait de répondre à la demande, mais aussi de travailler sur l’insécurité alimentaire avec nos habitants et de leur offrir tout le soutien d’une maison communautaire », dit-elle.

Avoir un plus grand espace, « c’est une question d’équité et de justice », insiste M. Beutel.