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« Le Canada doit tirer parti des investissements européens dans l’armement », selon un syndicat

Alors que le secteur manufacturier ontarien commence à trancher dans ses effectifs, Daniel Cloutier, directeur québécois d’Unifor, plaide pour une stratégie industrielle forte face aux tarifs de Trump. Photo : Gracieuseté

Daniel Cloutier est le directeur québécois d’Unifor. Le plus grand syndicat du secteur privé au Canada regroupe 320 000 membres, répartis dans divers secteurs de l’économie. 

Les licenciements s’accumulent en Ontario. À L’Orignal, Ivaco a licencié 30 employés et mis à pied temporairement 120 autres. À Sault-Sainte-Marie, l’usine Algoma Steel Group a supprimé 20 postes et annoncé des réductions de main-d’œuvre jusqu’à 25 % de son effectif. À Hamilton, les autorités locales ont alerté sur 28 000 emplois menacés, dont 9 000 directement liés à la production et à la transformation de l’acier et des métaux.

Les nouveaux tarifs douaniers annoncés par l’administration Trump sur les exportations canadiennes d’acier et d’aluminium, qui devraient entrer en vigueur le 2 avril, provoquent des remous dans l’industrie manufacturière ontarienne. Daniel Cloutier voit des opportunités à saisir, notamment en Europe, où les investissements massifs dans la défense pourraient ouvrir de nouveaux débouchés.

« En quoi les tarifs douaniers impactent différemment les secteurs de l’acier et de l’aluminium?

Le marché de l’acier fonctionne différemment de celui de l’aluminium, les impacts sur les entreprises canadiennes seront donc distincts. 

En 2022, les États-Unis ont importé 17 % de leur consommation totale d’acier, dont 22 % provenaient du Canada. Les tarifs auront ainsi des conséquences importantes pour les travailleurs et l’industrie de l’acier, notamment en Ontario.

Pour ce qui est de l’aluminium, les États-Unis dépendent davantage des importations : 44 % de leur consommation vient de l’étranger, et le Canada représente 60 % de ces importations.

À court et moyen terme, les producteurs américains ne peuvent pas combler ce besoin localement, faute d’infrastructures suffisantes et d’accès à l’énergie nécessaire pour alimenter des fonderies d’aluminium. Les producteurs canadiens d’aluminium brut, principalement au Québec et en Colombie-Britannique, continueront donc à exporter vers les États-Unis. Il est probable que le coût soit absorbé par le marché.

Quel pourrait être l’impact en Ontario dans ces deux secteurs?

L’Ontario, qui ne produit pas d’aluminium brut, est au cœur de l’industrie de la transformation, notamment dans le secteur automobile. C’est là que les répercussions seront les plus lourdes : les pièces fabriquées à partir d’aluminium taxé subiront elles-mêmes une taxe à l’exportation. Pire, lorsqu’elles traversent plusieurs fois la frontière pour être intégrées dans un véhicule, chaque passage entraînera une nouvelle taxe.

Lors des précédents tarifs de 2018, cela avait entraîné une hausse de 700 $ par véhicule chez le groupe General Motors. Or, les tarifs annoncés aujourd’hui risquent d’être encore plus élevés.

Je cite aussi un effet inflationniste. Comme les prix de l’aluminium sont établis selon un indice nord-américain (le West American Tariff), incluant les droits de douane, les taxes et les coûts de production, même les entreprises qui n’exportent pas subiront les hausses. C’est déjà visible, notamment dans l’industrie de la bière en Ontario, où le prix des canettes a augmenté de plusieurs dollars par caisse de 24 unités.

Le marché de l’acier fonctionne différemment de celui de l’aluminium. Photo : Canva

Quelles réponses face à cette crise? 

Il est essentiel de renforcer notre industrie locale et d’augmenter le commerce interprovincial afin d’élargir notre marché intérieur. 

Le Canada doit aussi agir contre le transbordement, particulièrement dans le cas de l’aluminium secondaire souvent importé de pays comme la Chine. En mettant fin à ces pratiques, on favoriserait l’utilisation de l’aluminium canadien.

Sur l’acier, la situation est plus délicate. Certains producteurs risquent même de fermer ou rapatrier leur installations aux États-Unis. Il faut donc, autant que possible, répondre à nos besoins avec l’acier canadien et chercher à diversifier nos débouchés à l’international.

Quel message Unifor lance-t-il face aux pressions américaines?

Ce moment exige une mobilisation de toutes les forces vives : industrie, politiques, société civile, travailleuses et travailleurs. Ensemble, nous pouvons trouver des solutions, faire preuve de résilience et résister à la pression. Il ne faut surtout pas céder face à l’autoritarisme de Donald Trump, qui menace notre économie, notre souveraineté et notre stabilité. Nous devons rester solidaires et déterminés à défendre nos intérêts.

Y a-t-il une opportunité, derrière cette crise?

Cette situation, aussi tendue soit-elle, crée une nouvelle solidarité au Canada. Il faut y voir une chance. Mark Carney s’est dirigé pour son premier voyage international en tant que premier ministre vers la France et l’Angleterre. Et ses récents échanges avec l’Europe, notamment en matière de défense, ouvrent la porte à des marchés alternatifs pour nos industries, notamment l’acier et de l’aluminium.

Justement, l’industrie militaire, notamment en Ontario, est consommatrice de métaux… 

On ne peut pas parler de faire de l’aviation sans parler d’aluminium et d’alliage métallique. Et avec l’engagement du Canada à atteindre 2 % de son PIB en dépenses militaires — soit une augmentation de 18 milliards de dollars — cela représente un immense potentiel de retombées économiques locales.

Le Canada pourrait renforcer ses liens avec les pays européens, qui eux aussi augmentent leurs budgets militaires pour répondre aux enjeux géopolitiques actuels. Ces investissements pourraient dépasser les 2 % du PIB, offrant ainsi des opportunités à long terme. En échangeant avec l’Europe, le Canada pourrait fournir des pièces et composantes pour l’industrie militaire, tout en stimulant l’innovation et la recherche dans le secteur.

Il ne s’agit pas de souhaiter des conflits, bien au contraire. Mais si des milliards de dollars sont investis dans ces industries, il est vital que le Canada en tire parti pour soutenir son économie, protéger ses emplois et développer son autonomie industrielle. »