L’avenir de la GRC inquiète le commissaire aux langues officielles
Raymond Théberge s’inquiète des intentions du gouvernement Trudeau de modifier le mandat de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) notamment en déléguant certaines de leurs opérations vers des services de police provinciaux. Le commissaire aux langues officielles se préoccupe de l’impact qu’un tel scénario pourrait avoir sur les communautés francophones hors Québec.
Le Toronto Star rapportait lundi que le gouvernement Trudeau jonglait avec l’idée de délaisser les tâches journalières sur le terrain de la GRC et de plutôt copier le modèle du FBI aux États-Unis, en misant sur des opérations comme la sécurité nationale, le terrorisme, les crimes financiers, etc.
Raymond Théberge craint qu’un tel changement amène à la création de plus de corps de police provinciale qui ne seraient pas assujettis à la Loi sur les langues officielles comme l’est la GRC.
« Ça m’inquiète, car il n’y aura pas d’obligations légales d’offrir un service dans les deux langues… Lorsqu’on parle d’offrir un service policier, ça veut dire qu’il faut mettre en place un centre de formation provinciale, un collège, etc. Est-ce qu’ils (les provinces) vont se pencher sur la formation d’agents bilingues? », se questionne-t-il.
L’idée fait encore plus son chemin depuis que la Commission d’enquête publique sur la tuerie d’avril 2020 en Nouvelle-Écosse à Portapique, a – dans son rapport final- émis 26 recommandations sur la GRC dont restructurer complètement le corps de police. Suite à cela, le ministre de la Sécurité publique Marco Mendecino a promis une réforme de la GRC, en nommant Linda Lee Oland, un ancien juge chargé de surveiller les progrès du gouvernement dans la mise en œuvre des recommandations de la commission.
À l’heure actuelle, seules trois provinces ont des corps de police provinciaux : l’Ontario, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, tandis que les autres provinces et territoires se fient à la police nationale pour assurer la sécurité dans leurs communautés. Le gouvernement fédéral assure 30 % des coûts alors que le reste des frais est délégué aux provinces et territoires dans un accord qui prendra fin en 2032.
Le gouvernement Trudeau effectue actuellement une révision de ces ententes avec les provinces. Cette révision combinée à la recommandation de la Commission soulève des questionnements sur l’avenir de la GRC.
« On a accès depuis des décennies à ces services dans les deux langues officielles et, si on change ça, ça va avoir un impact (…). Il y a un besoin chez les francophones. C’est une question de sécurité publique », soutient M. Théberge en entrevue.
Une zone floue pour les premiers ministres
Les 13 premiers ministres des provinces et territoires ont aussi partagé leur frustration par rapport aux intentions d’Ottawa la semaine dernière lors de leur réunion annuelle du Conseil de la fédération.
« Nous sommes très inquiets parce qu’il n’y a aucune indication sur ce qu’est le plan du gouvernement fédéral pour l’avenir de la GRC », a commenté la présidente du Conseil et première ministre du Manitoba, Heather Stefanson.
« Il semble y avoir un message mixte qui est envoyé quant à savoir s’ils sont déterminés à maintenir les services de police contractuelle », a soutenu de son côté sa consoeur de l’Alberta Danielle Smith.
« Donc ça laisse des provinces comme la nôtre où l’on doit élargir nos shérifs (polices locales) en prévision qu’ils (le fédéral) ne voudront peut-être pas continuer à étendre le service », ajoute-t-elle.
Questionné à ce sujet, le premier ministre Justin Trudeau n’a pas caché que la GRC « doit faire un meilleur travail pour répondre aux besoins particuliers des différentes communautés ».
« Je pense qu’un pays comme le nôtre a besoin d’avoir ces conversations et je pense qu’elles ont lieu », a-t-il indiqué en entrevue avec CTV lundi.
Le syndicat représentant les employés de la GRC demande au fédéral plus de clarté, qualifiant de « démoralisant » la spéculation dans le dossier et « le langage vague des représentants du gouvernement », a dénoncé son président Brian Sauvé en conférence de presse mardi.
Le cas de l’Alberta
L’Alberta est probablement la province la plus avancée par rapport à l’idée d’obtenir une plus grande indépendance policière. L’ancien premier ministre Jason Kenney avait mis de l’avant l’idée en 2019 d’une police provinciale, poussée par un sentiment de soutirer une plus grande indépendance vis-à-vis Ottawa.
Sa successeure, Danielle Smith, avait repris cette idée lors de sa campagne à la chefferie du Parti conservateur uni, mais pas lors du scrutin général en mai dernier. La province offre actuellement un fonds monétaire aux municipalités qui souhaitent transiter vers un service policier local.
L’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) souligne qu’une trentaine de détachements de la police montée canadienne offrent des services bilingues à travers la province actuellement.
« Le gouvernement n’a pas fait campagne sur ça et les lettres de mandat pour les ministres ne sont pas encore sorties, donc on ne sait pas jusqu’à quel point la province veut aller de l’avant avec ça. Mais ça reste une inquiétude. S’il y avait une nouvelle police provinciale, on voudrait que les services (en français) restent en place », souhaite son président Pierre Asselin.
Le président de l’ACFA juge qu’il serait inacceptable qu’une telle réforme venant du fédéral ne prenne pas en compte la réalité des Franco-Albertains.
« Si c’est ce que le gouvernement souhaite faire, il faudra qu’il fasse certain qu’il ne laisse pas un désert derrière eux avec les services en français qui sont déjà là… On trouverait ça inacceptable que le gouvernement décide d’abandonner nos communautés en ne prenant pas en compte la perte de services qui pourrait arriver. »