Mattis Savard-Verhoeven dans La mouette. Crédit image: Maxim Paré-Fortin

OTTAWA – Après deux ans de résidence de création au Théâtre français du Centre national des arts (CNA), la metteuse en scène Catherine Vidal est maintenant prête à présenter sa version de La mouette. Le classique d’Anton Tchekhov traite de thèmes universels et intemporels, qui méritent encore qu’on s’y attarde, tout en campant l’histoire dans un univers plus près du spectateur contemporain. Après un arrêt au théâtre Prospero de Montréal, La mouette sera présentée jusqu’au 13 avril au théâtre Babs Asper du CNA.

« J’ai toujours voulu faire du Tchekhov, mais j’attendais d’avoir de l’expérience. Ce sont des pièces qui demandent une expérience de vie pour comprendre les points de vue de tout le monde », indique Catherine Vidal en entrevue avec ONFR.

Le choc des générations étant un thème important, elle estime qu’il aurait été facile, en début de carrière, de tomber dans le piège de s’identifier aux personnages plus jeunes. « Là, je me retrouve entre les deux générations. »

La mouette a été présentée au théâtre Prospero avant d’atterrir au Théâtre français du CNA. Crédit image : Maxim Paré-Fortin

Catherine Vidal incarne elle-même cette envie de rapprocher les jeunes et les vétérans. « Dans la pièce, j’ai vu qu’il y avait cet accompagnement, ou pas, de la jeune génération, que je trouve très d’actualité. »

Une scène de La mouette montre une pièce de théâtre mise en scène par l’un des jeunes personnages, Kostia. Catherine Vidal a choisi de doubler la mise en abyme en confiant elle-même ce moment à une jeune metteuse en scène, Sophie El-Assaad.

« Je me suis dit que ça serait parfait, car il faut complètement changer le langage scénique de mise en scène pour ce morceau-là. (…) Je voulais qu’elle se sente vraiment libre de le faire comme elle le voyait. »

Contemporaine, mais fidèle

Certains enjeux ont été actualisés, mais « on a gardé 95% du texte ». Nul besoin, donc, d’être un initié de Tchekhov pour comprendre. L’adaptation a été confiée à Guillaume Corbeil, qui avait la mission de revenir à une langue plus vernaculaire, plus pratique. Cette façon de parler avait été perdue dans les traductions françaises existantes, qui ont tendance à monter les grands classiques dans un style plus soutenu.

Si l’environnement a été recadré dans un Québec contemporain, pour le langage et certaines références culturelles, ce n’est jamais explicitement nommé. Les noms de villes russes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg ont même été conservés. « Ce n’était pas nécessaire » d’aller plus loin, selon Catherine Vidal.

Madeleine Sarr dans La mouette. La revue Clin d’oeil est une des références québécoises de l’adaptation de Catherine Vidal. Crédit image : Maxim Paré-Fortin

Au niveau de la mise en scène, le bris du quatrième mur distingue cette version des autres adaptations. Le public est impliqué dans l’œuvre dès son arrivée au théâtre, alors que les spectateurs sont invités à entrer dans la salle une vingtaine de minutes avant le début de la pièce comme telle. Ils seront conviés à une espèce de fête où ils croiseront les acteurs et pourront même déguster popcorn et barbe à papa, clin d’œil à la personnalité particulièrement festive d’Anton Tchekhov.

Le quatrième mur s’ouvrira et se refermera au cours de la pièce. Le fait de ramener le texte à un niveau de langue plus québécois permet aux acteurs de jongler facilement avec les petits imprévus. « J’ai fait en sorte de travailler avec une espèce d’imperfection, qui fait que tout ce qui peut arriver dans le moment présent peut s’intégrer facilement dans le spectacle. »

Une résidence moulée aux besoins des artistes

La metteuse en scène explique ce que ces deux années lui ont permis d’approfondir. Entre autres, elle a pu réunir tous les acteurs pendant une semaine pour analyser en profondeur le texte de Guillaume Corbeil. « Ça a été un super travail, qu’on n’aurait jamais eu le temps de faire avec deux mois de production. »

En décembre 2023, toute l’équipe de La mouette s’est à nouveau réunie pour offrir une lecture-spectacle de textes ayant nourri la recherche de Catherine Vidal. Déjà très mise en scène, performance en soi, la soirée a permis au public de plonger dans la démarche artistique de la résidente. Cet événement a aussi servi à souder l’équipe d’acteurs montréalais, qui sont venus faire leur tour à Ottawa pour l’occasion. « Ça a créé une espèce de camaraderie » juste avant de débuter les répétitions officielles, indique la metteuse en scène.

C’est le directeur artistique du Théâtre français du CNA, Mani Soleymanlou, qui a eu l’idée de créer cette résidence particulièrement longue. En entrevue avec ONFR, il explique pourquoi il a sauté sur l’idée de monter La mouette. « Catherine a une faculté de lire le théâtre classique d’une façon très contemporaine, ludique et personnelle à elle. Dans une époque où le théâtre est beaucoup axé sur l’autofiction, le documentaire ou les solos, j’avais envie d’offrir au public une pièce classique avec une grande distribution. Catherine était une bonne personne pour attaquer ce texte-là. »

Madeleine Sarr et Mattis Savard-Verhoeven dans La mouette. Crédit image : Maxim Paré-Fortin

C’est aussi avec Catherine Vidal en tête que le directeur artistique a réfléchi aux paramètres de la résidence. « Le temps est un luxe, dans notre milieu, indique-t-il. Je sentais qu’elle avait envie de prendre le temps et de plonger. C’est comme ça qu’elle travaille, de longue haleine, elle prend le temps, elle scrute, elle creuse les œuvres. Moi, si tu m’avais offert deux ans pour une pièce, j’aurais trouvé ça trop long! »

D’ailleurs, la prochaine résidence du Théâtre français du CNA sera bien différente. D’une durée d’un an, elle a été confiée à deux artistes locaux, Marie-Ève Fontaine et Guillaume Saindon, qui auront la mission de rencontrer le public de façon plus fréquente plutôt que de viser une grande production.

La mouette est coproduite par Cœur battant et le Théâtre Prospero, où elle s’est d’abord arrêtée en mars. Elle est présentée au Théâtre français du CNA à compter de ce soir, jusqu’à samedi, le 13 avril. Mani Soleymanlou qualifie la pièce de « théâtre résolument populaire, dans le sens noble du terme, c’est-à-dire qu’il s’adresse à tout le monde ».