« La francophonie albertaine est en mode attente », analyse un politologue

Assemblée législative de l'Alberta élections Conservateurs unis
Le politologue Frédéric Boily revient sur les résultats des élections et les changements à venir à l'Assemblée législative de l'Alberta. Source: Canva et gracieuseté

[ENTREVUE EXPRESS]

QUI?

Spécialiste de la politique canadienne, Frédéric Boily est professeur titulaire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta.

LE CONTEXTE :

Après la victoire du Parti conservateur uni (PCU) aux élections albertaines, la première ministre Danielle Smith s’apprête à former un gouvernement majoritaire.

L’ENJEU :

Le PCU a misé sur un programme tourné vers les enjeux économiques et sécuritaires, mais son programme reste flou sur la francophonie.

« Que faut-il retenir de ces élections? Le maintien au pouvoir des conservateurs unis est-il vraiment une surprise?

Non, ce qui aurait été une véritable surprise aurait été la victoire des néo-démocrates. Ceci dit, la victoire conservatrice annoncée dans les sondages se concrétise mais de manière moins nette qu’on aurait pu le croire. Malgré 53 % des voix en sa faveur, la majorité gouvernementale reste courte.

Les positions controversées de la première ministre sont-elles à l’origine de cette érosion électorale?

Il y a eu un effet Danielle Smith qui a joué en défaveur du PCU. La campagne qu’elle a menée le montre d’ailleurs. On a vu qu’elle a mis de côté les déclarations controversées et ne s’est pas mise en difficulté lors du débat. On a réussi à mettre le couvercle sur la marmite au moment où ça aurait pu dégénérer.

Les électeurs ont-ils finalement été plus sensibles aux promesses de baisse d’impôt du PCU qu’à celles d’un meilleur système de santé du Nouveau Parti démocratique (NPD)?

Le PCU est parvenu à imposer ses thématiques articulées autour du conservatisme économique et de la préservation de l’avantage albertain avec ce niveau de taxation faible qui permet de générer, du point de vue conservateur, la richesse qui va circuler du haut vers le bas de l’économie.

La victoire conservatrice est-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la francophonie albertaine?

Pour le moment, la francophonie albertaine est en mode attente. Elle va devoir se chercher des alliés parmi les députés élus. Le problème depuis 2019, c’est que le parti au pouvoir a très peu d’assise du côté d’Edmonton où se trouve une importante communauté francophone. Il faudra voir si quelques élus vont prendre des responsabilités plus importantes comme Nate Glubish (Strathcona-Sherwood Park) qui s’exprime en français et fait partie de la grande couronne d’Edmonton. Il faut noter que, contrairement à Jason Kenney, Danielle Smith ne parle pas français.

Danielle Smith et le PCU ont devancé le NPD. Crédit image : Stéphane Bédard

Faut-il craindre des changements pour le postsecondaire ou autres acquis francophones?

Pour le postsecondaire, je crois que l’on va poursuivre sur la lancée inaugurée par les conservateurs unis depuis 2017 qui n’ont pas vu jusqu’ici d’intérêt à parler de problématiques francophones, même si, à un moment donné, ils ont appuyé les efforts du gouvernement fédéral aboutissant à une entente sur le campus Saint-Jean. Je ne pense pas qu’on aille jusqu’à des efforts supplémentaires dans d’autres dossiers.

Qu’est-ce qui vous a le plus interpelé dans les résultats de ce scrutin provincial?

Un des faits marquants est que les conservateurs unis ont perdu plusieurs circonscriptions du côté de Calgary et des circonscriptions où d’importants ministres comme Nicholas Milliken (Santé mentale et Dépendances), Kaycee Madu (Travail et immigration) ou encore Jason Copping (ex-Santé). Cela réduit la marge de manœuvre de Mme Smith lorsqu’elle va former son cabinet et cela risque d’accentuer le poids des régions à l’intérieur de son cabinet. Ce risque de fracture entre les grandes villes et les régions rurales n’est pas sain pour la démocratie.

Dans son discours de victoire, Mme Smith a adopté une posture résolument offensive face au premier ministre Justin Trudeau. Que cela augure-t-il dans sa façon de gouverner au cours des prochains mois?

Lors de la campagne, le discours de lutte contre Trudeau était au vestiaire. Sera-t-il autant de l’avant dans son plan de gouvernement, comme elle l’a laissé entendre dans son discours de victoire? Ce n’est pas si sûr car elle doit d’abord s’installer avec son nouveau cabinet. Elle n’aura probablement pas le temps de partir en guerre contre Ottawa, d’autant que sa majorité est plus courte qu’elle ne l’espérait. Même son prédécesseur Jason Kenney, qui avait un poids plus fort et un levier avec le referendum sur la péréquation, n’a pas fait bouger d’un iota le gouvernement fédéral. Sera-t-elle en mesure d’être plus combative face à Ottawa? Je n’en suis pas convaincu. »