Le figuier tunisien sur le toit canadien
Chaque samedi, ONFR+ propose une chronique sur l’actualité et la culture franco-ontarienne. Cette semaine, place à la littérature avec l’autrice Monia Mazigh.
[CHRONIQUE]
La première fois où j’ai rencontré Marguerite Andersen, c’était au salon du livre de Toronto, peut-être en 2008 ou 2009, du temps où il se tenait à la Bibliothèque de référence de Toronto. Elle m’a paru frêle mais résistante et tenace. Et c’est toujours l’impression que j’ai gardée d’elle pendant toutes ces années, souvent quand on se croisait dans des différents salons du livre.
Même impression lorsque je l’ai vue pour la dernière fois au Salon du livre de Toronto dans les nouveaux édifices de l’université de l’Ontario français. Je suis arrivée un peu en retard et je l’ai vu de loin partir accompagnée de quelques amis, l’un d’eux lui tenant le bras. Même de loin, je pouvais deviner qu’elle s’était beaucoup affaiblie mais sa démarche restait pareille : résistante et tenace.
Lors de notre première rencontre, Marguerite, directe et franche, m’avait lancé un « D’où, venez-vous? » Une question simple et classique, parfois embêtante mais toujours le point de départ d’une conversation et parfois d’une amitié. Plus tard en découvrant l’autrice et ses origines, je me suis rendu compte que c’est exactement cette même question qui la rendait si mal à l’aise.
Dans son livre, Le figuier sur le toit, un récit autobiographique, on pose la même question à l’héroïne qui s’appelle Marguerite. Et Mme Andersen, l’autrice, écrit : « Elle ne réussit pas à dominer le vertige quand elle entend cette question (…) qui la plonge pour la énième fois dans le tumulte des années 1933 à 1945. »
Un bagage historique humain lourd
N’est-ce pas un peu ironique que lors de cette première rencontre, les rôles se soient inversés sans que je ne sache alors le passé de mon interlocutrice. « Je suis née en Tunisie », avais-je candidement répondu sans vraiment m’attendre à ce que Marguerite Anderson connaisse mon pays d’origine pour y avoir séjourné avant même que je ne sois née, avant même que mes parents ne fassent connaissance.
C’était une énigme pour moi. Pas pour longtemps, car bientôt j’allais découvrir ce personnage de Marguerite dans Le figuier sur le toit et comprendre le passé douloureux et le présent rempli de vieillesse et la mort qui guette.
À travers les années et ses ouvrages, j’ai fait la connaissance d’une grande autrice de la littérature franco-ontarienne mais aussi de celle qui porte un bagage historique humain lourd. Trop lourd. Son passé allemand, le souvenir amer de la guerre, ses souvenirs à la fois honteux mais aussi assez flous… Comment comprendre l’adolescente que nous étions un jour?
Andersen se revoit jeune. Portait-elle l’uniforme de la jeunesse hitlérienne? Et ces images dans sa tête de femmes détenues, de chiens et de soldats. Que faisait-elle? Que pensait-elle? Tout est embrouillé, un brouillard épais par les années et la profondeur du puit.
J’aurais le même sentiment de confusion si aujourd’hui on me posait des questions sur ce que je faisais à l’école quand j’avais 15 ans. Une jeune rebelle? Une anticonformiste en jeans et espadrilles qui ne se retrouve pas dans une Tunisie qui se dit ouverte avec un président omniprésent sur les photos et les images et qui se proclame père de tous les Tunisiens.
Rien à comparer avec l’Allemagne nazie de Hitler où Andersen avait passé ses premières années ni l’holocauste qui s’en est suivi mais juste une façon pour tisser des parallèles, me mettre à sa place et penser à mes souvenirs parfois heureux et parfois tragiques.
Je me rappelle son livre En écho à Bleu sur blanc (2000) qui décrit avec amour et sensualité les moments lumineux de ses années tunisiennes (1946-1953). C’est dans ce pays où elle va vivre avec son amant français, dont elle était enceinte, et qui est devenu son premier mari. C’est dans la clinique Saint-Augustin, un des pères du catholicisme lui aussi né dans la région, que Marguerite Andersen donne naissance à son premier enfant.
Une clinique dont le nom est si familier à mes oreilles. Une clinique qui existe encore aujourd’hui à Tunis. Une ville, ma ville natale que Marguerite Andersen décrit avec finesse et justesse. « Dans un pays remarquable pour son architecture éclatante de blanc souligné par le bleu des portes cloutées et des moucharabiehs en fer forgé couleur du ciel ».
Une féministe qui s’assume
Marguerie Andersen parle sans détours de sa vie d’adulte, son émancipation, ses études et surtout de son rôle de mère. Je suis toujours frappée par son avant-gardisme. Son rapport à la maternité. Ses doutes mais surtout son honnêteté. Aujourd’hui, les femmes, malgré la chute de plusieurs tabous, craignent toujours de parler des défis d’être mère.
On se veut toujours une mère tigresse, ou une mère hélicoptère, ou une mère « superwoman ». Marguerite n’a pas eu honte de parler de la « mauvaise mère ». Ne le sommes-nous pas toutes, un peu, dans nos moments les plus sombres, quand on pense à nos années de célibataires insouciantes et surtout à notre liberté confisquée par ces petits tyrans qui ne sont autres que notre progéniture. C’est en ces mots qu’elle décrit ses rapports tortueux avec ses enfants « Juste négligés, brimés, voire ignorés parfois… »
Car Marguerite Andersen reste avant tout une femme libre, une féministe qui s’assume jusque dans les affres de la vieillesse, jusque dans les choix de ses mots : durs mais vrais. « Moi, je suis lâche. J’ai 20 ans et je veux vivre. Sans peur, sans honte, sans faim ou soif. Tourner le dos à la misère. Attendre. En attendant parler une autre langue rire me détacher. » La seconde guerre mondiale venait de se terminer et c’est dans cet état d’esprit qu’elle se retrouve et qui pourrait la contredire.
Aujourd’hui, tous les jeunes veulent traverser la mer méditerranéenne, au risque de laisser leur peau, pour aller en Europe. Ils ne veulent plus de la misère, de la guerre, de la faim et de la soif. Tout comme Marguerite Andersen, ils veulent parler une autre langue et rire.
Marguerite Andersen a si bien compris la vie et l’a partagé avec nous. Ses œuvres littéraires sont un trésor cher. Avec tout ce qu’il a de plus sombre et avec tout ce qu’il renferme de plus beau. Au revoir Marguerite.
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