L’annulation du programme de santé pour les personnes non assurées fait polémique
TORONTO – L’annulation du Programme des services médicaux et hospitaliers pour les personnes non assurées, sans carte de santé (PHSUP) dont le dernier jour a été fixé à demain par le ministère de la Santé, fait du remous. L’Ontario Medical Association (OMA), qui demande au gouvernement une extension du programme, les médecins ainsi que les néo-démocrates craignent des répercussions dévastatrices sur les personnes vulnérables et marginalisées, les nouveaux immigrants, les travailleurs temporaires ou encore les étudiants.
La décision d’annuler le Programme des services médicaux et hospitaliers pour les personnes non assurées (PHSUP) a récemment animé les débats en chambre à Queen’s Park.
Ce financement des services médicaux et hospitaliers, qui avait initialement été mis en place en mars 2020 en réponse à la pandémie, permettait à tous les résidents de l’Ontario n’ayant pas de carte de santé d’avoir accès à des soins médicaux relatifs ou non à la COVID-19.
« Avec des taux plus faibles de COVID-19 et la fin des restrictions de santé publique, la province met fin à ses mesures de réponse à la pandémie. Le financement du PHSUP prendra fin le 31 mars 2023. Ceux qui ne sont pas admissibles au Régime d’assurance-santé de l’Ontario (OHIP) sont encouragés à parler à l’hôpital ou au médecin traitant pour élaborer des plans de soins futurs », a déclaré le ministère de la Santé.
« Il s’agit d’un horrible affront aux valeurs inhérentes au système de santé universel du Canada » – Un médecin ontarien
Une annonce qui n’a pas tardé à faire réagir. « Les médecins de toute la province continuent d’exprimer de réelles inquiétudes face à cette annulation. L’un d’eux a déclaré qu’il s’agissait d’un horrible affront aux valeurs inhérentes au système de santé universel du Canada », s’est insurgée ce mardi à Queen’s Park Marit Stiles, leader du Nouveau Parti démocratique (NPD).
Et de mettre également l’emphase sur les coûts bas de ce programme à 5 millions de dollars par an, et l’aide de plus de 400 000 personnes non assurées depuis sa mise en œuvre : « Soit seulement 37,50 dollars par personne et ça a pu sauver des vies. Ma question à la ministre est donc la suivante : va-t-elle revenir sur cette décision impitoyable et aider à sauver des vies? »
Ce à quoi la ministre de la Santé Sylvia Jones a réitéré le caractère éphémère de la mesure, invoquant la nécessité d’un retour à la situation pré pandémie et aux programmes existants pour les personnes non-détentrices d’une carte de santé pouvant « passer par l’un des 75 centres de soins de santé communautaires de l’Ontario ».
« Bien sûr, il n’y a pas une seule personne dans la province de l’Ontario qui serait un jour refusée à un service d’urgence dans nos hôpitaux », a également assuré la ministre.
Des programmes existants insuffisants?
La porte-parole le la ministre de la Santé Hannah Jensen, évoque en effet le recours à « des services de soins de santé publique en place pour ceux qui ne détiennent pas de carte santé de l’Ontario ».
Ceux-ci comprennent les services de soins primaires, via l’un des 75 centres de santé communautaires, les soins de sage-femme et les soins d’urgence, la loi sur les hôpitaux publics obligeant à admettre des patients non assurés si la vie de ceux-ci est en danger.
Également inclus : les étudiants internationaux, le gouvernement canadien stipulant que tous les étudiants doivent avoir une assurance. Les étudiants des universités publiques de l’Ontario s’inscrivent au Régime d’assurance maladie universitaire (RAMU), similaire à l’Assurance-santé de l’Ontario, pour les services médicalement nécessaires du 1er septembre au 31 août.
Le Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) s’adresse quant à lui aux réfugiés, tandis qu’un autre programme rend les Ukrainiens éligibles à la carte de santé.
Des solutions insuffisantes qui comportent des failles, selon la députée néo-démocrate de Nickel Belt France Gélinas, porte-parole en Santé de l’opposition. Elle explique à titre d’exemple que le Centre de santé communautaire de Sudbury, dans lequel elle a travaillé, ne reçoit que 1000 dollars par an pour s’occuper de tous ceux qui ne sont pas assurés. « Une farce », selon elle.
Concernant les centres de sages femmes, elle en décompte uniquement 18 pour toute la province. « Du côté des urgences, il faut littéralement être à l’article de la mort pour y être admis, sinon il faut payer », explique-t-elle.
« Les étudiants sont assurés une partie de l’année, mais ce sont les gaps entre deux qui peuvent être critiques. On a toute sorte d’exemples de cas d’accidents qui se passent ou de grossesses dans ce cas de figure. Et si le gouvernement fédéral paye pour la couverture santé des réfugiés reçus au travers du programme de réfugiés, beaucoup n’arrivent pas en Ontario via celui-ci et n’ont aucune couverture. »
Le corps médical inquiet
En entrevue avec ONFR+, la présidente de l’OMA, docteur Rose Zacharias, explique qu’avec la discontinuité de ce programme, les personnes défavorisées seront vulnérables : « Ce programme capturait le coût des services des personnes non assurées. Il n’y aura pas la même disposition et cela mettra les gens en danger. »
« Prenons le cas d’une personne atteinte d’une maladie chronique comme l’hypertension artérielle ou le diabète. Si elle n’est pas en mesure d’obtenir des médicaments ou d’avoir un examen médical, cela peut se traduire en une hospitalisation plus tard entraînant une surcapacité et un surcoût rendant la tâche difficile pour le patient, le médecin et le système. »
Elle explique que l’Ontario Medical Association demande au gouvernement une extension du programme et se dit prête à en rencontrer les membres pour ouvrir la discussion : « Notre objectif est de bâtir un système de soins de santé par lequel il n’y a pas d’obstacles pour quiconque a besoin de soins. »
La députée France Gélinas évoque en entrevue des barrières à l’accès pour certains groupes : « Les personnes marginalisées comme les sans-abri sont des Ontariens et ont droit aux soins de santé, mais n’y ont pas accès parce qu’ils n’ont plus de carte, ce pour quoi il faut présenter un certificat de naissance ou passeport, mais aussi une adresse courante. »
« C’est un programme qui ne coûte pas cher. 5 millions de dollars sont dérisoires comparés au budget de 76 milliards de dollars du ministère de la Santé. Ça en vaut la peine » – France Gélinas
Elle évoque également le cas des travailleurs temporaires de la construction ou en agriculture qui sont en Ontario depuis des années, mais qui, entre deux contrats et statuts, se retrouvent sans accès aux soins.
À la question de rendre ce programme d’accès aux soins permanent, France Gélinas répond : « En tant que néodémocrates, on demande et on promet ce programme permanent depuis des années et des années. »
« C’est un programme qui ne coûte pas cher, autant appuyé par les médecins que par le personnel des hôpitaux et qui a fait ses preuves, montrant qu’on a sauvé des vies avec ce petit investissement : 400 000 personnes ont été aidées pour 37.5 dollars par visite. 5 millions de dollars sont dérisoires comparés au budget de 76 milliards de dollars du ministère de la Santé. Ça en vaut la peine », conclut la porte-parole en Santé du NPD, alors que des centaines de manifestants protestaient ce jeudi devant Queen’s Park, contre la fin du programme provincial.