La librairie francophone de Toronto menacée de fermeture
TORONTO – La seule librairie francophone pour adultes et enfants de Toronto est sur le point de fermer ses portes. Sa propriétaire est à bout de souffle. Elle s’accroche désespérément à l’espoir de trouver une solution qui lui permettrait de sauver ce lieu d’échange culturel et littéraire de la plus grande ville du pays.
En franchissant la porte de la librairie Mosaïque, les visiteurs se retrouvent catapultés dans un véritable petit paradis du livre francophone. Dans chaque recoin, des livres franco-ontariens sont aussi bien en vue.
Mais le rêve de la propriétaire de la librairie, Happie Testa, pourrait bientôt connaître une fin abrupte.
« J’ai investi tout ce que je pouvais. Il y a des limites. Je ne sais pas combien de temps je peux encore continuer. Quelques jours? Quelques semaines? », lance-t-elle, la voix tremblante.
« Est-ce qu’on veut une librairie francophone à Toronto? Je suis allée à la découverte de la réponse. Peut-être que je refuse de faire face à la réalité », laisse-t-elle tomber.
Les sources du problème
Pourquoi la librairie Mosaïque est-elle menacée? « Une petite librairie doit vendre pour 500 000$ de livres par année pour être rentable. Actuellement, ce n’est pas rentable. Il faudrait que les Torontois achètent au moins deux fois plus », affirme la propriétaire.
« Beaucoup de francophones se tournent vers l’anglais. Ce n’est pas seulement qu’on est attaqué par l’anglais. Comme francophone, on doit aussi protéger nos racines et redécouvrir cet amour pour la langue et la culture francophones », clame-t-elle.
Elle précise cependant son propos. « Je ne veux pas culpabiliser les clients. Ce serait simpliste de dire : « je veux que les gens achètent ici ». Je veux plutôt ouvrir un dialogue avec les francophones et francophiles. Je souhaite que les gens redécouvrent ce que nous avons ici. Que ça soit les collections francophones dans les bibliothèques, le Salon du livre ou ma librairie », dit-elle.
« Comme tous les entrepreneurs, j’ai fait des erreurs, mais rien qui devrait mettre mon commerce en danger », affirme Mme Testa.
« C’est un plus grand défi que je m’attendais que d’engager la communauté, la rejoindre. Pour donner le plaisir de bouquiner, il faut avoir beaucoup de livres, peut-être un plus grand inventaire », confie-t-elle.
Quant aux institutions publiques du Grand Toronto, elles ont aussi à prendre leurs responsabilités, croit Happie Testa.
« Le Québec a réussi à développer une belle culture du livre, car les institutions publiques achètent dans leur librairie de quartier », dit-elle. Le conseil scolaire anglophone public de Toronto (TDSB) est le seul à acheter la majorité de ses livres en français dans son commerce.
Selon les informations récoltées par ONFR+ auprès de plusieurs sources, les bibliothèques publiques de Toronto s’approvisionnent au Québec, chez Archambault. Quant au conseil scolaire public francophone, Viamonde, il le fait à Ottawa, tout comme la majorité des achats effectués par le conseil scolaire MonAvenir.
Un lieu de culture francophone en danger
Jamais une plateforme numérique comme Amazon ou Indigo n’offrira une vitrine à la culture francophone et franco-ontarienne, comme elle le fait, insiste Happie Testa.
Happie Testa est libraire. Mais elle se voit surtout comme une animatrice littéraire et une ambassadrice pour le fait français. « Une librairie, ce n’est pas un commerce comme les autres. C’est un commerce de culture, dont la mission est beaucoup plus grande. Nous jouons un rôle social », insiste-t-elle.
Lorsqu’un client entre dans son commerce, elle lui offre les journaux francophones de Toronto, l’oriente vers les activités culturelles francophones ou vers les organismes franco-torontois qui pourraient faciliter sa vie.
L’histoire de la libraire avec le français en est d’abord une d’amour. « Je suis une francophone acquise, Italienne d’origine, j’ai grandi à Rome et je suis revenu au Canada à 18 ans. Le français était toujours très présent dans notre famille. Puis, je me suis donné pour mission d’aider au développement des langues chez les enfants. En 2011, j’ai ouvert ma première librairie », se rappelle-t-elle.
En 2015, elle ouvre la librairie Mosaïque. D’abord installée au sein de l’Alliance française, elle déménage ses pénates dans l’ouest de Toronto, afin de pouvoir donner vie à tous ses projets.
Depuis, elle a organisé plusieurs lancements de livres et des rencontres avec des auteurs. Une lecture des poèmes de la résistance, écrit après la crise linguistique, a notamment attiré des dizaines de Franco-Torontois, l’été dernier.
Librairies francophones à Toronto : série noire
La dernière décennie a été marquée par des fermetures en série des librairies francophones de Toronto. La librairie Champlain a fermé ses portes en 2009. La Maison de la presse et le World’s Biggest Bookstore, qui comptait une large sélection de livres en français, ont aussi mis la clé sous la porte, il y a quelques années.
« Je pense que la fermeture de la librairie Champlain a été un moment très traumatisant pour la communauté franco-torontoise. C’est une histoire d’amour qui s’est terminée abruptement. Depuis, les gens se sont habitués à acheter ailleurs, à Montréal ou en ligne. Ils ont perdu cette habitude d’acheter en français et localement », croit Happie Testa.
La propriétaire de la Mosaïque ne ferme pas la porte à continuer de vendre des livres en ligne, si sa boutique ferme bientôt ses portes. « Mais une librairie en ligne, ce n’est pas la même chose. On ne rencontre pas les auteurs en ligne! », lance-t-elle.
LES DERNIÈRES LIBRAIRIES FRANCOPHONES DE L’ONTARIO
Ottawa : Librairie du Soleil et le Coin du livre
Hearst : Librairie du Nord
Toronto : Children’s French Book Corner (librairie pour enfants seulement)
Oakville : Librairie Il était une fois