La Fromagerie St-Albert, un exemple de résilience dix ans après l’incendie
ST-ALBERT – Le 3 février 2013, les flammes ravageaient un fleuron de l’identité franco-ontarienne. Une tragédie. Dix ans plus tard, jour pour jour, un constat l’emporte : la fromagerie St-Albert a vécu un mal nécessaire. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, la coopérative demeure aujourd’hui l’une des plus anciennes encore debout dans tout le pays.
Il y a dix ans, l’emblématique fromagerie de l’Est ontarien partait en cendres. Une tragédie et même un deuil pour l’ancien président de la coopérative, Réjean Ouimet. « Ce n’était vraiment pas facile », se rappelle-t-il. Lors de ce triste événement, sur les ondes de TFO, il clamait déjà que cette fromagerie était une affaire de famille.
Aujourd’hui, il se souvient y avoir travaillé pendant 27 ans. « Mon père et mon grand-père y ont travaillé. Mon arrière-grand-père a même fait partie des gens qui ont lancé la fromagerie en 1894. »
Un dimanche matin de février
En 2013, la fromagerie effectuait ses opérations depuis un bâtiment « passé date », explique Diego Elizondo, expert en patrimoine. Bien que les causes de l’incendie demeurent nébuleuses, « s’il y a une leçon à retenir, c’est l’importance du legs et du patrimoine franco-ontarien », pense-t-il.
« Ce qui m’a choqué dans cet incendie, c’est la disparition des archives », explique M. Elizondo. « Une des grandes leçons que le patrimoine peut en tirer c’est que les documents précieux doivent être sécurisés », suggère-t-il.
L’incendie de cette perle du patrimoine avait soulevé à l’époque une grande émotion au sein de la communauté francophone de l’Ontario. En même temps que les murs, c’était un héritage franco-ontarien immatériel qui s’effondrait.
Réjean Ouimet se remémore de ce jour comme si c’était hier : « Il faisait -20 degrés, et c’est Éric Lafontaine qui me remplaçait. J’étais sur le point de prendre ma retraite. Éric m’a appelé ce matin-là et je sentais dans sa voix qu’il était nerveux. Il m’a dit que le feu avait pris dans le grenier et j’ai compris que nous allions tout perdre ».
« Vous savez, c’est dur d’expliquer l’émotion, c’était dur de voir les employés pleurer. » Aujourd’hui, « on regarde ça, avec beaucoup d’émotion, mais au final, c’était un mal pour un bien », admet l’ancien directeur de la fromagerie.
Un fleuron franco-ontarien
Fondée en 1894, la coopérative célébrera l’an prochain ses 130 ans et elle est l’une des plus vieilles encore en activité au Canada. « Une coopérative qui date du 19e siècle, il n’y en a pas beaucoup en Ontario français », affirme d’ailleurs M. Elizondo.
Pour ce spécialiste du patrimoine, la fromagerie constitue en quelque sorte un bijou franco-ontarien. « C’est un fleuron et c’est évidemment l’une des industries qui emploient le plus de personnes dans la région. »
La fromagerie St-Albert tient debout depuis presque 130 ans et comme le dit son directeur général, Éric Lafontaine : « On s’est toujours appelés les Gaulois comme dans Astérix et Obélix parce que toutes les fromageries ont disparu, on est les seuls qui restent. »
Ce monument de la francophonie représente bien plus qu’une simple fromagerie, ce qui explique que dix ans après cet incendie, la fromagerie St-Albert est toujours un emblème dans l’Est ontarien.
« C’est sûr que la fromagerie est un monument franco-ontarien. On défend les francophones et nos membres fondateurs étaient des Franco-Ontariens. Puis, cela va rester franco-ontarien », promet M. Lafontaine.
Aujourd’hui, l’exploitation est aussi un restaurant, une boutique, un espace à visiter et bien plus. « Ce qui m’a marqué aussi, c’est qu’il y a des panneaux sur l’histoire de l’éducation franco-ontarienne », constate Diego Elizondo, « On ne s’imagine pas trouver ce genre d’exposition dans une fromagerie ».
« On voit bien le lien fort qu’il y a avec la communauté », renchérit-il.
En effet, l’enracinement de la coopérative auprès de la population explique ce succès. D’ailleurs, preuve de sa prospérité, la fromagerie St-Albert est à l’origine du festival de la Curd. Cette composante culturelle a participé au rayonnement de la coopérative et des valeurs franco-ontariennes depuis presque 30 ans. « Ce festival existe depuis 1994, c’est le legs du 100e », rappelle M. Elizondo.
Une entreprise tournée vers l’avenir
En fin de compte, cet incendie, dix ans auparavant, aura offert une opportunité à cette entreprise. « On a eu l’opportunité de s’agrandir », rappelle Éric Lafontaine, directeur général de la coopérative laitière. « En plus de l’argent des assurances, nous avons investi des millions de dollars pour nous ouvrir et permettre une croissance à long terme. »
La fromagerie est tournée vers l’avenir avec à son bord environ 170 employés. « La pérennité à long terme, c’est grâce à nos équipes et à l’équipement que l’on a », déclare son directeur. « Aujourd’hui, dix ans après, on comprend que c’est cette décision (reconstruire) qui nous a permis d’avoir une telle croissance. »
Réjean Ouimet devait prendre sa retraite le 1er janvier 2013. « Quand il est venu sur les lieux, le jour de l’incendie, Réjean m’a dit : « Je ne peux pas rester à la retraite, tu me reprends, je t’aide à reconstruire ». »
« Le 31 décembre 2022, Réjean a pris sa retraite à 75 ans. » La fromagerie St-Albert c’est la résilience, mais c’est aussi la persévérance.