Le Mois de l’histoire des Noirs, une terminologie problématique?

[ENTREVUE EXPRESS]
QUI :
Jacques Touré, gestionnaire de programmes à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, s’explique à ONFR sur sa vision du Mois de l’histoire des Noirs.
LE CONTEXTE :
Février s’est démocratisé comme étant le Mois de l’histoire des Noirs, où la plupart des institutions publiques, écoles et entreprises ont pris l’habitude de participer à cette célébration annuelle mettant en lumière la contribution des personnes noires à l’avancement de nos sociétés.
L’ENJEU :
Cette célébration risque d‘entraîner des clichés erronés selon lesquels toutes les personnes noires sont semblables, ou encore, elle risque de devenir une obligation, dont l’essence peut être mal interprétée.
Comment peut-on combler le fossé entre le nombre de personnes qui célèbrent le Mois de l’histoire des Noirs et celui des personnes qui comprennent réellement l’histoire des Noirs?
« Il faut contextualiser. En effet, je ne critiquerais pas les Afro-Américains qui le célèbrent, car il y a des raisons historiques avérées tout à fait objectives et légitimes. Toutefois, en dehors de ce contexte, ça devient quelque chose de totalement folklorique. Il faut prendre conscience qu’on perpétue certains mythes et préjugés.
La couleur de notre peau ne définit pas une identité. Cette façon d’essentialiser les personnes de couleur noire est problématique. Nous sommes des êtres humains comme tout le monde, nous sommes des êtres à part entière et il est souhaitable qu’on soit vus comme tels.
Votre pensée qui s’appuie sur les idées de l’écrivaine française Tania de Montaigne, réfute complètement l’idée de mettre une majuscule à ‘Noir’ car elle ancre l’idée de race dans les esprits. Pourquoi?
Mettre une majuscule est la meilleure forme d’essentialisation. Quand on met une majuscule, on sous-entend que tous les noirs appartiennent à un même groupe culturel, partagent la même identité, forment une communauté. Ce qui est inexact.
Dans quelle mesure le Mois de l’histoire des Noirs peut-il résulter d’une forme insidieuse de racisme?
Les institutions qui encouragent la célébration se donnent bonne conscience, ça part d’un bon principe. Mais c’est la réalité qui ne suit pas, car les éléments sont faussés et lorsque les éléments sont faussés, peu importe votre bonne volonté, le résultat final est factice. Célébrer des personnes pendant 28 jours pour les invisibiliser ensuite est une forme insidieuse de racisme. Or, la lutte contre le racisme devrait être permanente et pas seulement limitée dans le temps.
Comment sortir de l’exclusivité du mois de février?
Par des débats, des discussions, par des conscientisations. Car l’analyse qui montre des aspects subtils de la chose n’est pas forcément évidente pour tout le monde. Tout le monde ne perçoit pas cela de la même manière. Il s’agit d’expliquer que malgré l’initiative à priori bienveillante de cette célébration, in fine, cela conduit à une forme d’essentialisation qui nourrit les préjugés. Il faut se poser les vraies questions. Qu’est-ce qu’on célèbre? Qui est-ce que l’on célèbre? Les Noirs, oui, mais lesquels?
Dans un monde meilleur, quel serait l’objectif du Mois de l’histoire des Noirs?
La terminologie du Mois de l’histoire des Noirs est elle-même problématique. Elle met en avant la couleur de peau, qui pour moi ne devrait pas être un motif particulier de fierté. Au lieu d’un Mois de l’histoire des Noirs, je verrais plutôt un Mois de la diversité culturelle. Être aussi critique sur ces thématiques est nécessaire pour atténuer les clichés sur les personnes noires, et cela ne peut venir que de nous. »