« Le passe-temps officiel de la francophonie est de défendre son existence »
[CHRONIQUE]
Je viens d’apprendre à ma mère que je vais être chroniqueuse hebdomadaire dans le quotidien francophone du Nouveau-Brunswick, L’Acadie Nouvelle. Après ses félicitations, sa réaction suivante est de me cautionner sur les conséquences possibles de mes paroles.
CÉLESTE GODIN
Chroniqueuse invitée
@haligeenne
Parce que, semble-t-il, mes mots sont dangereux. Peut-être est-ce plutôt que la francophonie est trop safe.
L’expérience francophone pourrait être décrite comme une quête de légitimité. Les organismes doivent prouver leur légitimité auprès des bailleurs de fonds et de l’organigramme communautaire. Les communautés francophones doivent prouver leur légitimité auprès des autres communautés qu’elles perçoivent comme dominantes. Les citoyens francophones doivent prouver leur légitimité au sein de leur environnement quotidien, allant jusqu’à dans leurs familles. Le passe-temps officiel de la francophonie est de défendre sa propre existence.
Cette quête éternelle de légitimité fait de nous des agents de marketing pour nos francophonies. Notre discours est centré autour de l’autopromotion. Si nous lavons notre linge sale entre nous dans nos salles de réunions et nos salons, la culture implicite veut qu’en public nous démontrions notre fierté en présentant une image uniquement positive de nos francophonies. Parler de nos problèmes porte le risque de perforer notre armure et causer des fuites de légitimité.
Si notre troupeau est fait de toutes sortes de brebis, il reste que nous sommes, forcément, tricotés serrés. À seulement quelques degrés de séparation les uns des autres, nous n’avons pas la distance minimale recommandée entre un critique et son sujet. Être le mouton noir dans un si petit enclos fait qu’on marche souvent sur les sabots des autres, qui risquent de nous exclure à l’avenir.
Mon départ du monde associatif il y a deux ans a été entre autres difficile et désorientant, mais il m’a aussi mis de l’autre côté de la clôture, libre de pâturage et de paroles. Si j’ai pris l’occasion de cette distance avec ma communauté pour faire de moi une critique, c’est dû à deux choses, une artistique et l’autre philosophique. Mon processus personnel en tant qu’écrivante est en relation étroite avec l’émotion de la frustration, qui catalyse mon besoin de créer, et alimente ma productivité. Avoir vécu 30 ans dans la francophonie difficile de Halifax m’a donné le cadeau d’une quantité infinie de frustrations qui me nourriront longtemps.
La plus constante de ces frustrations est l’impression que ma réalité est méconnue et mal comprise. Si la méconnaissance relève de ce besoin de légitimité aux yeux des autres, la mécompréhension est plutôt l’effet secondaire de notre discours auto-promotionnel. À force de balayer nos malaises sous le tapis, nous renvoyons une image aseptisée de notre francophonie qui ne reflète pas authentiquement notre vécu.
Grandissant comme activiste francophone en ultra-minorité, j’aurais voulu avoir accès à des représentations variées et critiques de ma communauté. J’aurais voulu lire quelqu’un qui est passé par les mêmes chemins que moi et savoir que je n’étais pas la seule à me sentir différente du message officiel, à parler en anglais, à être frustrée. La fausse perception que nos expériences sont uniques et personnelles nourrit le sentiment de solitude qui, lui, est réellement dangereux.
Si je ne prétends pas être la porte-parole de qui que ce soit, je témoigne de mon vécu parce que j’ai besoin que ma réalité soit documentée. Si je suis souvent une narratrice critique et insatisfaite, c’est parce que ce sont nos défauts et nos erreurs qui sont mal-catalogués. Les déclarations polies et polies abondent déjà.
Pour en revenir à nos moutons, et à la préoccupation de ma mère, je vais surement me mettre des gens à dos. Ma mentore, Claudia Marchand, m’a appris que si tout le monde est d’accord avec toi, tu n’as rien dit de nouveau. Si les gens me tournent le dos, j’aurais au moins dit quelque chose d’intéressant.
Si je ferme des portes à coups de mots, j’en ouvre également. Si j’écris depuis un an ces chroniques pour #ONFR, c’est que la rédaction m’a lue dans le magazine web Astheure et a osé m’embaucher pareil. Mes agitations récentes au Nouveau-Brunswick m’ont mérité une lettre d’excuses du premier ministre, des éloges généreux d’un chroniqueur lui-même un grand critique, et, nouvellement, l’occasion d’inquiéter ma mère à coup de chroniques hebdomadaires.
Si je vous raconte tout ça aujourd’hui, c’est par espoir que ces mots-ci rejoindront des critiques cachés et les inspireront à peut-être se mettre des gens à dos avec leurs propres mots dangereux.
Osons bousculer. La vérité en vaut le coût.
Céleste Godin est une écrivaine et militante acadienne de la Nouvelle-Écosse.
Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.