La chronique de Rym Ben Berrah traite de l'injustice financière que subissent les femmes. Photo: Emmanuel Ndongo Djengue

Chaque samedi, ONFR propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, c’est Rym Ben Berrah qui évoque des enjeux de société et d’éducation qui rejoignent le quotidien.

Je parle au nom de moi et de ce que je connais, de ce que mes réseaux sociaux voient et de ce que mon entourage me rapporte. Je suis tout à fait consciente que j’ai des privilèges dont je ne mesure même pas l’étendue et dans lesquels je baigne constamment, qui me procurent du positif dans ma vie. Ceci étant dit, je parle de moi en tant que femme, mais j’allie à mon identité féminine toute personne se reconnaissant dans ces critères, que ce soit par la naissance, par le choix ou tout simplement par l’envie.

Lorsque j’avais envie de plaire et de me sentir bien afin de convoiter mon mari, je voulais le convaincre qu’il ne pourrait pas vivre un mois de plus sans voir tous les matins le battement de mes cils courbés, en se réveillant avec un « Bonjour, chéri ».

Toujours ancrée dans ma réalité d’immigrante franco-ontarienne, naviguant entre le traditionalisme de ma culture et certains référents culturels que j’adore, et auxquels j’adhère, et le bain militantiste progressiste dans lequel j’avançais, mon souci financier était de repayer mes frais de scolarité pour le baccalauréat, de financer ma maîtrise et de me suffire dans mes goûts de « luxe » afin de m’entretenir à faire mes ongles, mes cheveux, à tonifier mon corps au gym et à faire de la mode un moyen d’expression et non pas seulement un moyen de se couvrir pour sortir de chez soi.

Notre chroniqueuse Rym Ben Berrah témoigne de la pression financière exercée sur les femmes. Photo : Canva

C’est aujourd’hui que je me rends compte du poids de l’insouciance, du célibat et à quel point nous ne sommes jamais prêtes à découvrir la stupeur des prochains chapitres. Ça coûte cher d’être une femme, non? Ça coûte cher de se sentir bien. Déjà, même pour bien manger, de nos jours, ça coûte cher. Comment je peux me satisfaire d’une salade et d’un smoothie qui coûtent une à deux heures de salaire (et me laissent néanmoins sur une petite faim, on ne va pas se mentir, entre nous) tandis qu’un trio hamburger bien gras à moins de 10 $ me cale pour l’après-midi.

Deux poids, deux mesures

Égalité des chances, vous dites? Je ne crois pas. Lorsque cela prend à ces messieurs 15 minutes pour se préparer tandis que nous, nous devons prévoir des stratagèmes même plusieurs jours à l’avance afin de caler notre lavage de cheveux avec notre journée la plus « importante » (celle où l’on va le plus nous voir, vous connaissez), prévoir notre cycle menstruel et notre épilation, selon notre tenue et la ribambelle de détails dont il faut s’assurer afin de se sentir au meilleur de nous-mêmes lors d’une réunion, d’une négociation, d’une entrevue ou d’un rencard amoureux.

Loin de moi l’idée de minimiser les efforts d’autres personnes ou de ces messieurs à s’apprêter, encore une fois, je ne parle que des multivers dans lesquels j’évolue.

Aujourd’hui maman de deux enfants, je suis confrontée à des dilemmes économiques quotidiens. « Est-ce que je m’achète ma crème pour le corps préférée qui coûte un bras ou est-ce que je fais un stock de couches? » Dorénavant, tout dans ma tête est calculé en couches, en lingettes et en lait en poudre.

Quand il faut choisir entre adhérer aux standards de beauté et simplement se procurer des essentiels pour bébé. Photo : Canva

Savez-vous le prix d’une canne de lait en poudre? Savez-vous combien il en faut par semaine pour un nouveau-né? Parfum? Lait en poudre. Vacances? Lait en poudre. Nouvelle petite tenue mignonne pour mon prochain meeting professionnel de maman qui veut retourner sur le marché de l’emploi car elle ne veut pas servir qu’à procréer des mini-humains? Lait en poudre.

Il fallait me voir lors de mes premiers entretiens d’embauche, après deux grossesses de suite, à essayer de m’affirmer à moi-même que je suis encore la même femme, avec les mêmes diplômes et la même tête, juste plusieurs heures de manque de sommeil accumulées. Après m’être convaincue moi-même, il fallait les convaincre eux.

« Oui mais Rym, ne pensez-vous pas que la charge d’avoir deux jeunes enfants pourrait avoir un impact sur votre rendement quotidien? »

« Excusez-moi, c’est une question d’entrevue ou…? »

Un dilemme constant

Nous voici quelques mois plus tard, toujours à la quête de l’équation idéale, essayant de justifier le fait de briser mon cœur de maman à laisser mes jeunes enfants, lorsque leurs petits yeux se plissent, leurs petites lèvres se retroussent et leurs petites mains se lèvent pour m’appeler, pour me toucher, tandis que je suis sur le pas de la porte (ne pas oublier toute la routine physique mentionnée plus haut pour me sentir femme et capable).

Mais je dois aussi sortir conquérir le monde, amasser de l’argent pour subvenir à leurs caprices et besoins, continuer à lutter pour que nos enfants grandissent dans une société équitable et qui fait un minimum de sens.

Je dois me battre pour les droits des minorités car, de plus, mes enfants sont des minorités visibles (je fais une parenthèse journalistique semi-professionnelle pour vous partager combien de fois on m’arrête dans des centres d’achat pour me demander si je suis leur nourrice ou si leur papa est noir), oublier les horreurs qui se passent dans le monde, tout ça pour essayer d’arriver au travail à l’heure, justifier mon latte au lait d’avoine trop cher payé qui me sert de support émotionnel, et quand même être moins payée que mon homologue masculin, tout en récoltant des remarques sur mes cernes apparentes. Plus le budget d’investir dans un anticerne Dior, sorry Cheryl!

« L’émancipation des femmes et la déstigmatisation des dogmes qui entourent les jeunes mamans, c’est pour quand? »

Bien sûr, je fais dans la caricature et je ne mentionne pas de lieux de travail actuels dans lesquels j’évolue. Bien sûr, je suis triste de devoir donner mon salaire à des gens pour garder mes enfants afin que je puisse travailler car il faut faire un choix : rester à la maison, garder ton argent et faire des lasagnes fraîches tous les soirs ou conquérir le monde et servir à autre chose que l’instinct maternel, tout en payant une fortune car tu as choisi d’avoir des enfants en Ontario francophone. S’il vous plaît, toutes les garderies à bas prix c’est pour quand?

L’émancipation des femmes et la déstigmatisation des dogmes qui entourent les jeunes
mamans, c’est pour quand? De vrais programmes incitatifs qui aident les parents à performer
au travail, c’est quand?

Je suis immigrante, je n’ai pas le luxe d’avoir de la famille proche pour m’aider à atténuer la charge ni d’avoir des privilèges sociaux ou économiques. Tout ce que nous avons, mon mari et moi, nous l’obtenons à la sueur de notre front.

Bon, j’ai trop overshare, que ça aide au moins à rejoindre quelques cœurs d’élus, de dirigeants et les vôtres, chères mamans, et que ça m’aide à me convaincre que je le mérite, mon petit mascara Dior, car ces cernes sont le constat de mon combat.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR et de TFO.