La Souterraine, récit féministe d’une murale sudburoise

Sudbury Jarus murale Nord ontarien
La murale de Jarus représente le portrait d'une mineure au coin des rues Lisgar et Larch. Crédit image: Julie S. Lalonde

[CHRONIQUE]

Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, la blogueuse et activiste du Nord de l’Ontario, Isabelle Bougeault-Tassé.

SUDBURY – Dans l’étrange et curieuse ville de Sudbury, l’artiste Jarus peignait autrefois une murale d’une femme dans la pénombre de l’Underground, une mineure couronnée d’un casque jaune, une tresse blonde dégringolant de son épaule, le regard voilé par la noirceur qui l’entoure. Elle est anonyme – une allégorie de ces pionnières qui ont osé faire carrière dans les mines de Sudbury. Des femmes comme Lilian Amelia Bellmore. 

« Ma nana, universellement adorée, est décédée. Je veux que vous la connaissiez », écrivait récemment la Franco-Ontarienne Julie S. Lalonde de sa grand-mère, Lilian Amelia Bellmore. 

« Elle faisait partie de la première douzaine de femmes embauchées comme ouvrières dans les mines d’Inco à Sudbury », raconte sa petite-fille dans un second texte. « Elle ne mesurait que cinq pieds, mais son souvenir est très présent et est désormais commémoré avec les autres femmes sur une murale géante à Sudbury. »

En conversation avec ONFR+, cette jeune éducatrice et activiste de renom qui lutte pour l’élimination des violences genrées, parle de sa grand-mère, une femme qui a laissé ses traces sur le récit minier de Sudbury ainsi que l’impact sur son propre cheminement féministe. 

Les souterraines

À la radio, on parlait d’elles. De Lilian Amelia Bellmore. De ses contemporaines, ces autres souterraines venues travailler de leurs bras dans les profondeurs des mines de la Nickel City. Un milieu dur, une terre de roches, une terre d’hommes.

C’était les hommes, oui, explique Mme Lalonde, mais les femmes aussi qui dénonçaient la présence de femmes underground : « Tu es en train d’enlever de la bouffe de ma table. Tu enlèves de l’argent de mes enfants. Tu voles les jobs aux hommes qui fait que nous autres, on va vivre en pauvreté. »

Mais sa grand-mère avait cinq enfants. Et un conjoint abusif – envers elle, et ses enfants. Elle habitait dans la pauvreté, privée par son époux des moyens pour nourrir ses enfants et faire vivre sa famille. 

Fille d’un syndicaliste qui défendait les intérêts des mineurs à Inco, Mme Bellmore connaissait bien les mines et, sans comprendre que son geste serait profondément historique, ayant des répercussions pour elle et pour les générations à venir, elle allait travailler à la mine. 

Lilian Amelia Bellmore avec ces collègues à Inco. Crédit image : Julie S. Lalonde

« Pour elle, c’était juste une bonne job avec un syndicat comme ça. Vraiment juste ça », explique Julie S. Lalonde. « Elle ne s’est jamais dit « je fais quelque chose d’historique » ou « je suis en train de creuser une piste pour d’autres femmes ». »

Sur Instagram, Mme Lalonde parle du harcèlement sexuel et des abus qu’avait subis sa grand-mère à INCO. Mais lors de notre échange, ce que Mme Lalonde semblait surtout déplorer, ce sont les moyens par lesquels la communauté de l’époque avait (et continue) de fermer les yeux sur la violence à laquelle avait fait face sa grand-mère et toutes autres femmes violentées par leurs partenaires intimes. Hier, aujourd’hui, demain. 

« Les gens l’ont acceptée. Ses collègues ont réalisé qu’elle n’était pas là pour prendre la job des hommes. Mais ça dit beaucoup, je pense, du sexisme au Canada que son expérience était très semblable à mes expériences de harcèlement dans le lieu de travail et aussi les menaces qu’elle a reçues hors du milieu de travail. »

Telle grand-mère, telle petite-fille

Nommée lauréate jeunesse du Prix du gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » en 2013, Mme Lalonde se livrait au micro de CBC à Ottawa, accompagnée de sa grand-mère depuis les studios à Sudbury, quand cette dernière allait rompre son silence pour parler de la violence conjugale à laquelle elle avait fait face au cours de sa vie.

Dans une vidéo réalisée pour commémorer son Prix du gouverneur général, la Sudburoise relatait : « À 74 ans, dénoncer son agresseur en disant « Je ne veux plus être invisible. Nous comptons. Nous faisons partie de cette communauté et nous devons cesser d’agir comme si les victimes et les survivants de violences sexuelles étaient des parias qui ne font pas partie de notre communauté », c’est quelque chose de très fort. »

Julie S. Lalonde devant la murale Underground, une allégorie de ces pionnières qui ont osé faire carrière dans les mines de Sudbury. Gracieuseté

Lilian Amelia Bellmore avait trouvé en sa petite-fille une source de force. Julie S. Lalonde, qui avait elle-même rompu le secret de la violence qu’elle avait subie aux mains d’un partenaire intime, allait tracer son récit dans Resilience Is Futile : The Life and Death and Life of Julie S. Lalonde, une œuvre qui marque le contraste entre sa carrière publique de courageuse championne des femmes et sa vie privée marquée par la violence. 

« On s’est donné le courage de parler honnêtement de notre vie », considère cette dernière. « Ma grand-mère me disait toujours que je vivais la vie qu’elle voulait avoir (…). Le fait que j’ai écrit mon histoire, que j’ai parlé à haute voix d’avoir subi la violence conjugale, le stalking, plein de choses – elle en était fière. Ma grand-mère était là la journée où mon livre à été lancé – elle est la personne qui a dansé le plus fort à ma fête, tellement elle était contente pour moi. »

Une longue lignée de femmes rebelles

« Je viens d’une longue lignée de femmes rebelles et j’en suis éternellement reconnaissante », écrirait Julie S. Lalonde de sa grand-mère. 

Elle allait hériter du casque protecteur de sa grand-mère. À l’arrière du casque, une étiquette « 1-year accident free – 1975 » et en avant, « Lilian », dans un « flourish of femme ». Une armure pour une guerrière. Un bouclier d’Amazone. Un legs symbolique à sa descendance.

 Le casque de Lilian Amelia Bellmore, dont Julie S. Lalonde a hérité. Crédit image : Julie S. Lalonde

Si la jeune femme ressemble à l’image de la mineure peinte par Jarus lors du Festival Up Here en 2017, c’est tout à fait un hasard, même si elle est bel et bien l’héritière de Lilian Amelia Bellmore. Elle voit en l’hommage de la murale Underground, peinte dans le cadre du Festival Up Here en 2017, une métaphore puissante des vies des premières femmes mineures à Sudbury. 

« Les gens vont savoir l’histoire de ce que ma grand-mère a subi – et ce que les autres femmes (représentées par la murale) ont subi aussi. Elle n’a presque pas survécu à son expérience – et maintenant existe une grosse, super jolie murale pour que les gens se rappellent d’elle. »

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position d’ONFR+ et de TFO.