La santé en français, parfois une question de vie ou de mort
TORONTO – Le commissaire aux services en français Carl Bouchard rapporte une hausse de 40 % des plaintes avec 386 cas, soit le total le plus élevé reçu par l’Unité des services en français du Bureau de l’ombudsman depuis 2019. Touchant à des enjeux vitaux, le secteur de la santé demeure une source importante de plaintes, dont les cas rapportés montrent que les répercussions d’un mauvais suivi médical peuvent s’avérer graves.
La majorité des hôpitaux qui ont des obligations en vertu de la Loi sur les services en français sont ceux désignés dans le Règlement 398/93 avec des départements spécifiques où des services en français doivent être offerts au public. Il existe 24 hôpitaux désignés en Ontario, situés dans 13 des 26 régions désignées.
Parmi les cas rapportés : « Une francophone s’est adressée à nous pour partager l’expérience de son conjoint après que ce dernier ait subi une chirurgie cardiaque dans un centre hospitalier partiellement désigné. Son conjoint a reçu des appels de suivi en anglais de la part du chirurgien, des infirmières et de la physiothérapeute, en dépit de son insistance à recevoir des soins en français. »
Après investigation, la langue de préférence indiquée dans le système informatique du centre hospitalier était l’anglais, une conséquence directe du formulaire de référence du patient ne demandant pas sa langue de préférence, l’anglais étant donc assigné par défaut.
Suite à l’intervention du commissaire, la langue de préférence du patient a été modifiée dans le système informatique du centre et un rappel pour la validation de la langue de préférence a aussi été effectué auprès du personnel hospitalier. Santé Ontario, qui a également été contacté pour discuter du formulaire de référence, a confirmé qu’un champ pour la préférence linguistique serait bientôt ajouté au formulaire.
Un second cas détaillé rapporte ce qui suit : « Lorsqu’elle s’est présentée aux urgences d’un centre hospitalier désigné du Nord, une dame de la région a été accueillie par un membre du personnel qui lui posait des questions de dépistage de la COVID-19 en anglais seulement. Par la suite, à la réception, elle n’a pas eu accès à un service en français. Lorsqu’elle a demandé à un membre du personnel infirmier s’il parlait français, la dame nous a dit que « ça a créé toute une scène. »
Suite à la plainte, le Service des urgences en question a pris des mesures, notamment un rappel au personnel des urgences du protocole à suivre en cas de patients francophones, l’affichage dans les deux langues ou encore une révision par le département des Ressources humaines des exigences en matière de services en français.
La députée de Nickel Belt, France Gélinas, porte-parole en Santé du NPD, qui souligne le fait que de nombreuses erreurs médicales peuvent être faites faute de mauvaise communication entre les deux langues, explique : « Beaucoup d’études démontrent qu’offrir un service de santé dans la langue maternelle est vital, surtout quand la personne est malade, que ce soit en soins primaires ou en santé mentale. La qualité des soins dépend de la langue maternelle. »
Le rapport fait également état des écueils auxquels les étudiants francophones dans la filière de la santé sont confrontés, ne pouvant pas passer leurs examens finaux en français, au vu de la mauvaise qualité de ceux-ci.
« Ce n’est pas facile d’être un professionnel de la santé en Ontario car le système est vraiment fait en anglais et le fait qu’on ne leur permette pas de faire leurs examens finaux donne vraiment le ton, le système te claque la porte en plein visage », déclare Mme Gélinas pour qui cette situation aggrave davantage le manque de services en français en santé.
Autres faits saillants
L’augmentation de 40 % des cas pourrait être attribuée à la mise en place de l’offre active depuis avril 2023, d’où des attentes plus importantes de la part de la communauté, à un travail accru de sensibilisation du commissariat, mais aussi à une recrudescence des plaintes liées à l’Université de Sudbury.
Parmi les quatre organismes qui ont fait l’objet du plus grand nombre de plaintes, le premier en tête, et de loin, est le ministère des Collèges et Universités : 35,8%, notamment 115 plaintes et demandes de renseignements reçues suite à l’annonce du ministère du non-financement de l’Université de Sudbury.
Cependant le rapport n’en détaille pour l’heure pas les cas précisant : « Bien que ces cas aient été motivés par une décision politique – et que le Bureau de l’Ombudsman n’intervienne généralement pas dans de telles décisions – nous les examinons de près. »
29,4% des plaintes concernent les communications écrites et les médias sociaux sur les organisations assujetties à la Loi sur les services en français, avec des cas portant sur des rapports, avis, formulaires et publications d’organismes gouvernementaux et institutions.
Les services en personne et téléphoniques comptabilisent 55,2 % des organismes assujettis à la Loi sur les services en français avec des organismes gouvernementaux tels que Service Ontario ou encore des ministères. Le manque de signalisation en français, notamment routière, est également à noter avec 3,9 % des plaintes.
Carl Bouchard a entamé depuis le 6 juillet 2023 une enquête sur la publicité extérieure gouvernementale unilingue, après avoir remarqué que le français était absent de certains panneaux électroniques d’organismes gouvernementaux. Il s’agira de déterminer dans quelle mesure la Loi sur les services en français est respectée.
De nouvelles recommandations et des rappels
L’ensemble des cas a mené à l’élaboration de quatre recommandations principales pour améliorer les services gouvernementaux en français. Parmi celles-ci, le commissaire préconise :
- Au ministère des Affaires francophones d’élaborer des lignes directrices à l’intention de tous les organismes gouvernementaux pour que leurs comptes de médias sociaux se conforment au règlement, après avoir signalé de nombreux comptes uniquement en anglais.
- D’améliorer la formation pour que les membres du personnel de première ligne sachent comment traiter les demandes de services en français : « Le vrai problème n’était pas que le service en français n’existait pas, mais plutôt que le personnel n’en avait pas connaissance ni n’était conscient de son obligation de le fournir », écrit le commissaire dans son rapport.
- Au Conseil du Trésor d’ordonner aux ministères et aux organismes gouvernementaux de former le personnel de première ligne de ses obligations en matière de services en français, et de lui en faire des rappels réguliers.
- Une revue des 30 recommandations formulées par le Bureau depuis 2020, toutes acceptées par le gouvernement, en ce qui concerne la planification par tous les ministères de leurs services en français d’une manière systématique et uniforme, toutes les offres d’emploi publiques affichées par le gouvernement sur son site Web en français et en anglais et la mise à jour des organismes désignés en vertu de la Loi sur les services en français par le ministère des Affaires francophones.
« Les recommandations qu’on y retrouve feront une différence pour l’accès à des services en français si elles sont implémentées. Deux ans après l’adoption de la nouvelle Loi sur les services en français, il est important que les ministères communiquent dans les deux langues officielles par tous les moyens, y compris via les médias sociaux. », déclare Fabien Hébert, le président de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), qui accueille favorablement le premier rapport annuel du commissaire aux services en français.
« L’insouciance des conservateurs de Ford vis-à-vis de la protection des droits linguistiques acquis des francophones en Ontario est plus qu’une erreur de communication, c’est un grave manque de leadership. Le rapport expose le manque de volonté politique de ce gouvernement quand vient le temps de traduire les plus simples communications publiques en français, en particulier sur les médias sociaux, laissant les Franco-Ontariens dans le noir », a quant à lui vivement réagi Guy Bourgouin, député de Mushkegowuk-Baie James et porte-parole de l’opposition officielle pour les Affaires francophones.
« Nous vivons dans deux Ontario qui fonctionnent à deux vitesses différentes : l’une où les anglophones sont informés en temps réel et l’autre où les francophones doivent attendre pour savoir ce qui se passe dans leur province », a-t-il déploré.