La transition de la Fransaskoise Françoise Sigur-Cloutier

Françoise Sigur-Cloutier en compagnie de l'ancien président de l'Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), Michel Dubé. Source: Facebook

[LA RENCONTRE D’ONFR] 

REGINA – Françoise Sigur-Cloutier s’apprête à refermer un pan de sa vie. Le troisième exactement. Dans quelques semaines, l’ancienne présidente de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF) quittera sa province d’adoption. Avant ses 28 années en Saskatchewan, la militante en avait passé 21 en Alberta et quasiment le même nombre dans sa France natale. En marge du Rendez-vous fransaskois cette fin de semaine, retour sur une vie complexe où s’entremêlent le féminisme, la littérature et la constante recherche d’une identité.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

« C’est votre premier Rendez-vous fransaskois depuis cinq ans où vous ne serez pas présente à titre de présidente de l’ACF. C’est quoi au juste le Rendez-vous fransaskois? 

C’est un rendez-vous de discussions, d’approfondissements des dossiers, mais ce n’est pas une assemblée générale. Ce n’est pas un événement politique, même si on parle des défis de chaque organisation. Le vendredi, c’est la journée de discours officiels. Le samedi, une journée de discussions, et le dimanche matin, on partage toutes les activités effectuées durant l’année.

Comment jugez-vous vos cinq années à la tête à l’ACF?

J’ai fait beaucoup de représentation politique, tant au niveau fédéral que provincial pour essayer d’avoir plus de financement pour la communauté. Ce financement n’avait plus bougé depuis 12 ou 13 ans.

La deuxième chose, c’était tout l’aspect du financement postsecondaire en français à l’Université de Regina et du Collège Mathieu. C’est important, par exemple, pour le baccalauréat en éducation en français à l’Université de Regina, d’avoir plus de gens. Il n’y en avait pas assez! Ça ne produit pas assez d’enseignants pour les écoles francophones et les écoles d’immersion. Ça, c’est un gros problème dans la Saskatchewan et tout l’Ouest. En Saskatchewan, le problème est même décuplé, car la province a moins de moyens humains et financiers que les autres provinces.

Vous n’êtes plus présidente de l’ACF depuis le mois de février. Un nouvelle vie commence, pourrait-on dire?

Oui. D’un point de vu personnel, j’ai une très vieille maman qui a 95 ans, qui a besoin de moi, et qui est à Calgary. J’ai trois enfants, et quatre petits-enfants qui sont tous en Alberta. Je suis en train de faire le point. Je me considère en année de transition, je ne sais pas ce que je vais faire, où je peux aider.

Je suis quand même maintenant dans la catégorie des aînés, mais d’un autre côté, je vois les besoins de ma mère, les besoins pour les aînés. Je me dis souvent que ça n’a pas d’allure la façon dont la société tasse les aînés sur le côté. Il faut aussi aider les immigrants, et je suis une immigrante aussi. On est toujours un immigrant et je me considère encore comme une immigrante.

Vous êtes tout de même installée au Canada depuis 51 ans. Pouvez-vous résumer ce cheminement?

Je suis arrivée à Trois-Rivières, je suis restée six mois, et après je suis allée à Montréal, deux ans. C’était l’année de l’Expo universelle. Le Canada faisait une grosse campagne pour attirer des gens. En deux mois, toutes mes démarches d’immigration avaient été faites. À partir de 1969, j’ai passé 21 ans à Calgary, et en 1990 je suis arrivée en Saskatchewan, à Gravelbourg. Je suis passée de Calgary, où il y avait presque 900 000 habitants, à Gravelbourg, 1 000 habitants.

Si vous ne connaissez pas Gravelbourg, je vais le mettre dans votre culture (Elle sourit). C’est le fief fransaskois par excellence, c’est là où a été fondé le Collège Mathieu! Depuis 1994, je vis à Regina où j’avais commencé à travailler comme chargée de communication à Radio-Canada, en remplacement d’un congé maternité. J’y suis restée finalement 18 ans!

Pourquoi avoir quitté la France, à seulement 22 ans?

Je me trouvais extrêmement à l’étroit. Je n’arrivais pas à voir comment j’allais quitter ce carcan. Je n’étais pas en France en 1968 [Les manifestations et grèves de mai 1968 en France], mais j’ai peut-être vécu cette situation où l’on veut faire péter quelque chose (Rires). C’était un moment où j’avais un terrible besoin de changement. J’étais déjà mariée à un homme qui ne me convenait pas du tout d’ailleurs, j’avais deux enfants très jeunes. Mon médecin ne croyait pas à la pilule!

Est-ce que c’était en tant que femme ou en tant que personne que vous vous sentiez à l’étroit?

Beaucoup en tant que femme. Le gros malaise était d’être femme française à la fin des années 60. J’ai connu le féminisme dans les années 1970 à Calgary, en lisant les grands auteurs américains. J’ai accroché! Dans le même temps, j’avais une admiration aussi pour le féminisme des Québécoises.

Françoise Sigur-Cloutier, huit ans, et son frère, en 1953. Source : Facebook.

Quelles sont les différences entre la place occupée par les femmes en France et en Amérique du Nord?

Je me souviens, par exemple, du Forum de la Conférence mondiale des femmes de Nairobi en 1985 à laquelle j’ai assisté. Les plus grandes féministes françaises n’étaient pas au niveau de développement des américaines! Elles avaient amené aux femmes kenyanes en guise de cadeau du parfum et des cassettes. Cela avait fait un petit scandale. Les Africaines disaient qu’elles n’avaient même pas l’électricité pour les regarder! Il y avait pourtant tant d’enjeux comme la polygamie.

Je ne sais pas où en sont les femmes françaises avec le féminisme, mais quand je vois Catherine Deneuve qui confond la galanterie et les attaques machistes, je ne peux pas le comprendre!

Vous qui avez été aussi à l’origine de la fondation de la Fédération provinciale des Fransaskoises en 1990, comment jugez-vous donc le mouvement #metoo parti l’an passé?

Cela a déclenché une partie de solidarité entre les femmes. Mais je trouve que le mouvement a dérapé un peu, dans le sens où certains hommes conservent des privilèges, et que nous sommes encore très indulgents. Regardez ce qui s’est passé avec la nomination du juge à la Cour suprême aux États-Unis [Brett Kavanaugh] où certaines femmes ont commencé à sous-entendre que ce n’était pas grave de se faire tripoter par un homme. Ce mouvement est très jeune. L’histoire nous dira la suite.

Vous faites allusion à vos différentes lectures féministes. Quel rapport entretenez-vous avec les livres en général? On sait entre autres que vous avez dirigé les Éditions de la nouvelle plume. 

D’abord, le rapport à la littérature est extrêmement fort. S’il y a quelque chose qui m’a sauvé dans la vie, c’est la littérature, à n’importe quel moment trouble. J’aime entrer dans l’univers de quelqu’un d’autre et m’y retrouver.

J’ai toujours eu conscience qu’il y’avait des auteurs aussi en Saskatchewan. À l’époque, il y avait les Éditions Louis Riel [qui deviendront plus tard les Éditions de la nouvelle plume]. Ces voix du terroir devaient être entendues. J’ai été vice-présidente de Regroupement des éditeurs franco-canadiens (RECF) où j’ai défendu cette idée de biblio-diversité. Ces voix sont importantes comme le sont les espèces animales (émue), ces voix entre ciel et terre comme le vivent beaucoup de gens en Saskatchewan sont importantes à être entendues.

Avez-vous des écrivains fransaskois de prédilection?

Même si elle est québécoise, Martine Noël-Maw a tellement une vision pour témoigner de cette réalité-là. Je citerais aussi les dramaturges comme Laurier Gareau, Raoul Ranger, David Baudemont… Il y a aussi Madeleine Blais-Dahlem qui a écrit des propos forts sur les Fransaskois, mais vécus par une femme. Son œuvre parle de la vie des femmes pionnières en Saskatchewan qui n’était pas facile!

Sur un autre sujet, les propos de Denise Bombardier, qu’en avez-vous pensé?

Je regarde la majorité du temps Tout le monde en parle. Mme Bombardier est très maladroite, et aime se mettre en valeur. Elle a utilisé la puissance des mots pour se mettre en valeur par rapport à Jean Chrétien. Elle a essayé de contredire M. Chrétien qui a déjà sa propre réalité des choses. Ça fait deux gros égos à la TV qui se font de la publicité sur le dos des francophones hors Québec (Rire jaune). Les deux étaient en train de faire la promotion de leur bouquin!

Les francophones ont beaucoup réagi. Il y a ceux qui ont réagi avec leur cœur et leurs tripes, comme les gens de l’Ouest. Les gens de l’Ontario et de l’Acadie ont beaucoup réagi avec leur tête et les écrits de sociologues. Ça a fait parler à travers tout le Canada et finalement, on parle de nous!

Vous considérez-vous Canadienne aujourd’hui?

Tout à fait! Je suis impliquée à 100 000 à l’heure dans la société canadienne, alors que je ne le suis pas avec la France, excepté des contacts familiaux et amicaux, et culturels. Mais par contre, j’ai toujours un coté cocorico qu’il ne faut pas toucher trop trop non plus! Mon identité française est extrêmement présente!

Vous avez donc supporté la France qui a gagné la Coupe du monde de soccer?

(Très long rire). Ah quand même! Bien sûr que oui! Il faudra que je fasse une maîtrise sur moi-même, savoir ce que je suis vraiment. L’identité est tellement une question extrêmement complexe! Je crois en ma double-nationalité. C’est un peu comme si vous me demandiez si je préfère papa ou maman, c’est sûr que j’aime les deux!

On a donc évoqué différents pans de votre vie. Est-ce que la prochaine étape sera toujours en Saskatchewan?

Ah non! Disons qu’elle sera probablement en Alberta, proche de ma mère et de ma famille. Au quotidien, heureusement, il y a beaucoup de moyens de communication. Je n’ai pas travaillé toujours pour la planète, et j’ai beaucoup conduit ou pris l’autobus ces dernières années pour aller de Regina à Calgary pour rendre visite à ma famille. Je partais dès fois le vendredi et rentrais le dimanche soir!

La famille a toujours été importante. J’ai manqué de temps avec ma famille, et j’ai manqué parfois les premières heures de mes petits-enfants. Je n’ai pas toujours été la grand-mère idéale, mais le plus important de ma vie reste mes enfants et mes petits-enfants (très émue). »


LES DATES CLÉS DE FRANÇOISE SIGUR-CLOUTIER

1945 : Naissance à Toulouse (France)

1967 : Arrivée au Canada, d’abord à Trois-Rivières, puis à Montréal

1969 : S’installe en Alberta, à Calgary

1990 : Déménage en Saskatchewan

1994 : Devient chef des communications à Radio-Canada Saskatchewan, à Regina

2012 : Élue présidente de l’ACF. Quitte ses fonctions en février 2018

Chaque fin de semaine, #ONfr rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.