Le droit des fonctionnaires de travailler en français sera étudié en appel
OTTAWA – L’ancien gestionnaire du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), André Dionne, a décidé de porter sa cause en appel. Il conteste l’interprétation trop restrictive du juge Peter Annis, rendue le 3 juillet dernier devant la Cour fédérale, en matière de droit pour un fonctionnaire fédéral de travailler dans la langue officielle de son choix.
« Selon nous, le jugement de la Cour fédérale est erroné. La cour a interprété le droit des fonctionnaires fédéraux de travailler dans la langue de leur choix, tel que prévu dans la Partie 5 de la Loi sur les langues officielles, de manière très restrictive. Ce qu’elle conclut, c’est que ce sont aux fonctionnaires bilingues d’accommoder leurs collègues unilingues en toute circonstance, ce qui veut dire qu’on limite leur droit de travailler dans la langue officielle de leur choix », explique l’avocat de M. Dionne, Gabriel Poliquin, du cabinet CazaSaikaley.
La décision, rendue en juillet dernier, s’avère particulièrement défavorable aux fonctionnaires francophones, puisque ce sont plus souvent eux qui sont bilingues, selon l’avocat.
Basé à Montréal, région désignée bilingue aux fins de la langue de travail au niveau fédéral, et ayant fait le choix de travailler en français, M. Dionne a décidé de poursuivre son employeur devant les tribunaux, après avoir porté plainte auprès du Commissariat aux langues officielles. Son travail nécessitant de transiger quotidiennement avec des services offerts à partir de Toronto, région unilingue anglophone, il se trouvait à devoir utiliser plus souvent l’anglais.
La Loi prévoit que les fonctionnaires peuvent travailler et recevoir les services de leur employeur, en matière de paie ou de ressources humaines par exemple, dans la langue officielle de leur choix dans les régions désignées bilingues.
« Ce que demande mon client, ce ne sont pas des dommages et intérêts, mais juste une déclaration de la cour rappelant le droit d’un fonctionnaire de travailler et de recevoir des services de son employeur dans la langue officielle de son choix, même s’il est bilingue », précise M. Poliquin.
Le commissaire Théberge se joint à la cause
Preuve de l’importance nationale de cette cause, le Commissariat aux langues officielles a lui aussi interjeté appel, en septembre dernier, après avoir été intervenant en première instance. Sa cause se joindra donc à celle de M. Dionne.
« Malheureusement, dans sa décision rendue le 3 juillet dernier, la Cour refuse d’appliquer plusieurs principes fondamentaux des droits linguistiques et rejette l’interprétation mise de l’avant dans plusieurs jugements importants », explique Raymond Théberge, dans un échange de courriels avec ONFR+.
« Le Commissariat doit tenter de faire renverser cette décision pour s’assurer que les tribunaux continuent de donner une interprétation large et libérale aux droits linguistiques. Il est crucial de protéger cette interprétation pour veiller à ce que la Loi soit mise en œuvre selon son objet. »
En 2018-2019, le Commissariat a reçu 212 plaintes en lien avec le droit de travailler dans la langue officielle de son choix, soit 19,5 % du nombre total de plaintes.
« Les principes généraux qui avaient été établis par des causes antérieures, comme Beaulac et Tailleur, prévoyaient que même quand une personne est bilingue, on ne peut lui enlever son droit d’être servie en français. Le juge Peter Annis estime que cela ne s’applique pas dans ce cas, mais on risque alors de créer un problème systémique », estime M. Poliquin.
Un problème qui pourrait être d’autant plus grand avec la décentralisation des services fédéraux et l’évolution de la fonction publique, reconnaît l’avocat.
« Imaginons que le gouvernement décide, pour des raisons politiques et géographiques, d’installer le ministère des Ressources naturelles à Calgary, qui n’est pas une région désignée. Il y aurait malgré tout des fonctionnaires de ce ministère à travers le pays, mais est-ce que cela voudrait dire que ceux qui sont dans une région désignée bilingue, comme à Montréal ou à Ottawa, ne pourraient pas avoir le droit de travailler en français? »
Le silence du syndicat
Malgré l’importance de ce dossier pour la fonction publique fédérale, le syndicat de M. Dionne, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), a refusé d’intervenir dans cette cause.
Après un premier refus communiqué en 2015, le syndicat a confirmé sa décision de ne pas représenter M. Dionne devant la cour, l’été 2017. Dans un échange de courriers auxquels ONFR+ a eu accès, le syndicat justifie son choix par des chances insuffisantes de succès.
L’appel déposé par M. Dionne et le Commissariat devrait être entendu à Ottawa, d’ici le printemps 2020. Selon le résultat, la cause pourrait aller jusqu’en Cour suprême du Canada, pense M. Poliquin.
« Ça pourrait potentiellement être le cas, car il s’agit d’une nouvelle jurisprudence, sachant que la Loi n’est pas claire dans ces dispositions. Mais on espère que non. Tout dépendra du jugement en appel. »