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L’avenir de la Fondation franco-ontarienne est menacé

La Fondation franco-ontarienne organise des collectes de fonds chaque année comme la Soirée Saphir qui récompense des acteurs communautaires. Crédit image: Ahmed Baidou

OTTAWA — La survie de la Fondation franco-ontarienne est incertaine, celle-ci se trouvant dans une situation « à risque au niveau financier et juridique », signale un audit-comptable indépendant. La Fondation doit notamment 400 000 $ à ses donateurs, un montant qu’elle pourrait être incapable de rembourser, même si elle assure le contraire.

Les états financiers de la Fondation dressent un portrait inquiétant pour son avenir, selon l’audit comptable réalisé par la firme nationale Meyers Norris Penny (MNP). La Fondation franco-ontarienne (FFO), créée en 1986, fait face à des déficits récurrents depuis plusieurs années.

L’organisme vient en appui à des initiatives francophones dans la province. La FFO administre avec la Caisse Desjardins près d’une soixantaine de fonds et les dons combinés aux gains en intérêt générés par les fonds d’investissement permettent d’offrir des bourses à des étudiants par exemple.

Durant les trois dernières années, la Fondation a accumulé un déficit après chaque année financière : 507 999 $ (2022), 252 159 $ (2023), et 105 399 $ (2024). 

« Il existe un doute relativement à la capacité de la Fondation de poursuivre ses activités »
— Note tirée de l’audit financier pour l’année 2024

De plus, en 2023, la Fondation a emprunté une somme de près de 400 000 dollars de ses fonds de dotation, « qui sont destinés à être conservés en capital », souligne l’audit-comptable. Cet emprunt est une manœuvre qui n’est pas permise, prévient la firme MNP, car cela « constitue une dérogation aux conditions initiales des ententes » avec ses clients et expose la Fondation à « un risque financier et juridique ».

Comme il s’agit techniquement d’un emprunt entre comptes, cela n’apparaît pas dans le déficit actuel. En entrevue, le président du conseil d’administration, Don Bouchard, explique qu’il s’agit d’argent provenant « d’un fonds dormant ». C’est « une décision purement fiscale » et les gestionnaires de ce fonds ont signalé que « cet argent-là était à 100 % remis à la Fondation et puis que c’est à nous d’en faire la gestion telle quelle », clarifie M. Bouchard.

« C’est ce qu’on a emprunté pour être capable de continuer nos opérations, expose ce dernier. C’est un emprunt et ce fonds-là sera remboursé (…). C’est la première chose qu’on veut rembourser. »

Des organisations de la francophonie ontarienne sont titulaires de fonds à la Fondation comme dans les domaines communautaires, en éducation, en santé, etc. Photo : Ahmed Baidou

Mais l’évaluation financière de MNP énonce plutôt que la FFO se trouve « dans une situation d’incertitude quant à sa capacité à rembourser ces montants » auprès de ses donateurs. Le portrait financier actuel ne prend pas en compte la possibilité d’avoir à rembourser cette somme « puisqu’il est impossible de déterminer l’issue de cette situation », note aussi la firme de comptable.

« Compte tenu du fonds de roulement négatif du fonds d’opération, de l’insuffisance des produits par rapport aux charges d’années en années, de la difficulté d’obtenir du nouveau financement et des sommes que la Fondation a empruntées dans ses fonds de dotation, il existe un doute relativement à la capacité de la Fondation de poursuivre ses activités », soutient l’examen financier de 2024 dans des notes complémentaires.

« Je ne vois pas la voie du rétablissement »

En entrevue, le professeur de l’Université d’Ottawa Gilles LeVasseur mentionne que de tels commentaires et un tel constat dans des états financiers en disent long et sont plutôt rares.

« Quand un vérificateur écrit ces notes complémentaires là, c’est qu’il doit avoir soulevé un problème fondamental. On n’écrit pas ça juste comme ça », affirme ce spécialiste en gestion et gouvernance.

La Fondation franco-ontarienne organise des collectes de fonds chaque année comme la Soirée Saphir qui récompense des acteurs communautaires. Photo : Ahmed Baidou

Nous avons présenté les chiffres de la FFO à Marc Pilon, un comptable agréé et professeur dans le domaine à l’Université Nipissing. « Je ne vois pas la voie du rétablissement, c’est difficile », analyse cet expert.

« Un déficit qui représente, mettons 10 % des revenus annuels, ce sont des peanuts, poursuit-il. Mais pour la Fondation, c’est un nombre très élevé. Il faudrait avoir des revenus pendant presque 10 ans sans dépenses pour pouvoir rembourser le déficit accumulé. »

Baisse marquée des dons

Notamment en raison de la pandémie, le nombre de dons a considérablement baissé entre 2019 et 2021, montrent les états financiers des dernières années. Les dépenses de l’organisme de charité n’ont toutefois pas baissé au même rythme. Cela a donc créé un déséquilibre où les dépenses opérationnelles ont dépassé largement les revenus générés.

« Le défi qu’on a eu dernièrement, c’est qu’au niveau du fonds de roulement qui rentre habituellement, on n’a pas eu autant de donateurs qu’on a (habituellement) et il y a eu des opérations dans le déficit, éclaircit Don Bouchard. Donc à la place de mettre la Fondation davantage en déficit avec une marge de crédit puis des taux d’intérêt élevés, emprunter (le 400 000 $) sur un de nos fonds avait beaucoup plus de sens. »

« À l’époque où j’étais là, les fonds de dotation généraient quand même des revenus. Le déficit était plutôt au niveau des opérations », atteste en entrevue Gilles Marchildon, membre du conseil d’administration entre 2016 et 2022.

« Je pense que, pendant longtemps, la Fondation pouvait absorber ces déficits-là. Au niveau comptable, elle pouvait utiliser le coussin qui provenait de tous les fonds d’investissement. Mais tôt ou tard, ça rattrape », constate-t-il.

« Pour une charité, c’est très alléchant d’utiliser les fonds de dotation comme source de financement, nous explique Marc Pilon. Cela permet de réduire les fonds empruntés à l’externe et minimiser les frais d’intérêts (…) Mais c’est une pratique risquée lorsque les bases financières ne sont pas solides », prévient le comptable.

Ce dernier croit que les difficultés financières de la Fondation franco-ontarienne sont le reflet d’un « problème de société dans la mesure qu’on fait de moins en moins de dons en argent ».

« Ça arrive plus souvent qu’on ne le pense quand les organisations sont au bord du précipice en essayant de trouver une solution et dire : on l’emprunte, mais on va le remettre l’an prochain. Mais souvent, l’an prochain n’existe pas », commente de son côté M. LeVasseur.

Certains détenteurs de fonds nous ont affirmés ne pas être informés des problèmes financiers de la Fondation, tandis que d’autres, comme la Fondation Montfort (l’un des plus importants financièrement), ont assuré être très au fait de la situation et maintenir des « communications régulières » avec la FFO.

Objectif : amasser 2 millions de dollars d’ici trois ans

La Fondation a elle-même sonné l’alarme au cours de ses assemblées annuelles, souligne son président « de façon volontaire et transparente » pour que « nos membres soient au courant que présentement, c’est difficile ».

« On ne s’en cache pas justement, on fait l’inverse. On veut que les gens décident de s’impliquer davantage dans la situation », souhaite Don Bouchard.

« Tu sais, les anglophones à Toronto, ils vont faire un 5 à 7 dans un club de golf puis ils vont aller chercher 2 millions de dollars. Des millionnaires francophones en Ontario, il n’y en a pas 50 000 », lance-t-il.

Le président du conseil d’administration de la Fondation franco-ontarienne Don Bouchard. Photo : Ahmed Baidou

La Fondation a mis en place un plan de redressement financier avec « énormément de coupures », selon Don Bouchard, comme en réduisant les heures de son directeur général à du temps partiel. Mais l’organisme franco-ontarien mise très gros sur une campagne de financement dès l’automne visant à amasser deux millions de dollars au cours des trois prochaines années.

Dons par déduction à la source, campagne spéciale dans le cadre du 50e anniversaire du drapeau franco-ontarien en septembre, 40e anniversaire de la Fondation en 2026, plusieurs volets feront partie de cette stratégie, qui reste à finaliser, précise M. Bouchard. Ce dernier convient que c’est agressif par rapport aux résultats passés, mais que ce n’est pas « une campagne amateure ».

Au cours des sept dernières années (2018 à 2024), l’organisation est parvenue à amasser près de la moitié de ce montant, soit près de 950 000 dollars en dons, selon les bilans financiers.

« On n’ira pas stipuler ce qui va arriver dans un, deux, trois, quatre, cinq ans. C’est bien trop loin, se contente de dire M. Bouchard lorsqu’on le questionne sur l’avenir de la Fondation. L’alarme est sonnée. On a un plan de redressement qui est en place d’un point de vue des opérations de nos finances et on a également en place une campagne de financement qui commence cet automne également. »

Mauvaise gestion?

Par le passé, la Fondation franco-ontarienne faisait affaire avec la firme comptable Marcil Lavallée pour ses états financiers, bien connue dans la région d’Ottawa et dans la francophonie ontarienne. Mais cette dernière aurait coupé les ponts avec la FFO en raison de mauvaise gestion, selon nos informations. L’entreprise de comptabilité n’a pas voulu confirmer ou infirmer ce renseignement lorsque nous l’avons contactée.

« Ce n’est pas du tout ça qui s’est passé », réfute Don Bouchard, qui présente plutôt la séparation comme un problème de communication entre les deux parties, mais confirme que c’est la firme qui s’est retirée par elle-même.

Gilles Marchildon confirme que la firme comptable d’origine franco-ontarienne avait prévenu la Fondation par le passé quant à la nécessité d’une meilleure gestion financière.

« Le message était toujours communiqué au conseil d’administration par notre firme d’audit. Il y avait un défi structurel qui était de mieux structurer le budget du côté des opérations », avance celui qui a été le président du CA de 2019 à 2022.

Le professeur Gilles LeVasseur se demande si les membres du conseil d’administration ont levé des drapeaux « lorsqu’ils ont vu le rouge » apparaître dans le budget. Certains des procès-verbaux de réunions de la fondation démontrent que les membres se sont inquiétés au sujet des finances de l’organisme. Un compte-rendu daté d’une assemblée de novembre 2023 décrit « plusieurs questionnements et inquiétudes au sujet des états financiers et de certains dossiers confidentiels ».

« Il y a peut-être eu une gestion déficiente. Des lunettes roses probablement en disant qu’on va s’en sortir. Un déficit, ça se gruge dans le temps », observe M. Pilon.

Bataille juridique

Par ailleurs, la FFO est aussi impliquée depuis le début de l’année dans une cause juridique, elle qui poursuit les gestionnaires d’un fonds réclamant plus de 550 000 dollars. 

Nous ignorions cet aspect juridique jusqu’à ce que M. Bouchard nous révèle lui-même que la fondation était engagée dans un litige, sans en préciser la nature, lors de notre entrevue. En janvier 2025, la Fondation a intenté une poursuite au civil contre les gestionnaires du Fonds commémoratif des IVes Jeux de la Francophonie devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario à Ottawa, révèle un avis de poursuite que nous avons obtenu auprès du tribunal provincial. 

La FFO accuse les gestionnaires du Fonds commémoratif et l’un des administrateurs de ce dernier, Rhéal Leroux, d’avoir rompu leur contrat en saisissant près de 350 000 $. Le Fonds, qui se serait « constitué en organisme de bienfaisance et s’était emparé des montants retrouvés dans le fonds appartenant à la FFO », allègue cette dernière dans son document de requête.

C’est « une saisie totalement illégitime et illégale » qui constitue « une violation de la déclaration de fiducie », soutient la FFO. L’avis de requête accuse aussi l’organisation responsable des Fonds de frais d’administration impayés. Aucune de ces allégations n’a été présentée ni prouvée devant un juge ou un tribunal.

« Il est important de souligner que la requête, les allégations et les insinuations comprises dans la requête sont vivement contestées par notre cliente (l’organistation du Fonds commémoratif des IVes Jeux de la Francophonie) et que cette requête fera l’objet en cours d’instance d’une défense complète de la part de notre cliente », nous a indiqué l’avocat représentant l’organisation responsable du Fonds commémoratif des IVes Jeux de la Francophonie, Sebastien Lorquet dans une déclaration.

Ce dernier soutient que ce différend « est un litige contractuel visant à déterminer qui est l’administrateur des sommes provenant d’un legs financier suite aux IVe Jeux de la Francophonie tenus dans la région en 2001 ». Selon M. Lorquet, « ce litige ne peut ni expliquer les problèmes actuels, ni justifier les décisions prises » par la Fondation pour remédier à sa situation financière.