Laurie Crawford sur le chemin de la réconciliation autochtone
[LA RENCONTRE D’ONFR]
OTTAWA – Début mai, Laurie Crawford faisait partie des 31 enseignants reconnus à travers le pays par le premier ministre pour leur excellence en enseignement. Une récompense qui vient reconnaître le travail de cette Franco-Ontarienne de Cornwall à faire mieux connaître la culture autochtone.
« Vous avez récemment été honorée du Prix du premier ministre pour l’excellence dans l’enseignement. Qu’est-ce que cela représente pour vous?
Je ne suis pas allée en enseignement pour avoir des accolades, même si j’apprécie toujours un merci ici et là. Je suis heureuse d’avoir reçu ce prix, cependant il y a des centaines d’autres enseignants qui travaillent aussi fort que moi et qui ne sont pas reconnus. Je ne suis pas la seule à travers le Canada qui travaille en éducation autochtone et qui veut faire avancer les choses. Sans eux, je n’aurais pas été capable de cheminer comme je l’ai fait.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers l’enseignement?
C’est amusant parce qu’on se bat toujours contre le parcours de nos parents et que je ne suis pas quelqu’un qui fait généralement comme les autres… Mais ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère… Toutes les femmes dans ma famille étaient enseignantes!
En 2003, je pensais devenir travailleuse sociale, mais quand j’ai eu ma fille, tout d’un coup ma vie a changé. J’ai voulu trouver quelque chose pour faire une différence dans la vie des autres.
Qu’est-ce que vous aimez dans ce métier?
J’aime être différente, avoir des pensées audacieuses… Pendant longtemps, j’ai enseigné les arts visuels. Ça m’a donné le luxe en salles de classe de pouvoir partager ma passion et d’utiliser la pensée créative et critique avec les élèves. J’aime être avec eux, les s’intéresser, voir leur joie d’apprendre… C’est très valorisant!
Beaucoup d’enseignants décident d’abandonner la profession après quelques années. Qu’est-ce que vous en pensez?
Je trouve ça dommage, mais je comprends. Ce n’est pas toujours facile l’enseignement. Il y a des journées où j’ai pleuré, d’autres que j’ai trouvées épuisantes, mais finalement, je ne changerais pas de métier! Quand tu as trouvé ta passion, tu ressens moins les frustrations.
Vous travaillez en enseignement depuis 16 ans. Comment a évolué le métier depuis vos débuts?
Quand j’étais jeune, je me souviens qu’on était beaucoup basé sur les notes et sur ce qu’on voudrait faire plus tard.
Aujourd’hui, je pense qu’on a beaucoup plus de liberté. Au lieu de se concentrer surtout sur le contenu, on se base sur l’apprentissage de compétences que les élèves vont pouvoir utiliser au-delà de la salle de classe, qui leur permettront de travailler dans plein de différents domaines et de s’adapter facilement. On les prépare pour des emplois qui n’existent même pas!
Et vous, comment faites-vous pour vous adapter?
J’aime beaucoup le changement! Ce que j’adore dans mon poste actuel, c’est que je travaille dans 42 écoles, j’ai la chance de rencontrer des centaines d’élèves, des centaines d’enseignants… Ça me force à toujours m’adapter et c’est quelque chose qui me correspond bien.
À l’heure d’internet et des cellulaires, est-ce impossible d’enseigner sans les nouvelles technologies?
Il y a beaucoup de gens qui vont pousser pour le tout technologique, mais quand on parle d’éducation autochtone, on parle d’utiliser la terre comme enseignement, de faire sortir les élèves hors des salles de classe, d’observer ce qui les entoure, de voir ce qu’ils peuvent apprendre des gens autour d’eux.
Mais il y a un côté fantastique avec la technologie qui nous permet de faire se rencontrer nos élèves avec des jeunes qui vivent dans des réserves dans d’autres parties du Canada.
La technologie facilite donc les relations, mais il ne faut pas oublier la composante humaine de l’apprentissage.
En quoi consiste votre travail en éducation autochtone?
Mon poste de conseillère pédagogique consiste à appuyer les enseignants dans leur intégration des perspectives autochtones en salle de classe, de leur donner des modèles qu’ils peuvent utiliser.
Je me vois comme une facilitatrice vers la réconciliation et veux pouvoir partager mon cheminement personnel pour permettre aux élèves et aux professeurs de faire le leur.
Et concrètement, comment faites-vous?
En éducation autochtone, c’est correct que ce ne soit pas dans un livre. Le ministère de l’Éducation nous encourage à aller chercher des sources authentiques et primaires d’information.
On essaie donc de créer des liens durables avec les communautés autochtones locales. Des fois, on a des présentations, des ateliers… Mais il ne faut pas que ce soit juste une fois! Il faut créer des relations, que les élèves puissent poser des questions, se tromper… C’est un long processus.
Avez-vous toujours été intéressée par la culture des Premières Nations?
Je viens de Cornwall où il y a plusieurs réserves. Quand j’étais jeune, dans les années 90, ce n’était pas facile. J’allais dans la seule école qui était trilingue, anglais, français, mohawk. Il n’y avait pas d’intégration et les interactions n’étaient pas toujours positives ni valorisées. Il y avait beaucoup d’ignorance.
Lorsque ma fille qui est Mohawk est née, je n’ai pas eu d’autre choix que de m’y intéresser. Ça m’a permis de regarder mes propres préjugés et j’apprécie d’avoir eu cette chance. J’ai rencontré des personnes qui m’ont appris beaucoup de choses. Depuis 6-7 ans, j’ai vraiment tissé des liens importants avec ces communautés et ça a beaucoup enrichi ce que je fais dans mon travail. Ça me tient vraiment à cœur et je suis fière de voir qu’aujourd’hui, ma fille est valorisée comme fière francophone et autochtone dans sa salle de classe.
On parle beaucoup de réconciliation au niveau fédéral, comment voyez-vous ça?
Je pense qu’on en est encore au tout début. La réconciliation va prendre des générations. Tout le monde voudrait y passer immédiatement, mais ça ne va pas arriver comme ça. Aujourd’hui, on en est au point de la vérité.
Ça va prendre des générations et il y a des conversations difficiles à avoir, notamment en salle de classe. On n’a plus le choix d’en parler, on en est rendu là.
Ça commence à changer la culture dans nos écoles. Mais je suis optimiste, car les jeunes ont le désir d’avancer. Ils posent des questions, veulent savoir et ont une ouverture interculturelle qu’on n’avait pas. Il faut continuer!
En terminant, si vous étiez à la place de Justin Trudeau, quelle serait votre première mesure?
Je m’assurerais que tous les gens au Canada, spécifiquement sur les réserves, aient accès à de l’eau potable. »
LES DATES-CLÉS DE LAURIE CRAWFORD
1978 : Naissance à Cornwall
2000 : Baccalauréat en études cinématographiques
2003 : Maîtrise en éducation et en études cinématographiques
2003 : Débute sa carrière d’enseignante à Cornwall au sein du Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO)
2017 : Devient conseillère pédagogique, responsable de l’éducation autochtone au CEPEO
2018 : Reçoit un certificat d’honneur au Prix du premier ministre pour l’excellent dans l’enseignement du Gouvernement du Canada.
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.