Langues officielles : encore une fois, les Forces armées doivent faire du rattrapage

Le navire NCSM Ville de Québec. Source: www.canada.ca/fr/marine

OTTAWA – Les francophones enrôlés dans les Forces armées canadiennes semblent avoir de la difficulté à pouvoir travailler dans leur langue. Ce constat ressort des plaintes reçues par le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, concernant divers aspects de la vie militaire.

« Ça concerne surtout les domaines de la formation, de la supervision et de l’environnement du travail. Très souvent, c’est en fonction de plaintes qui touchent le français comme langue de travail. On constate qu’au sein de Forces armées canadiennes on a toujours des défis autour de ces questions-là dans la langue préférée de l’individu. Il semble y avoir une situation qui persiste et qui perdure depuis un certain nombre d’années », explique Raymond Théberge.

En ce qui a trait à la formation en français dans les Forces armées, ce n’est pas la première fois que le problème est soulevé depuis le début de ce siècle.

Précédemment, en 2010, le commissaire aux langues officielles de l’époque, Graham Fraser, avait révélé que les francophones avaient de la difficulté à trouver des cours en français, à cause d’un manque d’instructeurs, entre autres raisons. Toutefois, en 2013, la situation était en bonne voie de se corriger puisque les recommandations du commissaire commençaient à être appliquées, ce qui avait valu aux Forces d’être félicitées par M. Fraser pour leurs efforts.

La question de la formation refait donc surface à nouveau, en raison des plaintes qui ont été reçues au Commissariat aux langues officielles dans les récentes années.

« Nous faisons notre analyse en fonction du type de plaintes qu’on reçoit. Depuis un certain nombre d’années, depuis les cinq dernières années en particulier, il y a une augmentation des plaintes au sein de Forces armées canadiennes, c’est une tendance qui se maintient », déplore M. Théberge.

Le NCSM Ville de Québec est-il toujours navire francophone?

Vers la fin des années 1990, la Marine royale canadienne avait constitué une unité navale entièrement francophone, la frégate NCSM (Navire canadien de sa Majesté) Ville de Québec (VDQ).

Un quart de siècle plus tard, les Forces maintiennent que le VDQ est toujours une unité francophone. Or, elles admettent aussi que les francophones sont maintenant minoritaires à bord.

« Le NCSM Ville de Québec est composé d’un équipage mélangé d’anglophones et de francophones. Les NCSM Ville de Québec et St. John’s ont échangé leurs équipages l’année dernière, ce qui signifie que l’équipage actuel du NCSM Ville de Québec est l’ancien équipage du NCSM St. John’s et qu’il compte actuellement plus d’anglophones que de francophones. Il n’y a pas d’autres navires francophones au sein de la Marine royale canadienne », nous a écrit le lieutenant Jean Doyon, sous-ministre adjoint aux Affaires publiques des Forces armées canadiennes.

Le service des affaires publiques des Forces nous a également fait savoir ce qui était fait pour maintenir le caractère francophone du navire.

« Lorsque les navires ont échangé leurs équipages, aucun des deux n’était complètement bilingue. Mais comme mentionné précédemment, le commandant actuel du VDQ a mis en place un programme de revitalisation du français pour l’unité afin de s’assurer qu’elle satisfait aux exigences en tant qu’unité de langue française. Ce programme est toujours en cours de mise en œuvre », nous a-t-on expliqué par courriel.

On ne nous a pas précisé la nature du programme, ni s’il existait des mécanismes afin de mesurer son succès sur ce bâtiment dont les effectifs sont, rappelons-le, majoritairement anglophones.

Raymond Théberge, le commissaire aux langues officielles. Photo : Sebastien Lavallee

Le commissaire aux langues officielles dit que pour le moment, il ne lui est pas possible de déterminer si cette situation constitue un recul pour la langue française à bord du NCSM Ville de Québec, et, par ricochet, pour la Marine royale canadienne dans son ensemble.

« Il est important de se rappeler que dans un cas très particulier et très précis comme celui-là, c’est très difficile de fournir beaucoup d’information. Ça mériterait sans doute une étude beaucoup plus approfondie. Et jusqu’à date, on n’a jamais reçu de plainte officielle en ce qui concerne cette situation. Donc, pour moi, c’est très difficile de me prononcer étant donné qu’on n’a pas nécessairement fait une enquête, on n’a pas les données », explique le commissaire.

« Par contre, peu importe où on se trouve dans les Forces armées canadiennes, on doit respecter les différentes parties de la loi », rappelle M. Théberge, qui mentionne au passage que la partie 5 de la loi est justement celle qui a trait à la langue de travail, et que la partie 6 stipule que tous les candidats doivent avoir des chances égales pour occuper des postes.

Le lieutenant Doyon confirme que les Forces doivent offrir ces possibilités à leurs effectifs.

« Les Forces armées canadiennes (FAC) sont assujetties à la Loi sur les langues officielles et reconnaissent l’égalité des deux langues officielles. Les droits linguistiques des membres individuels des FAC sont soumis à la langue de travail ainsi qu’aux exigences linguistiques de leur poste. Les membres des FAC employés au sein d’organisations/unités bilingues et qui occupent un poste bilingue ont le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix », indique-t-il dans un courriel.

Des pas dans la bonne direction

Le commissaire aux langues officielles souligne cependant que des efforts sont déployés par les Forces afin de se conformer pleinement à toutes les dispositions de la loi sur les langues officielles.

« Pour l’instant, les Forces armées canadiennes ont décidé de participer à ce qu’on appelle le Modèle de maturité des langues officielles, un exercice de diagnostic de ce qui se passe dans les Forces armées canadiennes en utilisant un modèle d’analyse, de diagnostic. Donc suite à cette analyse, peut-être à ce moment-là on pourrait voir ce que ça va donner en termes de plan d’action ou de carte routière pour les Forces, pour les prochaines années », explique Raymond Théberge, tout en rappelant, comme l’avait fait Graham Fraser en 2010, qu’il y a beaucoup de travail à faire.

« Mais c’est clair que dans les Forces armées canadiennes, la récurrence du nombre de plaintes, que ce soit au niveau des Forces armées canadiennes, ou au ministère de la Défense nationale, pas nécessairement les mêmes types de plaintes… Mais cet exercice auquel ils se sont soumis, va peut-être leur donner les éclairages nécessaires pour apporter les changements nécessaires. Et suite à ça, peut-être qu’on pourrait se poser d’autres questions », conclut M. Théberge.