La technologie au cœur des enjeux de santé pour les francophones
OTTAWA – Télésoins à domicile, téléconsultations, technologies portables, capteurs intelligents ou même dispositifs d’intelligence artificielle… les francophones en Ontario n’ont-ils plus le choix? Quels usages des technologies numériques de santé sont jugés acceptables? Voilà l’objet de la recherche qu’effectue Sylvie Grosjean, titulaire de la Chaire de recherche de la Francophonie internationale sur les technologies numériques de la santé, à l’Université d’Ottawa.
Lors d’une conférence organisée par le Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF), la chercheure Sylvie Grosjean a présenté les premiers résultats de sa recherche sur le futur des soins virtuels pour les francophones vivant en Ontario.
Cette professeure titulaire à l’Université d’Ottawa a adopté une perspective sociotechnique pour aborder la relation complexe entre le technologique et le social. Plusieurs éléments indiquent que les francophones sont ouverts à l’usage des outils technologiques dans les soins de santé… à certaines conditions.
Ici, il est question de l’utilité des télésoins, de la téléconsultation et des applications mobiles.
Pour soutenir l’offre de soins virtuels chez les francophones, plusieurs facteurs d’accessibilité et d’acceptabilité entrent en jeu, selon Mme Grosjean. Il semble que l’enquête menée par la chercheure met en lumière le côté plutôt complémentaire que substitutif des technologies de santé.
« La technologie n’est pas la solution aux problèmes de pénurie, sinon on va droit dans le mur », affirme-t-elle.
Pour les francophones, ces outils sont un moyen acceptable de recevoir des soins en français et auraient le potentiel d’améliorer l’accès à des services en français. De plus, ces technologies pourraient améliorer la qualité et la fréquence des communications avec les professionnels de santé.
Par contre, plusieurs conditions sont de mises. Il faut « offrir une technologie qui ‘’parle’’ français », soit l’interface utilisateur. Pour les sondés, cette concordance linguistique doit s’intégrer dans une offre de services existants en français.
Du 100 % franco sinon rien
Bien que la réception soit positive, certains participants ont ajouté qu’ils « ne voudraient pas que les télésoins compensent pour le manque de professionnels de santé qui parlent français. Le critère doit être la santé et non compenser les incapacités linguistiques. »
Un des grands enjeux soulevés par l’enquête est qu’il faille un accès à ces technologies, conçues, pensées et développées en français. C’est une approche qui tiendrait compte des conditions sous-jacentes à l’acceptabilité par les francophones.
En outre, il faut « inclure la communauté francophone dans le développement et l’utilisation de technologies numériques de santé pour soutenir l’accès à des soins virtuels en français », affirme Sylvie Grosjean dans sa présentation.
Dans ses enquêtes et ateliers, la chercheure a proposé plusieurs cas de figure possibles pour comprendre le niveau d’acceptabilité des francophones à l’usage de certains outils technologiques.
Pour ce qui est des télésoins, un des exemples met en évidence l’expérience de Maria, 55 ans, « qui fait de l’insuffisance cardiaque ».
Suivie à distance pendant six mois par son équipe soignante, Maria « a reçu une trousse de santé numérique ». Cet outil comprend, par exemple, un « bip » sur une tablette qui lui indique quand prendre son poids, utiliser un tensiomètre électronique pour prendre sa pression artérielle, vérifier l’oxygène dans son sang en utilisant l’oxymètre pulsatile et ensuite répondre à des questions sur sa santé. Toutes ces données seront ensuite envoyées à une infirmière qui va assurer un suivi à distance.
Cet exemple a révélé plusieurs réactions et une « trajectoire d’usage » chez les sondés. Les participants énoncent plusieurs conditions liées à l’apprentissage et à l’intégration de ces outils.
Mais parmi les recommandations, c’est surtout la nécessité d’un accès aux services en français, d’un suivi médical en français et d’une relation construite avec la technologie qui tranche.
Réduire les inégalités d’accès
L’usage des soins virtuels est passé de 10 % en 2019 à 60 % en 2020 au Canada. Les soins virtuels se sont généralisés depuis la pandémie.
« Pourtant, bien que les soins virtuels aient le potentiel d’accroître l’accès aux soins médicaux et de santé, ils peuvent également exacerber les inégalités d’accès aux soins », rapporte la chercheure.
Mme Grosjean mentionne plusieurs constats faits par le Réseau des services de santé en français de l’Est (RSSFE), indiquant aussi qu’« aucune cible ou exigence en matière de services de santé numériques en français pour la communauté francophone ne réside dans le plan de santé numérique pour l’Ontario ».
En effet, en 2019, le gouvernement de la province avait publié ses priorités au numérique pour la santé appuyant que cette stratégie offrait plus d’options de soins virtuels et améliorait l’accès aux données pour les patients. Dans ce plan, les francophones ne sont pas représentés, alors qu’en 2018, le Commissariat aux services en français de l’Ontario recommandait « d’avoir une stratégie de développement de la santé numérique qui tient compte des différences culturelles et linguistiques des collectivités francophones ».
L’usage et la conception des technologies numériques en santé ont connu un essor depuis la pandémie. Là où ces avancées permettent un accès plus généralisé aux soins. Pourtant, les francophones n’y trouvent pas toujours leur compte en Ontario.
C’est pourquoi plusieurs interrogations persistent : les populations mal servies sont-elles équipées en technologies? Là encore, l’internet est-il suffisamment déployé dans les localités francophones?
Pour que les soins virtuels aux francophones soient, eux aussi, équitables, la réponse du RSSFE donnerait déjà une piste de réflexion : « Les besoins de la population francophone doivent être pris en considération dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes, des politiques et des procédures. De plus, les services reçus en français doivent être équivalents à ceux prodigués en anglais, être offerts simultanément, et être de même qualité. »