Le Nord de l’Ontario : un territoire fertile pour Pierre Poilievre?
L’arrivée de Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur doit réveiller Jagmeet Singh et le Nouveau Parti démocratique (NPD), notamment dans le Nord de l’Ontario et Windsor où les bastions néo-démocrates pourraient avoir un attrait pour le chef conservateur, selon des analystes.
Durant les derniers mois, le nouveau chef de l’opposition officielle a multiplié les messages attrayants, notamment auprès de la classe ouvrière comme sur l’inflation, le prix de l’essence ou encore sa position en faveur d’une hausse de l’exploitation des hydrocarbures.
« Il représente la grogne de plusieurs personnes, cette colère qu’on voit un peu partout à cause de l’inflation et du coût de la vie qui est chère », observe Geneviève Tellier, professeure de sciences politiques de l’Université d’Ottawa.
Cette grogne pourrait trouver lieu de manière plus frappante dans des régions plus rurales ou dites ouvrières comme à Windsor et dans le Nord de l’Ontario, à Timmins ou dans Sudbury.
« Ça fait partie de ce message populiste à grande échelle que le nouveau chef du Parti conservateur a embrassé », affirme David Tabachnik, politologue à l’Université Nipissing.
Le Nord de l’Ontario connaît un taux de chômage et un déclin plus élevé que d’autres régions de l’Ontario et du reste du pays note ce dernier, ce qui pourrait encore donner plus de poids au message du leader conservateur.
« Si vous pouviez revigorer cet argument concernant le fait de rapporter des emplois dans le secteur manufacturier, des emplois de cols bleus bien rémunérés, des emplois axés sur les ressources dans des endroits comme le Nord de l’Ontario, ça pourrait être un message avec du succès », analyse M. Tabachnik.
Jagmeet Singh dans le viseur?
Celui qui pourrait payer cher en Ontario, c’est Jagmeet Singh. Ces régions avec un nombre important de cols bleus sont en majorité des bastions néo-démocrates. Le message du NPD en faveur des enjeux des grands centres urbains comme la justice sociale a quelque peu chassé ceux plus rattachés à la classe ouvrière du NPD dans les régions plus éloignées.
C’est là que le message de M. Poilievre rentre en compte, car il profite d’un clivage entre les enjeux urbains et ruraux, note Yan Plante, un ancien stratège conservateur et conseiller sous Stephen Harper.
« Son pain et son beurre, c’est son message économique », définit-il. « Il doit parler au nom des gens qui souffrent et qui se sentent exclus et qui ont de la misère à payer leurs factures. C’est là où il peut réussir à aller chercher des travailleurs (…). Il y a certainement un chemin facile pour aller rejoindre beaucoup de travailleurs, de cols bleus. C’est assez simple avec son discours populiste et économique. »
Mais M. Singh assure que son parti est toujours le « champion » pour défendre les intérêts des gens et des travailleurs, soulignant que le passage du député de Carleton dans le gouvernement Harper démontre qu’il est « contre l’intérêt des travailleurs ».
« Ces propos concernant le fait que les Canadiens ont de la difficulté avec le coût de la vie qui augmente alors qu’il est d’accord avec les grandes banques au lieu de se battre pour les familles montrent ce que l’on savait déjà. Ils ne s’occupent pas des vraies préoccupations des gens », avait-il commenté dans les jours suivant la victoire du nouveau leader conservateur.
Geneviève Tellier avance un autre problème : le message pro-environnemental du NPD qui n’est parfois pas conciliant avec les réalités des travailleurs du Nord de l’Ontario comme ceux des mines par exemple.
« Les partis de gauche n’ont pas de vraies réponses à ça et ils ne répondent pas à ces préoccupations-là alors que M. Poilievre va dire « Vous n’aller pas perdre votre emploi à cause de nos politiques environnementales ». »
Yan Plante estime aussi que la prochaine élection pourrait bien être celle où les électeurs chercheront « un contraste » à Justin Trudeau, ce qui rendra la tâche difficile au chef néo-démocrate en raison de l’entente avec les libéraux. Pour ce dernier, les néo-démocrates n’offrent pas d’« alternative » aux libéraux et ne génèrent pas « un désir de changement ». Idem pour David Tabachnik qui voit un bon scénario pour le tout nouveau dirigeant conservateur, surtout s’il « recentre son message ».
« On a un nouveau visage en Pierre Poilievre, alors si les gens veulent du changement, il en offre. »
L’exemple Doug Ford
Le nouveau chef conservateur pourrait s’inspirer de son confrère Doug Ford en Ontario. Lors de la dernière élection, les progressistes-conservateurs ont créé une certaine surprise avec la victoire de George Pirie dans Timmins face au néo-démocrate Gilles Bisson, député historique du comté (auparavant nommé Timmins-Baie-James et Cochrane Sud) depuis 1990.
Résultat similaire à Windsor où les troupes de Doug Ford ont réussi à faire élire l’un des leurs pour la première fois en 93 ans dans Windsor-Tecumseh. Dans le comté voisin d’Essex, les néo-démocrates ont aussi subi la défaite aux mains des progressistes-conservateurs, une première depuis 1963.
Ces victoires pourraient être rattachées au fait que le premier ministre ontarien est un « personnage unique en soi », souligne Yan Plante.
« Il y a des gens qui appuient Doug Ford et qui ne l’appuieraient plus s’il part et j’ai l’impression qu’il y a un peu de ce phénomène-là avec un Pierre Poilievre. Bien sûr, c’est un conservateur très idéologique, mais en utilisant une approche populiste très assumée, j’ai l’impression qu’il va ratisser beaucoup plus large que le mouvement conservateur », estime le vice-président de la firme TACT.
Quant à Jagmeet Singh, il voudra peut-être s’inspirer d’Andrea Horwath, mais plutôt pour éviter de perdre des sièges et ultimement son poste, comme son ancienne collègue.