​La goutte qui a fait déborder le vase

Une manifestation du mouvement Black Lives Matter à Toronto. Facebook, Black Lives Matter

[ANALYSE]

La mort d’Andrew Loku aurait-elle pu être évitée? Le fait qu’on se pose encore la question, près d’un an après les faits, montre bien les limites de la surveillance des corps policiers en Ontario.

FRANÇOIS PIERRE DUFAULT
fpdufault@tfo.org | @fpdufault

Comme c’est toujours le cas lorsque des agents de police sont impliqués dans un incident, l’Unité des enquêtes spéciales (UES) de la province s’est penchée sur la mort de M. Loku, abattu par un policier de Toronto à l’été 2015 après une altercation avec des voisins bruyants.

L’UES est l’un des rares organismes civils indépendants dans le monde qui détient le pouvoir de mener des enquêtes et de ​déposer des accusations criminelles contre des agents de police.

​Mais dix mois après la mort d’Andrew Loku, on ne sait toujours pas dans quelles circonstances exactes la police a ouvert le feu sur cet homme de 45 ans – un réfugié qui avait dû laisser une famille derrière lui au Soudan du Sud pour fuir la guerre civile, et qui portait toujours des séquelles mentales de son périple au bout de l’enfer.

La police aurait-elle pu maîtriser M. Loku autrement? Était-il nécessaire d’ouvrir le feu sur lui? De l’abattre? L’UES le sait. La Procureure générale de l’Ontario le sait. Mais personne d’autre dans la province ne le sait.

​Le directeur de l’UES n’est pas tenu de rendre ses rapports publics. Il n’a qu’à les remettre à la procureure Madeleine Meilleur. Et à moins qu’il n’y ait des accusations, comme dans le cas du policier qui a abattu le jeune Sammy Yatim dans un tramway de Toronto en 2013, les conclusions de ces rapports ne quittent jamais les murs de Queen’s Park.

Le gouvernement de l’Ontario a toujours refusé de rendre publics les rapports de l’UES, arguant qu’ils contiennent de l’information confidentielle.

Silence gênant

Le dépôt derrière des portes closes du rapport sur la mort d’Andrew Loku a été la goutte qui a fait déborder le vase pour la communauté noire de Toronto.

Le mouvement Black Lives Matter a organisé des manifestations pacifiques dans la métropole pour dénoncer les excès de force de la police à l’endroit des minorités ethniques mais aussi le silence gênant du gouvernement libéral à Queen’s Park, la ministre Madeleine Meilleur n’ayant lu le rapport de l’UES qu’un mois après son dépôt à la mi-mars.

« Ce n’est pas juste un autre rapport du gouvernement », a plaidé le progressiste-conservateur Randy Hillier dans la Législature. « C’est une enquête sur la mort de quelqu’un – un père, un conjoint, un fils… Quelqu’un a été tué. Ça mérite d’agir avec immédiateté. »

​La pression a fait son œuvre.​

La première ministre Kathleen Wynne s’est finalement engagée, jeudi 21 avril, à rendre public le rapport de l’UES sur la mort de M. Loku tout en préservant la confidentialité de certains informations. Elle a aussi promis sous peu un examen des mécanismes de surveillance de la police, y compris l’UES.

« Le processus doit être revu », a reconnu à son tour Mme Meilleur. « Je l’ai entendu de l’UES, des agents de police, de la communauté et de Black Lives Matter. Je l’ai bien compris. »

L’UES était au moment de sa création en 1990 et demeure une organisation de surveillance de la police qui fait l’envie des autres provinces canadiennes. Mais des changements s’imposent pour rendre cette « police des polices » encore plus transparente. Les proches d’Andrew Loku veulent savoir. Ils ont le droit de savoir.

Cette analyse est publiée également dans le quotidien LeDroit du 23 avril.