La création d’entreprise, plus compliquée pour les femmes en francophonie ontarienne

Le livre blanc qui dissèque l’économie franco-ontarienne et publié il y a un mois par un réseau économique francophone confirmait que la création d’entreprise était plus complexe pour les femmes en Ontario français. Une première édition sortie en 2022 montrait déjà que les hommes d’affaires ont moins été touchés par la pandémie que leurs homologues féminines. L’entrepreneuriat des femmes progresse, mais leur disposition pour y accéder patine toujours.
Le directeur sortant de la Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario, Richard Kempler, qui a dirigé la recherche du livre blanc, exigeait que soit donnée une attention particulière sur l’entrepreneuriat chez les femmes ainsi que soient débloquées des subventions simples et rapides pour les petites et moyennes entreprises.
En effet, les PME détenues par des femmes continuent de gagner du terrain selon un tout nouveau rapport sorti cette semaine par le Portail de connaissance pour les femmes en entrepreneuriat (PCFE) de l’Université métropolitaine de Toronto.
Toutefois, la directrice générale du PCFE, Sabine Soumare soutient que « les hommes gagnent encore 2,5 fois plus que les femmes entrepreneures et qu’il y a beaucoup de travail à faire. » Plus souvent issues du secteur tertiaire et avec moins d’économies, les entrepreneures se heurtent à des obstacles qui entravent leurs perspectives d’évolution.

« Mon cheval de bataille, c’est vraiment s’assurer qu’on ait des données aussi pour les francophones », assure Mme Soumare, qui érige ce rapport comme le seul s’intéressant exclusivement à l’entrepreneuriat féminin au pays.
Dans le Nord de l’Ontario, les entrepreneures artisanales ou propriétaires de microentreprises peinent à faire reconnaitre leur contribution à l’économie rurale. « Je reproche ça vraiment aux bailleurs de fonds de ne pas pouvoir valoriser toutes ces choses-là », dit Janie Renée Myner, qui dirige l’Union Culturelle des Franco-Ontariennes. Elle explique que dépourvu de considération équitable, les Franco-Ontariennes manquent d’opportunités pour devenir plus autonomes.
Le sort de la double voire triple minorité
Les biais discriminatoires qui ciblent les femmes sont souvent aggravés au détriment de celles en milieu francophone. « C’est encore plus marqué dans l’environnement francophone parce qu’en plus vous ne parlez pas la langue de la majorité », lance l’ancien directeur général, Richard Kempler.

Ces biais peuvent établir une première grille d’analyse des difficultés que les femmes rencontrent, qui met en lumière une triple minorité dans laquelle s’identifient notamment les femmes francophones immigrées. « La femme émigrante francophone qui arrive, non seulement elle a le choc culturel, elle a l’acclimatation, elle a tout ça. Donc, on a des opportunités d’accompagnement et d’appui. Ça, c’est une force des femmes », dit Janie Renée Myner.
Leur expérience les incite à s’entraider, telle que Layla Saligane, une militante franco-ontarienne d’Ottawa qui s’apprête à ouvrir son entreprise en lançant une plateforme qui va rassembler les petites entreprises locales avec les consommateurs de la région. « La plupart des personnes qui seront visibles sur le site seront des femmes et des petites entreprises », assure-t-elle.
Le casse-tête de l’accès au financement
Pour se lancer, Layla Saligane a abandonné l’idée de financement, car elle explique avoir rencontré trop de barrières pour y accéder.
Pour Richard Kempler, « tout ce qui ressort en permanence c’est le manque de crédibilité d’une femme vis-à-vis des banques, c’est un biais, quelque part une certaine misogynie ». Agrandir leur entreprise permettrait aux femmes de mieux intégrer l’économie, mais dans le contexte d’un tel système endogène et criblé de biais, il demeure extrêmement difficile d’avoir accès à des financements quand on est une femme, explique-t-il.

Sabine Soumare affirme également que 80 à 85 % d’entre elles utilisent leurs propres économies pour pouvoir financer leurs entreprises. Du côté du Nord, le même discours se répète. « Quand Monsieur entre à la banque pour acheter un tracteur, il n’y a pas de problème, quand Madame arrive pour acheter, la même chose, on lui demande plein d’affaires, puis on lui demande surtout la signature, un co-signateur », déplore Janie Renée Myner.
Progrès ou recul?
En trente ans, la société canadienne n’a que peu évolué au niveau de l’entrepreneuriat féminin. Des volets sont créés au sein des institutions, des banques afin de sensibiliser à la lutte des femmes pour un traitement égalitaire. Le thème retenu cette année pour le 8 mars « Pour TOUTES les femmes et les filles : droits, égalité et autonomisation » appelle à faire de l’économie féminine une partie intégrante de cet écosystème.
Une stratégie sur l’entrepreneuriat féminin lancé en 2018 par le gouvernement fédéral soutient les efforts pour obtenir des données sur l’entrepreneuriat féminin et comprendre ses enjeux, mais sans suivi régulier ni pertinent, ces programmes deviennent obsolètes. « S’il n’y a pas d’impact, si c’est juste cocher une case et se dire qu’on se débarrasse de ce problème et puis se dire business as usual, c’est non », dit Sabine Soumare.